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Ministre de la Sécurité sociale, de l’Intégration sociale et de la Solidarité nationale depuis la victoire de l’Alliance du Changement, Ashok Subron n’a rien perdu de sa verve militante. Pour lui, les profiteurs qui cherchent à capter les ressources publiques au détriment du peuple, sont toujours à l’affût. Il plaide pour un assainissement du système, sans chasse aux sorcières, mais avec une fermeté inébranlable.
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On a connu un Ashok Subron à moto et en tenue décontractée. Aujourd’hui, le style est bien différent…
Une précision : j’ai effectivement roulé à moto pendant une vingtaine d’années, tout comme j’ai conduit une voiture reconditionnée durant plus de douze ans. Même en tant que ministre, je me déplace en Hyundai pour mes fonctions officielles, un véhicule fourni par l’État.
Deux Audi étaient déjà affectées aux ministres avant moi, mais ma voiture officielle est désormais une Volvo, plus adaptée aux missions de terrain. En tant que ministre responsable des centres de refuge, il est crucial d’avoir un véhicule fonctionnel en cas d’inondations ou de cyclones. C’est pratique.
Quel effet cela fait-il d’être ministre?
Ki lefe sa fer mwa ? Pour moi, une voiture officielle reste un simple outil de travail. J’ai d’ailleurs fait remettre la plaque d’immatriculation originale RM, qui n’est plus personnalisée. Ce n’est pas un privilège, mais un moyen d’exécuter les fonctions que mon parti et le Premier ministre m’ont confiées. Si demain l’État me donne une voiture de seconde main, je n’aurai rien à redire.
Comparé au local modeste du quartier général de Rezistans ek Alternativ (ReA) à Moka, votre bureau ministériel au 13e étage du NPF Building est tout autre…
Biro ReA Moka se an realite lakaz ki monn erite de mo mama, ki apre monn lege legalman a CARES/Rezistans ek Alternativ. Ma maman était une employée du 13e étage du NPF Building. C’est un bureau de ministre, aménagé et personnalisé. Il est bien spacieux et utile. C’est un bureau de fonction, rien de plus. Si demain l’État décide de me donner un autre bureau, cela ne me posera aucun problème, tout comme pour la voiture.
Est-ce difficile de troquer ses vêtements de syndicaliste et de négociateur contre une tenue plus protocolaire ?
C’est une réalité. Cela m’a pris du temps pour la transition. Avant, je ne choisissais jamais mes vêtements la veille. Aujourd’hui, c’est le cas. Puis, comme vous l’avez si bien dit, j’ai toujours porté des habits simples. Maintenant, avec le protocole, je porte une cravate et un costume, alors qu’auparavant je n’en portais jamais et n’en possédais même pas. Je dois admettre que je me suis offert un ‘blazer’ la veille de la présentation des candidats. Quand je me suis vu dans le miroir, j’ai eu du mal à me reconnaître !
Toutefois, tout en respectant les codes occidentaux, j’ai choisi des habits issus de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique et dans lesquels je me sens à l’aise lors des fonctions officielles. J’ai reçu beaucoup de compliments, y compris du Premier ministre, de mes collègues ministres, des députés et du peuple en général.
Après tout, ne dit-on pas que « l’habit ne fait pas le moine » et comme on dit en kreol, « pa kapav get zozo par so plim ». Mais rien ne me fait plus plaisir que de retrouver mon jean, mon T-shirt et mes baskets lors de mes jours de repos ! Peu importe la voiture dans laquelle je roule ou la tenue que je porte, ce qui m’importe, c’est de rester fidèle aux convictions de Papillon que je défends.
Un des dossiers prioritaires de notre mandat est la remise sur pied du National Pension Scheme 2.0, qui avait été démantelé par l’ancien gouvernement.»
Depuis votre entrée en fonction, quels dossiers avez-vous dépoussiérés en priorité ?
Je gère deux ministères : la Sécurité sociale et l’Intégration sociale. C’est le plus grand ministère en termes de citoyens concernés, mais aussi en termes de budget et d’actifs gérés.
Quels sont les principaux axes de travail ?
Le ministère de la Sécurité sociale administre les pensions de retraite, les allocations pour les personnes en difficulté, celles en situation de handicap, les veuves, ainsi que diverses aides sociales. Il gère aussi le Fonds de solidarité nationale, les pensions sous le NPF, la retraite des travailleurs via le Portable Retirement Gratuity Fund et les allocations du Transition Unemployment Benefit et du Workfare Programme.
Quant au ministère de l’Intégration sociale, il gère essentiellement la National Empowerment Foundation (NEF), qui soutient les Mauriciens en précarité, ainsi que la National Social Inclusion Foundation (NSIF), qui finance des projets associatifs et des organisations non gouvernementales (ONG).
Quelle a été votre priorité en arrivant au ministère avec votre Junior Minister Kugan Parapen ?
Dès notre prise de fonction, notre première mission a été de garantir le paiement du 14ᵉ mois aux pensionnés et aux bénéficiaires d’allocations. Il était crucial que cet argent leur soit versé « at one go ». Ensuite, nous avons réalisé un état des lieux et dressé un bilan catastrophique : plusieurs services sont en crise.
De quelle crise s’agit-il exactement ?
Saviez-vous que plus de 5 000 travailleurs ayant pris leur retraite n’avaient toujours pas touché leurs Retirement Benefits ? Certains attendaient depuis plus de deux ans… et d’autres sont même décédés sans jamais les percevoir.
Savez-vous que pour environ 150 000 travailleurs, les employeurs n’ont jamais transmis les informations nécessaires à la Mauritius Revenue Authority (MRA) ni ne les ont entrées dans le service informatisé de l’organisme ? Résultat : ces employés du secteur privé risquent de graves complications au moment de prendre leur retraite. Cette situation cause un immense préjudice aux travailleurs.
Vous abordez un sujet sensible…
Je prends la question des Disabilities Benefits. Dès mon entrée en fonction, une première préoccupation majeure est apparue : les nombreuses doléances publiques. Il me fallait des données statistiques et scientifiques pour comprendre l’insatisfaction du public. Actuellement, 50 % des cas examinés par le Medical Board sont rejetés.
De plus, les allocations pour les personnes en situation de handicap ne sont accordées que pour une année et seuls 4 % des patients bénéficient d’une pension permanente. Savez-vous que le temps d’examen d’un patient par le Medical Board est de seulement 15 minutes ? Plus de 5 000 dossiers sont rejetés et d’autres sont renvoyés pour un an ou deux ans.
Qu’est-ce qui ne fonctionne pas dans le système ?
Il est clair que le système est engorgé et dépassé. Mon Junior Minister et moi nous attelons donc à dépoussiérer ce dossier en urgence afin d’y apporter des réformes.
Quelle est la suite ?
Il y a urgence. D’abord, aucun recrutement adéquat n’a été effectué ces dix dernières années. Ensuite, le personnel n’a pas reçu de formation suffisante et la gestion des dossiers est catastrophique. Lors de notre visite au bureau de la Sécurité sociale de Rose-Hill, nous avons constaté que des dizaines de milliers de dossiers n’ont jamais été digitalisés. C’est pourquoi j’ai relancé le recrutement et enclenché le processus de digitalisation, qui avait été bloqué par l’ancien gouvernement.
Et l’intégration sociale?
Nous avons introduit une innovation dans le processus de recrutement du Director of the Board de la NEF : un exercice d’Expression of Interest. Nous avons reçu 269 candidatures. Nous avons également organisé une Assise nationale réunissant les mouvements associatifs et les ONG afin de redéfinir le rôle du NSIF et des CSR (Corporate Social Responsibility ; NdlR) dans un contexte de changement d’approche. Un des dossiers prioritaires de notre mandat est la remise sur pied du National Pension Scheme 2.0, qui avait été démantelé par l’ancien gouvernement.
Il y a plusieurs demandes des personnes âgées concernant le versement du Basic Retirement Pension. Si le 1er tombe un samedi et le 2 un dimanche, elles souhaitent recevoir leur paiement le 30 ou 31 du mois précédent en raison des Standing Orders envers les banques. Pouvez-vous satisfaire cette demande ?
Des demandes ont été effectivement formulées. Nous devons réorganiser nos logiciels et trouver des arrangements avec les banques. J’ai déjà donné des instructions en ce sens.
Ceux qui ont porté préjudice à l’intérêt public doivent rendre des comptes. ‘Koriz linzistis pou ditor ek prezidis pa ekivo a vanzans’ !»
Le gouvernement semble très sensible au programme de ReA et commence à l’appliquer. Comment l’expliquez-vous alors que votre parti ne compte que trois élus ?
Dans l’accord entre le PTR/MMM/ND et ReA, plusieurs points ont été appliqués et constituent notre colonne vertébrale. Nous y tenons. Bien que nous ne comptions que trois élus – un Junior Minister, un ministre et une députée qui a contribué à détrôner Pravind Jugnauth –, l’apport significatif et qualitatif du Papillon dans le changement et la victoire de 60-0 de l’Alliance du Changement est reconnu par tous.
De plus, ReA est un parti éco-socialiste fondé sur une alternative politique qui prend racine dans notre combat d’opposition extra-parlementaire depuis vingt ans. Nos luttes pour le mauricianisme, la classe ouvrière, l’écologie et la démocratie participative ne sont pas conjoncturelles mais s’inscrivent dans une cohérence philosophique bien ancrée, pas seulement pour des élections générales.
Diriez-vous que ReA insuffle un vent de nouveauté et d’idées au gouvernement ?
Oui bien sûr, tout en respectant l’apport de nos alliés en termes historiques. Nos partenaires ont déjà connu l’exercice du pouvoir ou de l’opposition officielle, mais pour une large frange de l’électorat, surtout les jeunes, ReA incarne la vision du changement et la rupture pour laquelle le peuple a voté en novembre 2024.
C’est ce petit plus qui manquait, dirait-on ?
Prenons l’exemple des comités interministériels, qu’il s’agisse du Local Government, de l’Énergie ou encore du Travail concernant les migrants. ReA a formulé plusieurs propositions qui ont été retenues par l’ensemble du gouvernement. Puis il faut reconnaître la qualité des interventions de nos deux autres élus à l’Assemblée nationale, à savoir le Dr Babita Thannoo et Kugan Parapen.
La Confédération des travailleurs des secteurs public et privé (CTSP) est très remontée contre vous en tant qu’ex-syndicaliste par rapport aux licenciements, au non-respect du salaire minimum et à l’augmentation qui a eu lieu fin janvier 2025. Que répondez-vous à ces reproches ?
Contrairement à l’époque du gouvernement précédent, les syndicats ont désormais pleinement le droit de critiquer les ministres san ki zot bizin kas disik lor latet gouvernnman di zour pour être entendus. Je pense que tout changement doit s’opérer dans la contradiction et la contestation.
Pour ce qui est des licenciements, je vois à quoi vous faites référence. Dans le cas de Harel Mallac, une offre raisonnable de compensation a été proposée par le Redundancy Board. En revanche, pour Star Knitwear, les propriétaires ont abusé de l’argent public en faisant du chantage et en exigeant des fonds supplémentaires de plus de Rs 900 millions de la MIC (Mauritius Investment Corporation ; NdlR), après avoir déjà bénéficié de millions de roupies. L’entreprise a été placée en insolvabilité. Je me suis assuré que tous les droits des employés sont respectés.
Le non-respect du salaire minimal ?
Le salaire minimal est actuellement de Rs 16 500 et il passera à Rs 17 110. En ce qui concerne le réajustement du revenu minimum garanti réclamé par la CTSP, c’est un autre débat. Il faut être honnête : la première législation adoptée par notre gouvernement visait justement à garantir un réajustement de Rs 2 925 pour tous les travailleurs du secteur privé, bénéficiant ainsi à près de 350 000 employés. C’est grâce à l’Alliance du Changement et à ReA que les travailleurs peuvent aujourd’hui dormir sur leurs deux oreilles.
De plus, c’est la première fois dans l’histoire du pays que les employés des secteurs public et privé ont perçu un 14e mois de salaire gratuit, une mesure qui a concerné environ 90 % des travailleurs, et ce, malgré l’héritage économique catastrophique laissé par le Mouvement socialiste militant (MSM).
Cela fait plus de 100 jours que ce gouvernement est au pouvoir. Quel premier bilan ?
Parlons-en. Il est important de souligner les nombreuses mesures mises en place en faveur des travailleurs en un laps de temps relativement court. Ensuite, nous avons supprimé la carte biométrique liée à la carte SIM, restauré les pouvoirs du Directeur des poursuites publiques (DPP) ; reconnu officiellement Anna de Bengale (femme esclave militante, symbole de liberté et de résistance, qui, avec ses amis, mirent le feu au Fort Frederick Hendrick, à Vieux-Grand-Port ; NdlR) ; mis fin aux écoutes téléphoniques abusives et à la surveillance des citoyens. Sans compter la gestion de la crise de l’eau et de l’électricité que nous a léguées le MSM.
Un bilan positif ?
C’est un bilan positif, mais il reste encore beaucoup à faire. Mo dakor ki pli gro travay res a fer. Nous avons besoin du soutien actif de la population. Je dois dire au peuple que les gros capitalistes, les profiteurs, les spéculateurs et autres parasites, qui gravitent autour de l’État, sont toujours là.
Ces profiteurs feront tout pour bloquer et détourner le changement que le peuple a choisi en novembre 2024. Il est essentiel que la population, dans son ensemble, défende sa victoire. L’intérêt privé et pécuniaire ne peut primer sur l’intérêt public, la justice sociale, la transparence et l’équilibre écologique.
Depuis quelque temps, le gouvernement découvre des scandales, des manquements et des prêts toxiques. S’agit-il d’une politique de vengeance ?
Pas du tout. Ceux qui ont porté préjudice à l’intérêt public doivent rendre des comptes. Koriz linzistis pou ditor ek prezidis pa ekivo a vanzans !
Venons-en au dossier Chagos. Serait-ce une bonne chose que de céder Diego Garcia aux États-Unis pour 100 ans en échange d’une location ? N’est-ce pas faire une croix définitivement sur Diego Garcia, surtout avec l’arrivée de Donald Trump ?
ReA a toujours considéré trois issues sur les Chagos : la souveraineté de l’État mauricien sur l’archipel ; le droit au retour des Chagossiens ; et la fermeture de la base militaire américaine à Diego Garcia. Toutefois, l’ancien gouvernement avait choisi de négocier autrement en excluant des alliés comme l’Union africaine et en ignorant les enjeux de paix dans l’océan Indien.
Aujourd’hui, le nouveau gouvernement a assuré notre souveraineté sur les Chagos, mais avec la base militaire sur Diego Garcia. Nous sommes conscients qu’il y a une montée de la droite aux États-Unis contre cet accord-là.
ReA ne se sent-il pas embarrassé ?
ReA a communiqué sa position et a fait des propositions au Cabinet sur les Chagos. Ce qui nous préoccupe, c’est le risque que Maurice devienne cobelligérant dans un conflit impliquant les États-Unis et la base de Diego Garcia.
Mais encore…
En parallèle, ReA milite pour une réforme constitutionnelle afin que la Section 1 stipule clairement ceci : « Mauritius shall be a sovereign democratic state, promoting peace, justice and liberty », en écho aux paroles de notre hymne national. Nous respectons les autres forces de gauche. Il faut continuer à militer pour qu’un jour, nous puissions atteindre l’idéal exprimé dans « Imagine » de John Lennon.
En France, en Suède, en Norvège et ailleurs, les gouvernements imposent aux grandes surfaces de limiter leur marge de profit sur les produits de base à 5 % en fin de mois. Ne serait-il pas temps d’introduire une telle mesure à Maurice pour soulager les consommateurs ?
Il faut impérativement réduire les profits excessifs pratiqués dans le commerce. Pas plus tard que la semaine dernière, le gouvernement a revu la marge de profit sur deux produits de première nécessité – les légumes surgelés et en conserve – ce qui entraînera une baisse de prix entre 20 % et 30 %.
Vous avez été syndicaliste et fin négociateur de la classe ouvrière. Ce tablier ne vous manque-t-il pas ?
Le combat pour les travailleurs, le syndicalisme et la défense de l’environnement ont été ma véritable université. Ce sont mes racines qui font que je suis ce que je suis aujourd’hui. Elles guident mes actions au gouvernement. Je défends les mêmes causes, mais dans un nouvel espace. Évidemment, mes camarades de lutte me manquent, mais la cause, elle, restera gravée en moi jusqu’à ma mort.
Si certaines demandes clés, à savoir la réforme électorale, le financement des partis politiques, le ‘right to recall’ des élus et la Freedon of Information Act, ne sont pas respectées, ReA claquera-t-il la porte ou subira-t-il en silence ?
La question est prématurée. La colonne vertébrale de l’Alliance du Changement repose sur l’adresse présidentielle. ReA n’a aucun doute sur cet accord. Nos relations sont solides et basées sur la réciprocité.
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