Le premier roman de Gabrielle Wiehe, Mauricienne établie dans le Sud de la France, est une véritable démonstration de sensibilité et d’audace, fortement teintée de nostalgie. À travers les pages de « Vent d’Est », la romancière emmène le lecteur dans sa région natale de Balfour. La narration échappe aux poncifs pour restituer la vie quotidienne au sein d’une famille franco-mauricienne de Rose-Hill. Une délicieuse découverte.
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C’est l’endroit, la psychologie des personnages – ceux de sa famille et de ses employés – leurs relations, qui donnent un relief particulier à cet ouvrage autobiographique, à la prose simple, fluide et lumineuse sur cette famille « blanche » de Rose-Hill, ce qui fait sa particularité par contraste à celles qui habitent à Curepipe. Le souci du rythme et des détails apportent une véritable densité au récit, faisant ressortir tout aussi son authenticité et ce qui frappe, c’est le son du livre, sa pulsation et l’émotion qu’il dégage.
« Vent d’Est » est aussi l’histoire de deux familles, les Wiehe et les Lesteval - celle-ci ne semble plus avoir de descendant à Maurice -, leurs fortunes diverses, mais aussi un secret qui a longtemps hanté l’auteure et dont elle révèle la nature dans son ouvrage. Mais aussi important, sinon plus, à cause d’un détail historique : Gabrielle Wiehe vient rétablir la vérité concernant un « mythe » qui jusqu'à maintenant fait partie de la biographie de Charles Baudelaire et selon lequel le grand poète, durant son séjour à l’Île Maurice aurait été inspiré par Emeline de Bragard, épouse d’Autard de Bragard, à leur domicile situé à la Rue des Tribunaux, durant son séjour mauricien.
Or, avec lettres à l’appui, l’auteure explique que la jeune fille appartenait à la famille Lesteval et n’avait nullement le béguin pour le poète « maudit ». « Ce fameux poème, officiellement écrit pour la jeune dame de Bragard, mais en réalité, inspiré par une autre muse, âgée d’à peine quinze ans à l’époque. Dire que c’était en fait à mon ancêtre Uranie qu’il s’adressait. L’arrière grande-tante (…) dont je n’avais pas fini d’entendre parler », fait-elle ressortir.
Les « bondiés » indiens
Le récit, c’est aussi la description des escapades jusqu’au cascade de Balfour, la curiosité éveillée par les « bondiés » indiens de l’ashram voisin du domicile des Wiehe, les vacances à Tamarin, les promenades à Rose-Hill « dans ces magasins à l’odeur si particulière (…) en particulier le magasin Timol, où je me sentais invariablement observée par le fils des vendeurs, un beau Parsi aux yeux verts. » Si la famille Wiehe ressemble alors à d’autres familles franco-mauriciennes, servie par une armée de gens valets, cuisiniers et jardiniers, elle reste tout aussi ancrée dans les réalités sociales de Rose-Hill, où les vêtements des gosses « provenaient pour la plupart des trottoirs de Rose-Hill sur lesquels se tenaient des marchands ambulants. ».
Il n’existe nul autre endroit que l’ex-Arab Town et son prolongement jusqu'à l’église Notre-Dame de Lourdes pour restituer le cœur de Rose-Hill, dont l’évocation des seaux en plastique, les statues de la Vierge Marie, les gâteaux cocos et gâteaux « moutayes » ou encore les sachets de fruits confits, suffit pour en saisir la diversité culturelle et renvoyer l’image d’un temps qui s’écoulait au compte-goutte.
À la description de cette douceur de vivre, l’auteure ajoute, malheureusement, une autre, peu flatteuse des « dhobis », ces lavandiers aux services des « blancs » qui exerçaient dans la rivière située à l’arrière du domicile de l’auteure. En effet, petite, elle voyait en eux et les marchands ambulants des voleurs d’enfants. On sait qu’il était impensable que ces personnes – ou toute autre des communautés non-blanches – ait pu voler des enfants blancs. Comment les cacher, élever, scolariser… ? Sans doute une de ces peurs transmises aux petits de la communauté « blanche » pour leur éviter toute contamination raciale.
Au-delà de cette grossière ineptie, rien n’enlève à ce roman cette sensation grisante éprouvée par la narratrice, son sentiment vertigineux de liberté au milieu d’une galerie de personnages tous porteurs de leurs petites histoires. Le récit, qui s’inscrit dans les faits, s’attarde aussi sur la famille Lesteval, grand propriétaire terrien à Grande-Rivière, dont la fameuse Tour Koenig, encore visible, donne une idée de sa fortune.
Sans doute, pour avoir eu comme parents qui, jeunes, jouaient aux « hippies » en Afrique du Sud, Gabrielle Wiehe, en dépit de sa scolarisation française et très conservatrice, a su s’émanciper des préjugés de sa communauté. C’est cette distanciation qui lui permet de rendre public le profond secret enfoui dans l’histoire de sa famille et qui a inspiré à la jeune Uranie Lesteval une longue pensée sur un inconnu croisé au bord de la rivière, ainsi qu’une réflexion sur l’esclavage dans son journal. Un inconnu qu’elle décrit come un « dhobi » et dont les lignes suivantes donnent à penser qu’elle l’a observé. « Il ne va pas tarder à apparaître celui que j’attends depuis longtemps, chargé de son fardeau de coton et de fibre d’ananas, enveloppé dans un grand drap. Ses épaules luisaient dans l’ombre. On aurait dit des montagnes, des rivages ignorés. Ses yeux, des perles sombres au fond d’un lac. Perles d’eau douce, de rivière. Intouchables et intouchées. Il m’a regardée un moment, puis il a détourné la tête. Trop vite, j’ai pensé, suis restée, j'ai attendu. Demain il reviendra, sûrement. »
‘Vent d’Est’, de Gabrielle Wiehe (156 pp), Ateliers des Nomades
Imprimé par Precigraph
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