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L’alerte cyclonique de classe 3 pour Garance a-t-elle été levée trop tôt ? Entre incertitudes des modèles numériques, pressions économiques et communication météorologique, experts et amateurs s’interrogent sur la gestion des alertes et la compréhension du bulletin de sécurité par le public.
Il y a encore de nombreuses incompréhensions par rapport au bulletin de sécurité lorsque la classe 3, par exemple, est levée. « Les Mauriciens ne comprennent pas ce qu’est un bulletin de sécurité, et certains ne savent pas trop s’il faut sortir ou pas », explique Vassen Kauppaymuthoo. Il est d’avis qu’il reste encore beaucoup à faire en matière d’éducation et de sensibilisation à ce sujet.
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L’océanographe estime aussi que l’alerte cyclonique de classe 3 a peut-être été levée trop rapidement en raison de pressions exercées par le milieu des affaires, qui craignait de perdre une journée de travail supplémentaire. Selon lui, si l’alerte avait été levée vers 9 heures ou 10 heures, de nombreuses personnes n’auraient sans doute pas repris le travail. Ce qui aurait entraîné une autre journée perdue.
Il explique que les modèles numériques sont des modèles mathématiques dont la précision est incertaine. Et ils évoluent d’heure en heure. Ces systèmes sont certes fiables, mais ils ne sont souvent pas en accord les uns avec les autres. Pour lui, ces modèles sont au service des humains, qui prennent une décision en fonction des données disponibles. C’est ce qui s’est passé au niveau des services météo locaux, qui ont dû prendre en considération l’aspect social.
« On sépare fréquemment les cyclones des phénomènes océanographiques. On oublie qu’un cyclone n’est pas seulement du vent et de la pluie. Il génère aussi des houles, des marées de tempête et des submersions marines », dit-il.
Ainsi, il est possible qu’un modèle numérique indique qu’un système passera sur La Réunion, mais que la submersion marine affecte Maurice, comme ce fut le cas lors du cyclone Belal, ajoute Vassen Kauppaymuthoo. « En prenant en considération tous ces paramètres, c’est un humain qui prend de prudentes décisions », dit-il.
Ainsi, en dépit des critiques que les services météo locaux essuient actuellement, ils ont pris une décision pour protéger la population. Celle-ci a évité un cafouillage en cas de changement de trajectoire du cyclone. Il n’est pas sain de comparer Maurice avec La Réunion, car chaque station a sa propre méthode de fonctionnement.
Rakesh Narain, météorologue amateur du site Météo Hub, avance que le cyclone tropical Garance a déjoué les modèles numériques, tant en termes de trajectoire que d’intensité. « On pensait que le système allait passer au plus près de Maurice dans la soirée de mercredi soir ou dans la matinée de jeudi. Ce qui n’a pas été le cas, car le cyclone a ralenti contrairement aux prévisions initiales », dit-il.
Selon lui, les services météo locaux ont émis des alertes en fonction du positionnement et de l’intensité du système. Ces alertes ont été émises en fonction des données disponibles, qui ont ensuite évolué.
Pas preuve d'excès de prudence
Pour le météorologue amateur, les services météo locaux n’ont pas fait preuve d’excès de prudence. Ils ont suivi un protocole établi en fonction des scénarios possibles. Cependant, dans la nuit de mercredi, le cyclone tropical Garance s’est déplacé très lentement. Ce qui a retardé son influence sur l’île. Et même s’il était acquis que le système se dirigerait vers le sud, le moment exact de ce déplacement restait incertain, explique Rakesh Narain.
« Les prévisions des services météo locaux et de Météo France sont différentes. Parce que les analyses de chaque pays ont mené à des conclusions en fonction des déplacements réels du système », ajoute-t-il. Il estime également que les services météo locaux sont restés optimistes jusqu’au bout, jusqu’à ce qu’il soit définitivement établi que Garance se dirigerait vers La Réunion et non vers Maurice.
Selon Rakesh Narain, le changement climatique complique de plus en plus les prévisions météorologiques, en particulier dans les pays tropicaux comme Maurice. Il soutient que le système d’alerte, allant de la classe 1 à 4, fonctionne selon le protocole établi et reste pertinent dans le contexte du changement climatique.
Cependant, notre interlocuteur estime qu’il y a des améliorations à apporter au niveau du bulletin de sécurité, qui est mal compris ou mal interprété. Pour lui, celui-ci ne devrait pas uniquement prendre en compte l’état des infrastructures et des routes pour déterminer si le public peut sortir. Il doit aussi intégrer les prévisions des services météo locaux et mentionner que le temps restera venteux, avec des rafales, etc.
« La communication du National Emergency Operations Command (NEOC) doit indiquer que la météo prévoit de la pluie et du vent pendant un certain temps après un cyclone. Même lorsque les alertes cycloniques ont été levées », dit-il.
Rakesh Narain est d’avis qu’il aurait été plus judicieux d’attendre encore quelques heures avant de lever toutes les alertes. Celles-ci ont été levées parce qu’il n’y avait plus de risque de conditions cycloniques sur l’île. Le système avait atteint son point le plus rapproché de Maurice et il s’éloignait progressivement de la région. Le météorologue amateur plaide aussi pour une meilleure communication du NEOC, avec un jargon plus simple et accessible à tous.
Le centre météorologique régional spécialisé cyclones (CMRS) installé à La Réunion opère sous l’égide de l’Organisation météorologique mondiale (OMM). Mais chaque pays de l’océan Indien reste souverain dans les décisions qu’il prend pour un événement exceptionnel, ajoute Vassen Kauppaymuthoo. « L’OMM agit comme un facilitateur, mais une meilleure coordination entre Maurice et le CMRS serait souhaitable en matière de suivi des cyclones. Toutefois, des facteurs socio-économiques différents existent entre Maurice et La Réunion. Il faudrait sans doute harmoniser les systèmes d’alerte et adopter un code couleur au lieu du système actuel basé sur des chiffres », dit-il.
Mishra MB, un autre météorologue amateur du site Storm Tracking, ajoute que Garance est un système issu du flux de mousson et de l’onde de Rossby. Il s’agissait d’un cyclone avec un petit diamètre, mais très puissant. Il souligne que ce type de système peut s’intensifier de manière explosive. « Ils réagissent rapidement à leur environnement, mais s’affaiblissent également très vite, souvent à cause d’une augmentation du cisaillement ou d’une intrusion d’air sec », dit-il.
Notre interlocuteur ajoute que les services météo locaux ont leur propre façon de travailler et suivent à la lettre un protocole établi depuis des années. « Pour Garance, les services météo locaux ont pris un maximum de précautions en raison de sa proximité et de l’intensité qu’il allait atteindre, c’est-à-dire un cyclone tropical. »
Il est cependant d’avis que l’alerte de classe 1 a été émise un peu trop tôt pour cet épisode cyclonique, et surtout l’alerte de classe 3. La faible vitesse de déplacement du cyclone lui a permis de dévier plusieurs fois vers une trajectoire plus à l’est pendant un bon moment. « Plus un cyclone avance lentement, plus la probabilité d’un changement de trajectoire augmente », explique-t-il.Mishra MB ajoute que les services météo locaux ont leurs propres méthodes de prévision et ne se fient pas entièrement aux modèles numériques. Ce qui est différent de Météo France, qui s’appuie souvent sur les prévisions du modèle GFS. « C’est ce qui peut expliquer cette divergence entre les deux organismes», dit-il.
Selon lui, lorsqu’un cyclone s’approche de la région, il faut le suivre en temps réel, car des déviations de dernière minute sont possibles. « Il ne faut donc pas se fier aveuglément aux prévisions des modèles numériques », conclut-il.
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