De simples objets qui se muent en instruments musicaux en un tour de main. C’est impressionnant ! On les nomme bobre, krapo, blok, mayosh, zeze, didgeridoo, cigar box guitar pour ne citer que ceux-là. À quelques jours de la Fête de la Musique, célébrée le 21 juin prochain, nous avons rencontré des musiciens créateurs.
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Ludovic Kathan : «J’ai créé près d’une centaine d’instruments»
Il fait partie de ces musiciens pour qui la musique ne se limite pas à des instruments modernes. Ludovic Kathan est membre du groupe Patyatann. Son envie de créer des instruments lui vient à l’âge de 19 ans.
« Avec un groupe d’amis de huit à neuf personnes, nous avions créé le ‘Mistikal bamboola’ et on se réunissait pour jouer aux tambours africains. Avec nos moyens limités, nous avons fabriqué nos djembés et autres instruments à percussion. »
Bien plus tard, c’est sa rencontre avec Marclaine Antoine qui le pousse à en savoir davantage sur les instruments traditionnels.
« J’ai découvert un bobre chez lui, je ne savais même pas qu’il y en avait à Maurice. » Marclaine l’encourage à continuer à fabriquer des instruments inédits. Ludovic et quelques amis lancent alors Enerzi Kreol, une plateforme visant à promouvoir la culture mauricienne et la créolité. C’est le début du processus de création. « Lorsque j’ai réalisé que nous ne trouvions pas de calebasses, j’ai décidé d’utiliser du papier mâché et étonnamment, le résultat était très satisfaisant, confie Ludovic. Ensuite, j’ai exploré d’autres instruments pour faire des bruitages et des percussions. »
La musique ne s’arrête pas là pour lui. Et tout devient vite objet de création : dominos, fleurs de canne, coquillages, bâtons de brochettes, entre autres. Il compte aujourd’hui près d’une centaine d’instruments. C’est d’ailleurs avec tout son bagage qu’il intègre le groupe Patyatann.
« Tous ces instruments ont apporté une autre couleur à la musique du groupe. Je les utilise d’ailleurs fréquemment dans les concerts et sur les chansons de notre album. »
Sensibilisation environnementale
La musique est partout. En nous et dans chaque objet de notre quotidien. Conscients de ce trésor, certains musiciens redoublent d’ingéniosité pour le progrès de la musique locale, mais aussi pour un retour aux sources et aux traditions, un rappel de nos racines… Si certains s’obstinent à faire revivre les instruments de prédilection, d’autres s’orientent vers un processus de création perpétuelle.
Les instruments de musique nous permettent de fabriquer des sonorités différentes. Ils sont quelques musiciens à avoir relevé le pari de transformer eux-mêmes, et avec les moyens du bord, des objets hétéroclites en instruments à percussion, à corde, à vent. Des objets recyclés qui donnent non seulement des sons percutants, mais qui permettent aussi de délivrer un message de sensibilisation environnementale.
Marclaine Antoine : «Je souhaite continuer à faire vivre des instruments»
Il n’a pas inventé la roue, mais il fait partie des premiers à avoir fabriqué des instruments à la main à Maurice. Marclaine Antoine, icône de la musique locale, se bat depuis des décennies pour que les instruments d’antan ne meurent jamais. Il est d’ailleurs l’un des seuls à posséder toute une collection d’instruments traditionnels à Maurice. « J’ai découvert que ces instruments étaient encore présents à Madagascar, aux Seychelles ou encore aux Chagos, alors qu’à Maurice, on ne les voit presque plus. J’ai alors décidé de faire mes recherches pour en savoir plus », raconte le ségatier. Il découvre ainsi que durant les années 1900, les familles mauriciennes utilisaient le makalapo comme sonnette devant leur porte d’entrée.
À son retour des Seychelles et outre la fabrication de ravannes, Marclaine Antoine décide de créer d’autres instruments. « Pourquoi laisser perdre ces instruments alors qu’ils ont beaucoup contribué au séga mauricien ? » Si la ravanne, le maravanne ou encore le triangle ont su traverser le temps, c’est parce qu’ils étaient des instruments percutants. Les autres, comme le makalapo, le bobre ou encore le zeze étaient, explique Marclaine pour des romances ou des complaintes. « Hélas, ils se sont perdus au fil des générations pour tomber dans l’oubli, car les douceurs de leurs sons ont été noyées par les instruments de percussion comme la ravanne. »
Muni de calebasse, coco, bois, corde de baka, lamok, Marclaine reproduit ainsi plusieurs instruments tels que les makalapo, bobre, zeze avec le peu de moyens qu’il avait. « Il suffit d’un peu d’imagination et de quelques objets de récupération. » Aujourd’hui, le chanteur dit faire de son mieux pour intégrer ces instruments dans sa musique et dans le séga actuel. « Ces sons plaisent toujours aux Seychellois et aux Malgaches, mais malheureusement, pas autant aux Mauriciens, car ce ne sont pas des instruments dansants. Et pourtant, ils font bel et bien partie de notre patrimoine musical. »
Kan Chan Kin : «Avec de la connaissance, des objets recyclés deviennent des instruments»
La créativité a toujours été son dada. Directeur d’une chaîne de magasins, c’est pourtant dans la musique que Kan Chan Kin trouve son bonheur. Il est celui qui a introduit des ateliers de didgeridoo, instrument à vent issu de la culture aborigènes. En effet, ce passionné d’art a plus d’un tour dans son sac. La preuve : ce n’est pas un, mais plusieurs instruments qu’il a fabriqués ces dernières années. Des instruments originaux à base de matériaux de recyclage qui lui permettent avec très peu de moyens de créer de vrais instruments.
Avec son ami Salem, ils se mettent régulièrement à la recherche de matériaux originaux, qui peuvent être utilisés pour fabriquer des instruments. Des objets parfois inimaginables tels que des tuyaux en carton, tuyaux en PVC, bambou, bois, fils électriques. Kan et Salem ne manquent pas d’idées. « C’était d’abord un moyen de s’amuser entre amis tout en proposant des sons différents durant les jams et les concerts », explique Kan.
Ils ont, par la suite, lancé Heka Instruments, proposant différents instruments traditionnels fait-main, notamment le n’goni et le sanza fabriqués avec du bois récupéré et des lames de râteau, le bobre, fabriqué avec le filament que l’on retrouve dans du fil électrique et des calebasses, le koto, instrument japonais, la kora, instrument à corde africain.
« Nous avons aussi travaillé sur un projet de recyclage avec Velle-Verte. Par exemple, on a fabriqué un sanza avec des boîtes de chaussures, un didgeridoo avec des bouteilles en plastique ou encore un hang drum avec une bonbonne. Le but de ce projet était de conscientiser les gens et de les inspirer. »
Marcel Van Der Stroom : «L’idée est de créer de beaux sons avec peu de moyens»
Il les fabrique et en joue. Marcel Van Der Stroom, un Hollandais établi à Maurice, confectionne un instrument bien atypique. Le Cigar Box Guitar ! Comme le nom l’indique, ce sont des guitares fabriquées avec des boîtes de cigares. « Cela va faire 25 ans que je joue de la guitare et l’idée m’est venue lorsque j’ai vu un chanteur de blues américain utiliser un Cigar Box Guitar », raconte Marcel. Fasciné par cet instrument il décide de se lancer en fabriquant lui-même sa guitare 100 % fait-main. Sa première guitare a vu le jour il y a trois ans. Lorsqu’il s’établit à Maurice, il y a deux ans, Marcel ramène aussi dans sa valise un Cigar Box Guitar. Un objet pas très connu des Mauriciens. « Comme j’avais du temps libre, j’ai commencé à vraiment faire des recherches sur internet et à en créer différents modèles. »
En effet, ce chargé de cours en loi se passionne pour la fabrication de ces instruments très particuliers. « L’essence de l’héritage de la Cigar Box Guitar est le recyclage des matériaux et l’utilisation des objets du quotidien. Quand j’ai commencé, ce n’était pas toujours facile. Lorsque j’ai déménagé à Maurice, la créativité est devenue plus qu’un simple exploit excentrique », indique Marcel.
Pour fabriquer cette guitare plus qu’originale, tout y passe : boîte de cigares et de cookies en métal, cannes de bière et manches à balai qu’il habille de vraies cordes à guitare. « En jouant d’un instrument que j’ai créé, je me sens plus proche de ma musique. »
Menwar : «Les instruments traditionnels apportent de la qualité à la musique»
Il est sans cesse en quête de nouvelles sonorités originales. Menwar a montré son ingéniosité musicale au fil de sa musique. Le processus de création d’instruments débute alors qu’il n’est qu’un enfant. « À cette époque, nous n’avions pas d’instruments, on prenait un lamok, on étirait du fil sur des bouts de bois et tous les moyens étaient bons pour faire de la musique. » Au fil des années il apprend à jouer de la, ravanne, à raidir lapo kabri et à la nettoyer.
Au fur et à mesure qu’évolue sa musique, Menwar, qui utilise bon nombre d’instruments venus des îles, s’est mis à créer ses propres instruments. Parmi eux, il y en a qu’il surnomme pistas, car ils sont fabriqués, dit-il avec de la coque de pistaches malgaches. « Je les rattache les unes autres aux autres avec du fil en nylon et je les entoure d’une baguette en peau pour en faire un genre de bouquet », explique le chanteur et musicien.
Menwar fait aussi des bruitages avec le fruit du bois noir. « Lorsque sa coque est sèche et dure, je l’enfile avec du nylon. Cela donne un son très particulier, comme du vent dans des feuilles », explique Menwar. Jadis, les gens utilisaient leur corps pour faire des sons lorsqu’on chantait a capella. Aujourd’hui, il a choisi d’introduire ces multiples instruments dans sa musique. « Je les préfère aux instruments modernes, contrairement aux jeunes qui choisissent la facilité, ajoute-t-il. Mais rien ne vaut la qualité des instruments traditionnels et ‘fode pa nou blie kot nou sorti’ ».
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