Les révélations du rapport de Kantar océan Indien sur le harcèlement des employés sur leur lieu de travail n’étonne pas Dev Ramano. L’avocat est d’avis que les chiffres avancés ne sont que le sommet de l’iceberg.
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Le rapport de la firme Kantar océan Indien fait état que trois sur dix salariés font face à la discrimination sur leur lieu de travail. Est-ce choquant ?
Pas pour moi. Pour avoir une idée juste de ce phénomène, d’aucun doit sauter dans les souliers d’un employé de n’importe quelle position hiérarchique d’une entité économique ou institutionnelle. De cette perspective, on peut percevoir la dimension cauchemardesque de ce fléau. Tout réside dans le rapport entre la position vulnérable des employés et celle économiquement et socialement forte des employeurs et des cadres au sommet de l’entreprise.
Les statistiques ne montrent pas la face cachée de l’iceberg. La majorité des victimes campent dans un silence intriguant et hésitent à cracher le morceau par peur d’être privé de leur gagne-pain.
Pour prendre la mesure du traumatisme qui paralyse les victimes de harcèlement, notamment sexuel, on peut se référer au récent ouvrage de l’auteur américain Ronan Farrow : Catch and Kill – lies, spies and a conspiracy to protect predators.
25 % des employés sur un échantillon de 700 salariés disent avoir souffert de situations de dévalorisation au travail. Vos commentaires…
Considérons au préalable la panoplie de formes à travers lesquelles le phénomène du harcèlement se manifeste. On peut évoquer trois variantes : le harcèlement moral, psychologique et sexuel.
Le harcèlement sexuel se réfère à des avances sexuelles non-sollicitées, que ce soit par le toucher, le regard, les pressions pour pousser à l’acte ou même des blagues à connotation sexuelle.
Pour leur part, le harcèlement moral ou psychologique garde une place de prédilection sur le lieu de travail. Le harcèlement entraîne une dégradation des conditions de travail.
12 % des employés affirment qu’ils sont dévalorisés sur leur lieu de travail et que cela les pousse à partir. Est-ce une tactique planifiée du patronat ?
Les techniques habituelles de harcèlement englobent, entre autres : pressions, reproches, blâmes, modifications du secteur d’activité, menaces de sanctions, attitudes agressives, critiques injustifiées, refus de dialoguer, remarques insidieuses, dénigrements, ridiculisation, moqueries, rapports conflictuels et difficiles, humiliations et mauvais traitements.
L’effet désastreux de cette avalanche de moyens est que le salarié est atteint dans sa dignité. Il est amené à opérer dans une atmosphère malsaine, susceptible de porter atteinte à ses droits et d’altérer sa santé physique.
La peur, la frustration, la perte de satisfaction au travail sont autant d’ingrédients qui poussent l’employé vers la porte de sortie.
Cela peut même culminer au suicide comme cela a été le cas à France Télécom et chez Renault en France.
La peur, la frustration, la perte de satisfaction au travail poussent l’employé vers la porte de sortie.
La législation locale protège-t-elle un employé victime de harcèlement sur son lieu de travail ?
On peut élaborer sur ce que prévoient le code pénal, le code du travail et la législation gouvernant les démarches discriminatoires. L’article 254 du code pénal local condamne le harcèlement sexuel.
De son côté l’article 25 de l’Equal Opportunities Act de 2008 définit et explicite le harcèlement sexuel dans ses aspects de discrimination sur la base de genre.
Plus spécifiquement, au niveau des relations de travail, l’Employment Rights Act de 2008 couvre un large éventail d’actes de harcèlement dans sa définition : any unwanted conduct, verbal, non-verbal, visual, psychological or physical, based on age, disability, HIV status, domestic circumstances, sex, sexual orientation, race, colour, language, religion, political, trade union or other opinion or belief, national or social origin, association with a minority, birth or other status, which occurs in circumstances where a reasonable person would consider the conduct as harassment of the worker. Les termes bullying et verbal abuse sont aussi définies.
Qu’en est-il lorsque le harcèlement mène au licenciement injustifié ou abusif d’un employé ?
Il est impératif de distinguer deux types de licenciement. Il y a le licenciement normal sur la base de faute grave où l’employeur prend l’initiative de la rupture de contrat.
Dans le domaine du harcèlement, le mécanisme s’avère différent. Ici, le salarié est pris dans un engrenage de reproches, de brimades répétitives le rendant prisonnier d’une atmosphère de travail malsaine. Dans le cadre de ces situations dramatiques, souvent, l’objectif visé par l’employeur n’est nul autre que de créer des conditions qui poussent le salarié vers la porte de sortie de son propre gré. Dans ce cas de figure, le salarié se laisse faire ou ne connaissant pas ses droits, la fin tragique aboutit à une démission tout court de l’employé résigné, démoralisé, dégoûté et dépité. Ou il est licencié sur la base de faute grave de ne pouvoir pas répondre à ses tâches octroyées dans cet environnement dégradant.
Par contre, un employé victime qui ne se laisse pas taper sur les doigts peut s’engager dans un processus de résistance aux actes de harcèlement en reprochant à l’employeur les faits, le manquement de ce dernier à ses obligations contractuelles de pourvoir de bonne foi au salarié les considérations appropriées et des conditions saines de travail.
L’article 1134 du Code civil mauricien précise que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi ceux qui les ont faites et doivent être exécutées de bonne foi. Ainsi, le salarié peut quitter ou démissionner de son travail, prendre acte de la rupture de son contrat de travail à l’initiative et aux torts de l’employeur et demander à la justice une requalification de celle-ci en licenciement sans cause réelle et sérieuse, ce qu’on appelle dans le jargon légal anglais : constructive dismissal.
Quel recours a l’employé pour obtenir justice ?
Le salarié peut rapporter le cas au ministère du Travail qui demanderait à sa section d’inspectorat de procéder à des investigations plus approfondies et d’entamer des suites pénales. Pour les délits d’ordre sexuel, il peut avoir recours à la justice pour des suites pénales sous l’article 254 du Code pénal mentionné plus haut. Si l’acte de harcèlement est de caractère discriminatoire, l’Equal Oppportunities Commission aussi demeure un forum de recours.
Est-ce que la nouvelle loi est en faveur des employés comme le prétend le patronat ?
Il faut jeter un regard perspicace dans le rétroviseur des droits du travail. À partir de 2008 se dessine un recul criminel des droits des travailleurs, en termes des dérégulations et de détricotage systématique des codes du travail. C’est la politique arrêtée par Navin Ramgoolam et Rama Sithanen en 2006, qui allait accoucher la politique de Hire and Fire amenant la naissance de l’Employment Rights Act de 2008. Ainsi, les travailleurs perdaient sur plusieurs fronts, essentiellement les trois mois de préavis, en cas de licenciement, pour ne leur laisser qu’un mois. Il y aussi le normal rate de quinze jours par année de service en cas de licenciement injustifié qui était gommé. Le Termination of Contract Service Board qui régissait les licenciements économiques a disparu de la carte du domaine industriel.
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