Blog

Hara-kiri économique

Le présent gouvernement veut tellement défaire ce qu’a réalisé son prédécesseur qu’il risque de faillir dans son entreprise de redressement. Près de sept mois après la fermeture précipitée de la Bramer Bank, qui a provoqué l’effondrement du groupe BAI, la population commence à se demander si notre économie sortira indemne de ce désastre financier. On peut dire que dans ce cas précis, un gouvernement ne commet pas un suicide économique lorsqu’il croit bien faire. En revanche, quand il connaît tous les enjeux et a toutes les données en main, notamment pour ce qui est de notre secteur offshore, il n’a pas le droit de se faire hara-kiri. On a beau dire que l’île Maurice n’est pas un « paradis fiscal » ni une « destination de trafiquants », mais notre actuel ministre des Finances n’en démord pas. Et ne voilà-t-il pas qu’il en rajoute une couche en laissant entendre que notre traité fiscal avec l’Inde favorise le « round tripping ». On s’est blessé en se tirant une balle au pied, maintenant on se frappe mortellement pour en finir une fois pour toutes. La politique ne pourra pas renverser ce qui est technique : les jeux sont faits avant même la rencontre du Premier ministre mauricien avec son homologue indien. Comme pour organiser un enterrement de première classe, nos deux ministres responsables de l’économie et des services financiers jubilent devant l’offensive de l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices. Le plus important pour eux, c’est qu’ils ont eu raison, et non que l’économie mauricienne en sort perdante. Mais ceux qui vont perdre leur emploi dans le secteur offshore ne sont pas si enthousiastes devant ce développement. Jamais notre république n’a été si servile d’une institution internationale qui, faut-il le rappeler, défend avant tout les intérêts des pays développés et ne se soucie guère des pays en développement. Où sont nos syndicalistes qui ne ratent pas une occasion de pourfendre le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ? Seraient-ils tellement aveuglés par leur idéologie qu’ils ne voient pas que l’OCDE n’est pas différente de ces deux organisations ? Pourtant, nous avons affaire à une politique impérialiste. Quarante-sept ans après avoir obtenu son indépendance politique, l’île Maurice prête le flan à une colonisation économique via la perte de sa souveraineté fiscale. Si les pays occidentaux ne peuvent pas baisser leurs taux d’imposition au même niveau que les nôtres, c’est leur problème à eux. Qu’ils règlent leur déficit budgétaire et leur dette publique au lieu de venir dicter ce que doit être notre politique de taxation. En parlant de « concurrence fiscale nuisible », ils jettent un blâme sur leur propre politique fiscale qui nuit à leur économie. Rien n’oblige le gouvernement mauricien à changer sa politique selon les desiderata de l’OCDE. D’ailleurs, il est peu probable que des juridictions comme Singapour ou Luxembourg suivent les recommandations de l’OCDE susceptibles d’affecter leur économie. Pour revoir nos traités de non double imposition fiscale, conclus avec une quarantaine de pays, il faudra introduire de nouvelles législations, ce qui prendra du temps. Nous avons signé de tels traités avec une quinzaine de pays africains pour asseoir notre stratégie d’expansion sur le continent noir.

Avons-nous une meilleure stratégie de rechange ?

Au lieu d’adopter une position défensive qui fait acte de génuflexion, nous devons nous organiser pour présenter les mérites de la juridiction mauricienne dans les forums internationaux. Pour cela, il faut maîtriser les dossiers dans leurs moindres détails et se munir d’arguments subtils soutenant une profondeur d’analyse. On ne peut pas convaincre ses interlocuteurs simplement en montrant une vue d’ensemble superficielle avec des raisonnements vaseux. Nous tuerons notre économie si nous remettons en cause notre politique de fiscalité légère. Comme le grand argentier lui-même manque de conviction à ce sujet, il envoie un mauvais signal aux investisseurs. Au moins pourrait-il donner une bouffée d’air frais aux consommateurs en matière de taxation. Le moment est propice d’utiliser la manne fiscale sur les produits pétroliers pour stimuler l’économie dans le court terme. Une réduction de dix roupies du litre de carburant à la pompe est possible moyennant qu’on revoie les taux d’imposition et la base imposable de celui-ci, ainsi que les subventions aux comptes spéciaux du fonds de stabilisation. La baisse des prix doit être forte pour impacter la croissance, sinon elle n’aura aucune incidence. Il est injuste pour les automobilistes que les taxes sur le carburant sont utilisées pour investir dans des projets d’infrastructure. Car tout le monde bénéficie de ceux-ci et doit donc les financer en tant que contribuable, c’est-à-dire que les fonds doivent provenir du budget de l’État. Le fardeau fiscal doit être équitable. Il vaut mieux relancer la consommation par une baisse d’impôts que par une augmentation de salaire ou de pension. On aura alors une croissance non inflationniste. Le seul moteur de croissance qui soit fiable actuellement, c’est la consommation, puisque l’investissement est en panne et l’exportation stagne. Avec une propension moyenne à consommer de 88%, une hausse de la consommation a un grand effet multiplicateur sur le produit intérieur brut. L’arme fiscale peut être motivante ou fatale… C’est pourquoi il faut savoir, comme la télévision nationale, la manipuler.
Publicité
 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !