Malgré l’évolution dans le monde du travail, il y a encore des femmes qui touchent un salaire inférieur à leurs collègues masculins. D’ailleurs, les derniers chiffres de Statistics Mauritius mettent en évidence que cette inégalité salariale est d’au moins Rs 5 800.
Anna, 28 ans, est dans la communication depuis plus de cinq ans. Son métier lui plaît, car elle aime communiquer et être en contact avec les gens. Elle a d’ailleurs la parole facile. Cette habitante d’un faubourg de la capitale se voue corps et âme pour son travail. Toutefois, son salaire est une chose qui la dérange. En particulier depuis qu’elle sait qu’elle a des collègues masculins touchant beaucoup plus qu’elle.
« J’ai des collègues hommes qui ont moins d’expérience que moi et qui font moins de boulot que moi, même si on a le même cahier de charges. Malgré cela, ils sont mieux payés. Je ne comprends pas cette injustice », déplore Anna. Elle dit ne pas trouver logique que la compagnie qui l’emploie détermine le salaire de ses employés. Elle ne garde pas espoir que le directeur des Ressources humaines de l’entreprise lui explique la raison de cette inégalité salariale.
Elle estime que son taux de productivité est bien meilleur que celui de ses collègues mâles. « J’essaye de faire que cette situation ne me prenne pas la tête, mais cela me démotive. Ce que je crains, c’est que je finisse par me dégoûter de mon travail, qui me passionne tant », déplore-t-elle.
Indira est dans la même situation qu’Anna. Elle travaille comme salesgirl dans un magasin depuis plus de vingt ans et touche un salaire inférieur à ses confrères. « Je sais que je me donne à fond. Personne ne peut me reprocher quoi que ce soit. Pourtant, après tout ce temps, je ne comprends pas pourquoi mon salaire n’est pas égal à celui de mes collègues qui font le même travail que moi », raconte cette habitante du Sud.
Toutefois, elle n’a guère le choix que de continuer à travailler, malgré cette inégalité pesante. « Je suis mère célibataire, avec deux enfants à charge. Je dois travailler pour les nourrir et m’assurer qu’ils ne manquent de rien », poursuit notre interlocutrice.
Elle relate que lorsqu’elle est surchargée de travail et qu’elle ne peut se concentrer sur ses enfants, elle trouve pénible de toucher un salaire infime, alors qu’elle donne tout dans son travail.
D’autres femmes vivent la même situation. Pamela est laboureur. « Avec mes autres collègues femmes, on est toujours polies et on gère tous les problèmes avec diplomatie. Or, on sait que nos collègues hommes gagnent plus que nous. On a les mêmes horaires et on accomplit les mêmes tâches. Pourquoi ce manque de considération ? » se demande cette habitante de l’Est.
Si elle n’en pipe mot à son patron, c’est par peur de perdre son emploi. « Des fois, je me dis que mieux vaut ne pas parler de cela, car je risque de froisser mon patron et, par conséquent, de perdre mon emploi. Je préfère avoir peu de sous que rien », explique cette femme d’une quarantaine d’années.
Salaire mensuel : les femmes gagnent Rs 5 800 de moins que les hommes
Si les hommes touchent un salaire mensuel de Rs 24 400 en moyenne, les femmes en reçoivent Rs 18 600 par mois, soit Rs 5 800 de moins. C’est ce qui ressort du rapport
Gender Statistics 2018.
Profession par catégorie | Revenu mensuel moyen (Rs) | |
---|---|---|
Homme | Femme | |
Manager, professionnel, haut cadre | 42 800 | 32 100 |
Employé « Clerical » | 21 800 | 19 800 |
Employé dans la vente et les services | 21 400 | 12 700 |
Agriculteur, forestier, pêcheur, artisan, travailleur mécanique | 16 300 | 10 700 |
Métiers élémentaires | 14 700 | 8 100 |
Toutes les professions | 24 400 | 18 600 |
Business Mauritius en faveur de la parité salariale
Business Mauritius se dit pour la parité salariale, surtout si le travail que font un homme et une femme est de nature similaire. C’est ce qu’indique son Chief Operating Officer, Pradeep Dursun. Cet écart, dit-il, existe pour diverses raisons, mais que beaucoup d’avancées ont été faites en vue de remédier à la situation. Révolu est le temps où la femme était peu représentée sur le marché du travail. Ou bien se cantonnait à des pink collar jobs.
De nos jours, des femmes se positionnent dans différents segments et occupent les mêmes fonctions que les hommes. Toutefois, il existe des inégalités qui n’existent pas que dans le monde du travail. C’est un peu le reflet de la société, note Pradeep Dursun.
Il préconise, de ce fait, un changement de mentalité. Il souligne, par ailleurs, que de nombreuses entreprises ont adopté une politique d’égalité en termes de rémunération et de conditions de travail pour les femmes et les hommes. Beaucoup d’initiatives ont été concrétisées. Toutefois, il reste encore beaucoup de travail à faire.
Qu’en est-il d’une grille salariale comme dans la Fonction publique ? À cette question, il explique que cela prendra du temps avant qu’elle ne devienne une réalité. « Le secteur privé n’est pas homogène comme le secteur public, où il n’y a qu’un employeur. Dans le privé, il y a des entreprises dans différents secteurs d’activités et il y a divers postes. Il faut constituer une classification de tous les postes avant d’arriver à une grille salariale. »
Cependant, il se réjouit que la classification par genre ait été enlevée. Auparavant, par exemple, il y avait des « male » et des « female labourers ». Aujourd’hui, toute référence au genre a été retirée. « Notre idée est d’aller dans une direction où l’égalité est le maître mot. La voie se trace petit à petit », dit-il avec beaucoup d’espoir.
Workers’ Rights Bill
Il n’y a aucun doute qu’il existe des inégalités salariales entre les hommes et les femmes qui font le même travail dans plusieurs secteurs. Tel est le constat de Dev Ramano, avocat qui s’occupe surtout des cas ayant trait à l’emploi et aux relations industrielles. Toutefois, il affirme que la loi existe. « La section 20 de l’Employment Rights Act est claire concernant l’equal work, equal pay. J’espère que le nouveau Workers’ Rights Bill abordera encore plus en profondeur les disparités existantes entre les hommes et les femmes qui font les mêmes tâches », espère l’avocat. Il ajoute que c’est dans des secteurs régis par des Remuneration Orders qu’on voit cette inégalité salariale. Il s’agit avant tout d’un accord employeur-employé sur la question du salaire.
Plus d’inspections souhaitées
Maurice est signataire de la Convention 100, qui stipule que pour un travail de valeur égale, il faut un salaire égal. « Le pays est aussi signataire de la Convention 111 sur l’élimination de toute forme de discrimination. Si, malgré cela, il y a des hommes et des femmes ayant le même titre, le même temps de service et faisant le même travail, mais que leur salaire n’est pas égal, il y a définitivement quelque chose qui cloche », déclare la syndicaliste Jane Ragoo.
Selon elle, la femme est aussi à la tête d’une maison et a des responsabilités. Elle souligne, par ailleurs, que cette disparité est une réalité dans les secteurs sucrier et théier. Mais qu’il y a d’autres domaines concernés, dont certaines banques et agences de voyages.
Plusieurs facteurs expliquent cette discrimination. « La femme est toujours perçue comme le sexe faible, celle qui est docile, faible physiquement et qui peut tomber enceinte à n’importe quel moment. Ce qui la rendra moins productive, alors que l’homme est considéré comme le gagne-pain de la famille. Toutes sortes de prétextes sont trouvés pour justifier cet écart de salaire », fait ressortir Jane Ragoo.
Pour la syndicaliste, malgré l’évolution dans le monde, ce problème persiste, parce que beaucoup d’employés ne dénoncent pas. « Ce sont surtout des patrons rétrogrades qui font cela. Des fois, une personne préfère rester tranquille, surtout une femme se trouvant dans cette situation, car c’est mieux d’avoir un salaire que rien », poursuit notre interlocutrice.
Elle préconise ainsi des inspections pour mieux déceler cette inégalité. « Des représentants du ministère peuvent faire des visites-surprise. Ce qui permettrait de résoudre ce problème. Pour cela, il faut plus d’officiers », estime Jane Ragoo.
Promotion rapide pour les hommes
« Cet écart de salaire entre l’homme et la femme n’est pas forcément un élément de discrimination. Il s’explique plutôt par le fait que les hommes travaillent normalement plus que les femmes. Ils font notamment plus d’heures supplémentaires par rapport aux femmes, qui sont prises par leurs responsabilités familiales ou qui deviennent maman et ont droit à des maternity leaves », fait observer l’économiste Vishal Ragoobur. Selon lui, les hommes, contrairement aux femmes, ont un parcours beaucoup plus direct. Une autre explication, c’est que les hommes sont promus plus rapidement que les femmes. « C’est un fait qu’on compte plus d’hommes à des postes de responsabilité que de femmes. Ce qui explique cet écart salarial pour les postes plus élevés », ajoute-t-il.
Anushaka Virahsawmy : «Il faut établir une échelle salariale»
Si les salaires sont égaux entre l’homme et la femme dans la fonction publique, Anushaka Virahsawmy dit constater qu’il y a toujours des lacunes dans le secteur privé. Ce genre d’inégalité, qui existe depuis des lustres, est déplorable, selon la Country Manager de Gender Links. Il est important de le résoudre de façon holistique.
« Là où le bât blesse, c’est qu’il n’y a pas de mécanisme pour déterminer le salaire. C’est le directeur des Ressources humaines qui décide du salaire, prenant en compte la politique de la compagnie. S’il y a des entreprises qui pratiquent la disparité salariale, il y a toutefois d’autres qui font un travail formidable », indique cette dernière.
Anushka Virahsawmy se réjouit aussi qu’il y ait des plaidoyers qui changent la donne. Elle prend le cas des conductrices et des receveuses qui recevaient moins d’argent que leurs collègues mâles. Mais, grâce à l’intervention de diverses ONG pour dénoncer cette situation anormale, les choses ont changé. Elle ne manque pas de soutenir, d’autre part, que l’apport des femmes dans les entreprises est énorme.
« Les femmes sont beaucoup plus organisées et travaillent de façon différente. D’ailleurs, là où les femmes sont en poste, le taux de succès est élevé, car elles sont dévouées », note la Country Manager de Gender Links. Pour elle, il est important de mettre en place un mécanisme comme le Pay Research Bureau (PRB) pour rectifier toute anomalie.
Anushka Virahswamy cite une étude de la Banque mondiale, qui met en exergue le fait que les femmes sont payées 30 % de moins que les hommes. « Il faut une échelle au moment du recrutement, concernant le salaire, les conditions et les augmentations. Il faut que tout soit égal pour les hommes et les femmes ayant les mêmes tâches », indique-t-elle. Et de préciser que cela reste l’un des chevaux de bataille de Gender Links.
Mme Elissac-Foy : «La femme doit avoir confiance en elle»
La féministe Marie-Noëlle Elissac-Foy trouve que c’est une aberration, sachant que la femme constitue plus de 50 % de la population de Maurice. Sans oublier qu’elle fait très bien sur le plan académique et a une énorme contribution sur le plan économique.
« Il est temps que les autorités prennent ce problème au sérieux. Il faut sensibiliser les décideurs politiques et économiques. Il y a plus de gain dans une politique salariale juste », lance-t-elle. Elle va plus loin. Selon elle, l’inégalité entre les hommes et les femmes qui font le même travail n’est que le « sommet de l’iceberg d’un système qui ne considère pas l’effort de la femme ».
Elle poursuit que ce problème ne touche pas que Maurice, mais bien d’autres pays à travers le monde. Elle cite l’exemple des femmes footballeuses, qui jouent tout aussi bien, voire mieux, mais qui sont payées beaucoup moins que leurs compères masculins. La féministe croit, de ce fait, qu’il est important que les femmes dénoncent cette pratique.
« Plus on parlera et dénoncera de façon rigoureuse cette inégalité, plus les compagnies réaliseront qu’elles n’ont guère le choix que de réduire l’écart salarial et comprendront que c’est dans leur intérêt d’attirer les talents féminins », poursuit-elle. La femme engagée souligne de plus qu’il faut que les femmes se trouvant dans cette situation fassent preuve de confiance en elles.
« Elles doivent développer cette confiance et exiger de savoir si leurs collègues masculins, qui ont le même cahier de charges, sont payés plus ou ont le même salaire qu’elles. » D’ailleurs, Marie-Noëlle Elissac-Foy croit qu’il faut également un changement de mindset pour assainir la situation.
Mme Chan-Meetoo : «Il faut dénoncer les discriminations»
Chargée de cours en communication à l’université de Maurice, Christina Chan-Meetoo avance que cette inégalité salariale n’est pas quelque chose de nouveau et que tout dépend de l’employeur. « Souvent, on trouve toutes sortes de prétextes, car tous les secteurs ne sont pas régis par des lois. Mais s’il y a entorse aux Remunuration Orders, c’est un délit », indique-t-elle.
Selon elle, si cette situation perdure, c’est surtout parce qu’il y a un manque de transparence. « Des fois, ces femmes ont peur de dénoncer, craignant de se retrouver au chômage. D’autres ne veulent pas aller de l’avant par peur d’être harcelée ou tout simplement, elles ne sont pas forcément au courant qu’elles touchent un salaire inférieur. »
Elle évoque d’autres discriminations auxquelles fait face la gent féminine sur le marché du travail. « J’ai entendu dire qu’on a reproché à une employée le fait d’être tombée enceinte. C’est pervers. Les gens ne se rendent pas compte, mais c’est une sorte de discrimination envers la femme », déplore-t-elle.
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