Anthropologue et directeur de l’Institut Cardinal Jean Margéot (ICJM), Jonathan Ravat fait une réflexion sur la rétrocession des Chagos à Maurice par les Britanniques et son impact possible sur les élections générales. Il aborde aussi les 15 ans d’existence de l’ICJM.
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Jeudi, Maurice et le Royaume-Uni ont annoncé que l’archipel des Chagos serait rétrocédé à Maurice. Est-ce un bonheur total ?
En tant que citoyen de la République, je me réjouis à l’idée de deux choses. D’abord, la rétrocession : nous sommes désormais au complet. Tout le puzzle est assemblé. La souveraineté de Maurice est désormais totale.
Ensuite, ma joie porte sur le fait que, même s’il y a de nombreux enjeux, le droit international fonctionne. Nous sommes un petit pays face à une superpuissance, et pourtant, nous avons réussi à tracer notre chemin. C’est la démonstration que, grâce au droit international et aux mécanismes existants au sein de l’Organisation des Nations unies, ainsi qu’à la Cour internationale de justice, il est possible de faire face aux plus puissants. C’est véritablement un combat de David contre Goliath que David a pu remporter.
Quelle suite donner ?
Il ne faut pas banaliser le « what next ». Il est essentiel d’avoir une réflexion sérieuse sur la prochaine étape. Allons-nous accepter la manne tombée du ciel grâce à la location que nous percevrons pour la base militaire opérée par les Américains sur Diego Garcia, sans plus rien remettre en question ? Mesurons-nous l’impact géopolitique de l’acceptation de cet éventuel loyer ? Quels mécanismes seront mis en place pour assurer la transparence autour de cet éventuel loyer ?
Puis, réfléchissons-nous à la place des Chagos au sein de notre République ? Plus encore : quelle place accorder aux Chagossiens, citoyens à part entière de la République comme vous et moi, et dont la mémoire de la déportation doit s’inscrire de façon indélébile dans notre Histoire nationale ? Il est capital aussi d’attendre le texte du Traité à signer, de l’étudier, et d’analyser ses implications. Ça, c’est essentiel.
Ce développement peut-il exercer une influence sur les élections générales qui auront lieu le 10 novembre ?
Absolument. Inévitablement, cela apporte un « feel-good factor ». Cet accord est quand même non-négligeable ! Cependant, il faut continuer de rester des citoyens avertis et vigilants. Il ne faut pas adopter une attitude du genre « Angle inn fer labous dou. Per Noël finn pase ». Il est essentiel de ne pas oublier tout le reste.
Dans le roman « Le Notaire du Havre » de Georges Duhamel, les personnages attendent impatiemment l’argent du notaire, vivant dans l’expectative d’un argent qui se veut être la promesse d’une vie totalement transformée, meilleure, mais tel ne sera pas le cas. Nous ne devons pas succomber à la tentation de ne faire qu’attendre de l’argent de la Grande-Bretagne. Nous ne devons pas devenir aveuglés par cet argent et cesser alors d’être vigilants.
Même si c’est un événement extraordinaire et digne d’être célébré, le combat et l’engagement au nom de la République doivent se poursuivre.
Comment souhaitez-vous que la campagne électorale se déroule ? Avez-vous des appréhensions ?
Imaginons que l’on tombe dans un piège d’opposition constante, perdant ainsi la lucidité de reconnaître que l’autre peut aussi avoir de bonnes idées, et qu’il n’est pas forcément quelqu’un à rejeter. De cette dialectique peut naître une violence.
Une autre crainte est que cette tension entraîne une surenchère : l’un dit ceci, et l’autre veut dire mieux. Une surenchère qui, finalement, ne prend pas en compte le peuple ni notre réalité économique. Cela pourrait aboutir à l’instrumentalisation des jeunes, des moins jeunes, des cadres, des ouvriers, des retraités, entre autres, uniquement à des fins électorales.
Ces dynamiques découlent, évidemment, du fait que, lorsqu’on n’a pas les mots pour affronter les maux de notre société, notre cerveau, acculé, réagit de manière plus instinctive, et l’autre devient un ennemi. Dès lors, on brandit toutes sortes de moyens pour l’écraser, notamment des moyens racistes. On en vient à utiliser cela pour détourner le débat vers la physionomie et l’être de l’autre, ce qui mène au racisme et au communalisme.
Une quatrième inquiétude est que, à cause de ces trois premiers phénomènes, on oublierait les autres problèmes. On continue comme si de rien n’était, sans aborder les autres défis, ceux liés à l’éducation, au développement intellectuel de nos enfants et jeunes, à notre capacité de réflexion, au trafic de drogue, à notre créativité économique, à la bifurcation écologique ou encore à la question du milieu carcéral. Il ne faut surtout pas oublier tout cela.
L’ICJM fête ses 15 ans. Peut-on dire qu’il y a un certain engagement politique au sein de cette institution ?
Oui, l’ICJM aspire à être un acteur politique, une institution citoyenne au service du politique. C’est bien le positionnement que nous adoptons au nom de nos valeurs, de nos croyances et de notre appartenance à la foi chrétienne. Forts de notre enracinement spirituel et religieux, nous souhaitons être un acteur citoyen engagé dans LE politique, et non dans LA politique.
Pourquoi ce positionnement ?
Nous avions déjà une idée, lorsque nous avons lancé l’institut, de rassembler des initiatives pour mieux servir l’Église et la société. L’expérience de 15 ans nous a montré que nous étions capables de rassembler des Mauriciens de tous horizons politiques, sociaux et religieux, afin de les faire réfléchir et débattre, et ainsi mieux se connecter à la société. C’est à partir de cette intuition de départ et de cette expérience que nous avons fait le choix conscient de devenir un acteur politique.
Le vivre-ensemble à la « sauce rougail mauricienne » ne peut pas être l’œuvre d’une petite clique politique ou de leaders sociaux ou religieux : chacun a un rôle à jouer dans la construction de la Nation.
L’ICJM est construit autour de quel concept ?
On peut résumer cela avec deux ailes. La première concerne les cours, que nous préférons appeler « parcours » car il s’agit de voyages que nous entreprenons ensemble. Ce ne sont pas de simples cours magistraux suivis d’un adieu, mais une expérience de co-apprentissage, un enchevêtrement de connaissances et de compétences partagées. Même le formateur apprend énormément de ceux qu’il forme. L’apprentissage ne va pas dans une seule direction. Cela montre que ces parcours touchent différentes couches sociales, religieuses et culturelles.
La seconde aile concerne les conférences qui abordent une diversité de sujets. En général, elles portent sur des thématiques telles que le vivre-ensemble ou des questions politiques, mais nous avons aussi un cycle de conférences destinées aux jeunes de 18 à 45 ans. Nous venons de lancer un autre type de conférences : des soirées littéraires autour de livres. Nous invitons les Mauriciens intéressés à venir à la bibliothèque de l’institut.
Pour revenir aux cours, nous venons, par exemple, de lancer deux nouveaux parcours : le parcours de « leadership social » et celui de « leadership & politique ». Nous organisons aussi des conférences sur des sujets tels que le handicap, la brutalité policière, les droits de l’homme, la presse et la démocratie, ou encore la paix dans l’océan Indien.
Quelque chose de spécial est prévu pour ces 15 ans ?
Cela a commencé le 22 septembre dernier. Nous avons débuté par une messe célébrée par Mgr Jean Michaël Durhône, évêque de Port-Louis, vendredi dernier à Rose-Hill. C’est ainsi que nous avons lancé le coup d’envoi d’une série d’activités, comme la première soirée littéraire, lundi dernier. Nous allons célébrer le premier anniversaire du décès de Dev Virahsamy, ainsi que d’autres événements qui seront annoncés au fur et à mesure.
Que faut-il attendre pour la suite de l’ICJM ?
Ce qui émerge déjà quant à la pertinence de l’institut se structure autour de quatre verbes : rassembler, former, penser et s’engager. Il s’agit donc de continuer sur cette voie.
Il y a également la question de la pérennité financière de l’institut. Comment rester accessible à tous, y compris à ceux qui n’ont pas les moyens, tout en maintenant un équilibre financier ? Tout mécénat est le bienvenu pour soutenir l’institut au-delà de ses besoins courants.
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