Législatives 2024

Entre viralité et diffamation : les vidéos de campagne à l’épreuve de la démocratie

Dr. Roukaya Kasenally et Jocelyn Chan Low.

À l’approche des élections générales, l'usage croissant des vidéos de campagne transforme le paysage politique. La vigilance est donc de mise face aux fausses informations et aux dérives qui en découlent, car ces contenus peuvent déformer la réalité et manipuler les émotions. En privilégiant les attaques personnelles, ces vidéos nuisent à la qualité du débat démocratique. La parole aux experts.

L'impact des vidéos de campagne sur les réseaux sociaux dans le cadre des élections générales à Maurice a pris une ampleur considérable ces dernières années. Bien qu’elles soient essentielles pour communiquer des idées, elles sont fréquemment entachées de diffamation et d’attaques personnelles. Toutefois, cette prolifération de contenus politiques, souvent créés par des partisans ou des influenceurs, soulève des questions cruciales. Quels sont leurs impacts sur la démocratie ? Comment sont-elles régulées et quelles conséquences en découlent pour leurs créateurs ? 

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La Dr. Roukaya Kasenally, Associate Professor, et Jocelyn Chan Low, chargé de cours et spécialiste des médias, s’accordent à dire que les plateformes comme Facebook, Instagram et TikTok jouent désormais un rôle central dans la diffusion des messages politiques. D’ailleurs, la Dr. Roukaya Kasenally constate une transformation significative à Maurice depuis les élections de 2014 et 2019. Selon elle, l'ampleur de l'adhésion aux réseaux sociaux a permis à ces plateformes de redéfinir l'écosystème électoral. Jocelyn Chan Low, pour sa part, met en avant la viralité des vidéos sur ces plateformes, qui « captivent facilement l’attention et sont conçues pour se propager rapidement ». Cela leur permet d’atteindre un public très large en un minimum de temps. 

Entre manipulation et polarisation

Les deux experts s'accordent à dire que ces plateformes sont devenues un vecteur clé de communication politique. Cependant, ils expriment une préoccupation commune sur les conséquences de cette tendance pour l'intégrité des élections et le débat démocratique. Dans l’idéal, les vidéos de campagne devraient servir à encourager un débat d’idées et à stimuler une discussion constructive, or la réalité semble bien différente. La Dr. Roukaya Kasenally déplore le fait que ces clips privilégient souvent les attaques personnelles au détriment des idées. « Un débat constructif est essentiel pour consolider la démocratie, mais lorsque les attaques deviennent personnelles, nous avons affaire à une stratégie de ‘chien d’attaque’ », explique-t-elle.

Cette observation rejoint celle de Jocelyn Chan Low, qui souligne que ces vidéos sont souvent conçues pour manipuler les émotions des électeurs, notamment par la peur, la colère ou la frustration. « Elles jouent souvent sur les sentiments de peur, ce qui peut mener à une manipulation insidieuse des opinions publiques », dit-il, ajoutant qu’en favorisant la polarisation plutôt que le dialogue, ces clips nuisent à la qualité du débat électoral. En outre, de telles vidéos peuvent déstabiliser la confiance dans le processus électoral, en particulier lorsque des accusations diffamatoires sont diffusées sans retenue.

L'influence sur les résultats électoraux

Quid de la réelle influence des vidéos de campagne sur l’issue des élections ? La Dr. Roukaya Kasenally se montre plus réservée. « Il est difficile de dire avec certitude si ces vidéos influencent les élections de manière significative. À mon avis, l'impact de ces contenus dépend de la réaction des électeurs. Si seuls ceux qui consomment régulièrement ce type de discours haineux sont influencés, l'effet reste marginal sur l'ensemble de la société », dit-elle.

Pour Jocelyn Chan Low, les vidéos peuvent certes contribuer à polariser davantage les électeurs, toutefois leur effet direct sur les résultats reste incertain. « Les vidéos de campagne polarisantes peuvent amplifier les divisions au sein de la société et influencer certaines franges de l'électorat, mais il est difficile de mesurer leur impact global », considère-t-il. 

Menace pour la cohésion sociale

La diffusion de contenus trompeurs, voire diffamatoires, renforce les divisions sociales sur des bases ethniques, religieuses ou idéologiques. Leurs auteurs peuvent exploiter cette situation pour servir des intérêts politiques à court terme.

Un constat que partage également Dr. Roukaya Kasenally. Cette dernière met en garde contre l’usage répété de discours basés sur l’appartenance ethnique ou religieuse, une tendance récurrente à Maurice en période de tensions politiques. « Malheureusement, on a tendance à utiliser la carte ethnoreligieuse dans des moments de tension pour diviser et régner. Cela ne fait que fragiliser une société déjà vulnérable aux divisions », déplore-t-elle. Jocelyn Chan Low abonde dans le même sens. « Ces vidéos peuvent accentuer les divisions au sein de la population, surtout lorsqu’elles sont délibérément incendiaires », indique-t-il. Ainsi, en amplifiant les tensions existantes, ces vidéos peuvent créer un fossé encore plus profond entre les différentes communautés.

Régulation et éducation : des solutions indispensables

Face à ces défis, nos deux interlocuteurs soulignent la nécessité de réguler et d’encadrer la diffusion de vidéos de campagne. Jocelyn Chan Low insiste sur le fait qu’il est impératif que les autorités mettent en place des mécanismes plus robustes pour surveiller et contrôler ces contenus. « Les élections peuvent en pâtir si la viralité des discours haineux et diffamatoires n'est pas maîtrisée », explique-t-il.

Dr. Roukaya Kasenally, quant à elle, préconise une approche plus collective, impliquant non seulement les autorités, mais aussi la société civile. Elle appelle à la création d’un écosystème de « fightback », dans lequel les internautes seraient formés aux techniques de « fact-checking » et de signalement des contenus nuisibles. « Les citoyens doivent être équipés des compétences nécessaires pour résister à la diffusion de ces vidéos, notamment en promouvant la littératie numérique », explique-t-elle.

Tous deux s’accordent sur l’importance de l’éducation des électeurs. « Il est essentiel que les citoyens développent leur esprit critique face aux contenus qu’ils consomment en ligne », insiste Jocelyn Chan Low. Dr. Roukaya Kasenally ajoute que la lutte contre la désinformation et la diffamation ne peut réussir sans une volonté politique forte et une mobilisation de la société civile dans son ensemble.

Vers une responsabilité collective

Enfin, les deux experts s'accordent sur le fait que la protection du processus électoral face aux dérives des vidéos de campagne doit être une responsabilité partagée entre toutes les parties prenantes. « Les politiciens, les partis politiques, les citoyens et la société civile ont tous un rôle à jouer », rappelle la Dr. Roukaya Kasenally. Jocelyn Chan Low renchérit en soulignant que seule une réponse collective pourra limiter l'impact négatif de ces vidéos sur la société et garantir des élections libres et transparentes.

 

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