À l’approche des élections, Bhavish Jugurnath analyse l’état de l’économie mauricienne. L’économiste souligne les enjeux liés à l’inflation, la régulation des prix et l’impact des incertitudes politiques sur la croissance. Pour lui, les partis politiques doivent prioriser des mesures pour stabiliser les prix.
Comment évaluez-vous l’état de l’économie mauricienne à l’approche des élections ?
L’économie mauricienne s’est fortement redressée après l’impact de la pandémie, grâce à des mesures fiscales et des « absorbers » mis en place contre les chocs externes antérieurs à la pandémie. La croissance du Produit Intérieur Brut (PIB) réel a atteint 8,9 % en 2022, soutenue par la reprise du tourisme et de l’industrie manufacturière. En 2023, la croissance s’est maintenue à 6,9 %, la production ayant désormais dépassé son niveau d’avant la pandémie. Le dynamisme du tourisme, la construction de logements sociaux, ainsi que les solides performances des secteurs des transports et des services financiers ont stimulé cette croissance. Les perspectives de croissance demeurent favorables : en 2024, le PIB réel devrait progresser de 4,9 %, porté par la construction et le retour du tourisme à des niveaux élevés d’avant la pandémie. L’inflation globale devrait baisser à 4,9 % en moyenne en 2024, principalement sous l’effet des dynamiques internationales des prix du pétrole et des denrées alimentaires. Un afflux de 1,3 million de touristes pourrait également stimuler la croissance cette année. Cependant, une préoccupation majeure reste la dette publique, qui atteint 78,6 % du PIB et dépasse la barre des Rs 500 milliards. La politique budgétaire pour l’exercice 2023-2024 devrait être expansionniste, avec un déficit budgétaire primaire prévu à 2,9 % du PIB. Il est crucial de mettre en œuvre un plan de consolidation budgétaire à moyen terme pour réduire la dette publique et reconstruire les réserves fiscales, en mobilisant des revenus supplémentaires et en réduisant les dépenses courantes, tout en protégeant les plus vulnérables.
Quelles sont les priorités économiques que les partis politiques devraient aborder durant cette campagne ?
Une recalibration des politiques macroéconomiques est nécessaire pour aider à reconstituer les réserves fiscales. La hausse des prix des biens essentiels peut affecter significativement le quotidien des citoyens, en particulier ceux ayant des revenus modestes. L’inflation, actuellement d’environ 6 %, touche tout le monde, mais elle affecte plus durement les ménages à faible revenu, qui consacrent une plus grande part de leur budget aux biens essentiels. Pour les personnes vivant de revenus fixes, comme les bénéficiaires de prestations sociales ou d’invalidité, ces hausses de prix représentent un défi. D’un point de vue macroéconomique, si ces augmentations de prix persistent, elles pourraient alimenter les pressions inflationnistes, ce qui serait préjudiciable à l’économie et à la population. Par conséquent, la priorité principale des partis politiques devrait être la réduction du coût de la vie et la stabilité des prix des produits de première nécessité.
Les incertitudes politiques autour des élections peuvent freiner temporairement la croissance économique»
Justement, la hausse des prix des biens essentiels a été une préoccupation majeure pour la population. Comment les propositions des différents partis pour alléger le coût de la vie peuvent-elles influencer la stabilité économique à long terme ?
Le taux de change du dollar par rapport à la roupie, qui s’élevait en moyenne à Rs 44,50 entre septembre et décembre 2023, est passé à Rs 45 en janvier 2024. Depuis février 2024, il est de Rs 46. Le 12 avril, le taux de change atteignait Rs 46,69. À cette allure, nous nous rapprochons d’un taux de Rs 50 pour décembre. La dépréciation par rapport au dollar est de 1,7 %, tandis qu’elle s’élève à 5,3 % par rapport à l’euro et à 4,7 % par rapport à la livre sterling. Bien que nous anticipions une baisse de l’inflation avec la résolution des problèmes d’approvisionnement et les politiques monétaires restrictives, une éventuelle augmentation des coûts de fret, couplée à la dépréciation de la roupie, pourrait entraîner une nouvelle hausse des prix. Des mesures politiques seront probablement nécessaires pour freiner ces augmentations. La hausse des prix des biens essentiels affecte de manière disproportionnée les ménages à faible revenu, soulignant l’importance de politiques visant à maîtriser l’inflation tout en protégeant les plus vulnérables. Le gouvernement a un rôle crucial à jouer dans la stabilisation des prix des produits de première nécessité, notamment par des politiques stratégiques et une gestion appropriée de l’offre. Les partis politiques doivent inclure dans leurs programmes des mesures visant à réguler les prix et à intervenir sur le marché pour garantir cette stabilité.
Quels sont les défis économiques que le prochain gouvernement devra relever ?
Après les conséquences dévastatrices et durables de la pandémie de COVID-19, le prochain gouvernement devra s’appuyer sur un cadre reposant sur la résilience, l’inclusivité et la création d’opportunités. Cela impliquera de revoir le tissu industriel du pays pour rendre les industries existantes moins vulnérables aux chocs économiques, tout en favorisant les secteurs à fort potentiel de croissance. Un processus de «réindustrialisation» permettrait d’améliorer les avantages compétitifs et d’orienter les nouvelles politiques industrielles vers l’innovation et l’investissement dans le capital humain à l’horizon 2025-2030. Les paradigmes actuels de croissance, tels que l’économie du savoir, l’économie numérique et la Quatrième Révolution Industrielle (4IR), devront être intégrés à cette réflexion, notamment en matière de perte d’emplois, de stagnation des salaires, de formation des travailleurs et de faibles niveaux de compétitivité. Notre dépendance vis-à-vis du secteur touristique reste forte, alors que nos principaux marchés européens sont durement affectés par la guerre en Ukraine. Pour stimuler la croissance, il est crucial de repenser notre stratégie économique pour attirer davantage d’investissements directs étrangers dans des secteurs porteurs comme la Fintech, le métavers, l’agriculture intelligente, le tourisme médical et un secteur offshore réinventé. Si nous n’atteignons pas les objectifs d’arrivées touristiques, il sera difficile d’obtenir une croissance de 6 %.
À quoi s’attendre d’ici la fin de l’année, marquée par les élections générales, en termes de croissance ?
Le processus électoral, incluant les campagnes et le vote, peut entraîner de légères perturbations économiques, mais ces effets sont généralement temporaires. Le gouvernement a tendance à augmenter ses dépenses avant les élections pour renforcer son soutien, ce qui peut entraîner un pic d’activité économique à court terme, mais au risque d’aggraver la dette publique à long terme. Ces dépenses concernent souvent des projets d’infrastructure ou des programmes sociaux. La période préélectorale et postélectorale est souvent marquée par une certaine incertitude politique, ce qui peut inciter les investisseurs à retarder leurs décisions, ralentissant temporairement la croissance économique. Étant donné que la campagne ne durera que quelques semaines, je m’attends à ce que la croissance du PIB d’ici la fin de l’année se situe entre 4 % et 4,5 %.
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