La délinquance juvénile est un phénomène social en constante expansion. Elle a progressé de près de 4 % de 2015 à 2016, selon Statistics Mauritius. Plusieurs facteurs en sont responsables dans une société où l’autorité parentale est en déclin.
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Le conflit de générations n’est pas un phénomène nouveau. Et les jeunes continuent de causer pas mal de soucis à leurs parents. Sauf qu’auparavant, les parents avaient plus de temps à leur consacrer. « Nos parents ne font pas assez attention à nous. Ils partent tôt le matin et reviennent tard l’après-midi. Du coup, ils ne savent même pas à quelle heure on rentre à la maison. Pena oken kontrol », confie Teddy, un adolescent rencontré à la gare routière, à la sortie du collège.
À cette heure de la journée, les gares sont investies par des milliers de collégiens. Si certains s’empressent de rentrer chez eux, d’autres errent des heures sous les abris-bus. « En fait, nous ne faisons rien de mal. Les adultes ne nous comprennent pas et ils ont trop de préjugés à notre égard. Zoure, koz for, fim enn sigaret... Ce sont des choses normales pour un jeune », lâche pour sa part Ashish.
«Incompris et vulnérable»
Être récalcitrant, transgresser les règles, défier l’autorité... « C’est en fait un langage pour le jeune. Incompris et vulnérable, c’est sa façon d’exprimer sa frustration et son mal-être », explique Jacques Lafitte, ancien enseignant et travailleur social. Selon lui, les jeunes ne sont pas à blâmer et ils ne sont pas non plus pires que les jeunes d’autrefois. « C’est le contexte qui est différent. Les parents sont désemparés face à une jeunesse qui évolue trop vite », dit-il.
Même constat pour le sociologue Ibrahim Koodooruth: « Aujourd’hui, c’est l’environnement dans lequel le jeune vit qui influe sur son comportement. On l’accuse de mal s’exprimer, mais est-ce qu’à la maison on lui apprend comment parler comme il faut ? Est-ce qu’on parle correctement ? Est-ce qu’on se parle tout court ? Le constat au final, c’est que l’enfant n’est pas à blâmer. Il ne reproduit que ce qu’il voit et entend ».
Jacqueline, mère de deux garçons, ne dira pas le contraire. Victime d’un mari alcoolique et violent, elle décide un jour de le quitter. Ses fils ont alors neuf et sept ans. Elle cumule des petits boulots et élève seule ses fils. Si l’aîné terminera sans problème sa scolarité dans un collège très réputé des hautes Plaines-Wilhems, le cadet donnera du fil à retordre à sa mère. « Depuis le primaire, c’était un enfant difficile. J’ai tout essayé, mais rien n’a marché », regrette Jacqueline.
À 13 ans, épinglé pour une histoire de vol de portable, l’adolescent sera placé en maison de correction avec le consentement de sa mère. « Pli gran ererr monn fer sa, monn aksepte li al dan sa sant koreksionel-la. Je pensais qu’il aurait eu une correction, mais bien au contraire, il s’y est fait des amis encore moins recommandables que ceux qu’il avait avant ».
À sa sortie du centre, avec ces nouveaux amis, l’adolescent multiplie les frasques au grand dam de sa mère. Il ne va plus à l’école, il traîne dans les rues toute la journée, il rentre tard le soir… « À 16 ans, il a quitté la maison sans donner de nouvelles. Quelques mois plus tard, il est revenu à la maison recouvert de sang. Il avait été frappé et jusqu’à aujourd’hui, je ne sais pas pourquoi ni par qui ».
Aujourd’hui âgé de 19 ans, le jeune homme vit toujours aux crochets de sa mère. Il fait des petits boulots à l’occasion. Il quitte la maison les jours de paye et revient quand il n’a plus de sou. Le fils aîné, qui lui a pris de l’emploi dans une firme privée, ne comprend pas toujours le choix de sa mère de passer sur les déboires de son frère.
C’est dire que chaque enfant réagit différemment face aux difficultés de la vie. D’ailleurs, Ibrahim Koodooruth affirme que : « Il n’est pas systématique qu’un enfant issu d’une famille brisée tourne mal. Même s’il a plus de chance de développer de mauvais comportements. Et quand nous analysons le profil des jeunes délinquants, ils viennent en majorité de familles à problème. » Ce sont généralement des enfants victimes ou témoins de violence qui souffrent émotionnellement.
Sergent Elvis Théodule : «La plupart des jeunes sont conscients de ce qui est bien ou pas»
Le sergent Elvis Théodule, de la brigade pour la protection des mineurs, compte plus de 30 ans années de service dans la police. Il revient sur le rôle de la brigade, qui n’est pas du tout de punir mais de protéger les enfants.
Pourquoi les jeunes sont-ils aussi violents ?
En réalité, ils ne mesurent pas les conséquences de leurs actes et agissent dans l’ignorance. Le gros problème de comportement des jeunes est basé sur leur orgueil. Quand ils sont en groupe, ils ressentent le besoin de se montrer forts, invincibles, arrogants... Il suffit souvent de savoir communiquer avec eux, d’utiliser les bons mots et la bonne méthode. Souvent, on nous traite de ‘brigade do-mineure’, il faut savoir que l’appellation exacte de cette unité de la police ce n’est pas la brigade des mineurs, mais la brigade pour la protection des mineurs. La jeunesse, c’est notre relève, et notre politique, c’est d’agir dans l’intérêt de l’enfant. Il ne faut pas qu’il fasse les frais d’une erreur de jeunesse toute sa vie.
Quel est le rôle justement de cette brigade ?
Nous avons surtout le rôle d’informer les jeunes sur les conséquences de leurs actes. On leur parle de la loi et de ce qu’elle prévoit s’ils l’enfreignent. La majorité d’entre eux n’en sont pas conscients. Mais une fois au courant, ils changent totalement d’attitude. Par exemple, l’école buissonnière qui se fait de plus en plus rare. Nous avons expliqué aux collégiens comment cet acte pouvait entraîner d’autres problèmes plus graves et illégaux comme des relations sexuelles en dessous de 16 ans, des agression. Actuellement, il s’agit davantage de cas de violence. Ainsi, lors de nos causeries dans les écoles, nous leur faisons comprendre qu’une simple agression n’est peut-être passible que d’une amende de Rs 1 500, mais que cela restera sur leur certificat de caractère pendant plus de 10 ans. Ils auraient donc fait autant d’efforts pour étudier pour rien. Ils perdront bêtement 10 ans de leur vie. Je dois dire que la majorité des jeunes sont conscients de ce qui est bien ou pas bien. Les cas que nous avons rencontrés ces derniers temps sont des exceptions, car ce n’est pas tous les jours que l’on arrête un jeune pour braquage ou pour agression sur un policier.
Et quand le dialogue ne suffit plus ?
L’enfant est conduit devant un Probation Officer. Là encore, il aura droit à toutes les explications sur les implications de ses actes. Il sera suivi régulièrement et en cas de récidive, il sera traduit devant le magistrat. Il sera alors placé en maison correctionnelle pour deux semaines. Normalement, après cette première étape, la plupart des jeunes souhaitent retourner à la maison. Il y a ceux qui retiennent la leçon et d’autres qui rechutent au bout quelques mois. Ils sont alors reconduits devant le magistrat avant d’être placés au centre de réhabilitation jusqu’à l’âge de 18 ans.
En chiffres
Statistics Mauritius fait état d’une hausse de près de 4 % de la délinquance juvénile. Le nombre de jeunes impliqués dans les délits a augmenté de 717 en 2015 à 743 en 2016. Les délits contre la propriété et ceux liés à la drogue sont les plus récurrents. En 2015, 56 jeunes avaient été arrêtés pour des délits de drogue contre 72 en 2016. Parallèlement, les admissions en maison correctionnelle ont également augmenté en 2016. Soit 35 % de plus que l’année précédente. La plupart de ces mineurs ont été épinglés pour des cas de vol.
Ibrahim Koodooruth : «Ils n’ont pas de bons ‘role models’»
Pour le sociologue Ibrahim Koodooruth, les jeunes d’aujourd’hui ne sont pas bien différents de ceux d’hier. Ce sont les adultes d’aujourd’hui qui ont tendance à voir les choses de cette manière.
« À mon époque, les collégiens faisaient des choses pires que ce que nous entendons aujourd’hui. Mais il s’agissait toujours d’exception ou d’un petit groupe. Venir dire que les jeunes sont plus mal élevés qu’auparavant n’est pas vrai. C’est une exagération. Il faut analyser le contexte dans lequel le jeune vit aujourd’hui. Nous avons élevé nos enfants comme des rois en leur donnant tout ce qu’ils demandent (argent, portable, vêtements et chaussures de marque...) et tous les pouvoirs. Pourquoi alors s’en étonner s’ils sont si arrogants et se croient tout permis ? »
Ainsi selon le sociologue, c’est l’environnement dans lequel le jeune évolue qui influe sur son comportement. Il ne fait que reproduire ce qu’il voit et ce qu’il entend, que ce soit à la maison, dans la société ou dans les medias. « Quand un jeune voit aujourd’hui la file de cols blancs impliqués d’une manière ou d’une autre dans le trafic de drogue ou des parlementaires qui se chamaillent et utilisent un langage ordurier, qu’est-ce que cela lui inspire ? Ils n’ont donc pas de bons ‘role models’. Aujourd’hui, on parle beaucoup de loi et de droit, mais la moralité et la conscience individuelle n’existent plus », déplore Ibrahim Koodooruth.
Jacques Lafitte : «Accompagner au lieu de contrôler et surprotéger»
Ancien enseignant, travailleur social et formateur de l’école des parents, Jacques Lafitte est convaincu que derrière chaque jeune difficile et à problème, il y a une famille brisée ou des parents « kinn fer zanfan e ki finn larg dan la natir ». Il insiste ainsi sur la nécessité d’accompagner les enfants plutôt que de leur imposer des choses et les réprimander. « Les parents sont désemparés et ne savent pas comment gérer leurs gosses. Ils s’obstinent à vouloir utiliser les mêmes moyens que leurs parents à eux pour bien élever leurs enfants. » Sauf que l’ancienne méthode ne fonctionne plus. Il faut privilégier le dialogue, la compréhension, l’encadrement et l’accompagnement. Les parents se plaignent tous de leurs enfants qui n’obéissent pas et qui font le contraire de ce qu’on leur demande.
Pour le travailleur social, le refus d’obéir chez l’enfant constitue un langage, un moyen d’expression. « Face à son parent qui crie, qui menace et qui impose, ne pouvant répliquer de la même manière, il le contredit par ses actions. Il désobéit. » D’où l’importance de savoir dialoguer avec l’enfant, de savoir l’écouter et de l’encourager. « Il faut pouvoir le rejoindre dans son monde, être son complice, son ami. L’accompagner au lieu de le contrôler et le surprotéger », conseille Jacques Lafitte.
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