Ajay Daby: «Il ne faut pas brider la fougue des politiciens»

L’ancien Speaker de l’Assemblée nationale commente les récents incidents survenus à l’intérieur de l’hémicycle. Il laisse entendre que certaines scènes de la vie parlementaire prennent trop d’ampleur médiatique et semble assez sceptique concernant la retransmission en direct des travaux. [blockquote]«À l’Assemblée nationale, tout est organisé, mais il faut éviter les agressions... Le Speaker doit tout gérer. Il lui faut prévenir le moindre risque de dérapage.»[/blockquote] Le terme « manipulé » est-il unparliamentary ? C’est une crise interne à l’Assemblée nationale. Ce sera toujours difficile pour nous, à l’extérieur, de juger de la justesse de ce ruling. On ne pourra jamais comprendre non plus pourquoi un parlementaire perd son sang froid. Pourtant, c’est chose courante. C’est la raison pour laquelle il n’y a pas de fenêtre à l’Assemblée nationale. Son constructeur, dans son subconscient, avait prévu des scènes qui sont sans intérêt pour le monde extérieur. Ce qui compte, c’est que les lois soient votées. Qu’est-ce qui est parliamentary ou pas ? On n’a que des paramètres de comportement. Tout ce qui vise à interrompre le déroulement serein des travaux est unparliamentary. C’est grave quand c’est fait sciemment. En visionnant la séquence des événements (ceux du mardi 13 octobre), je me suis dit qu’au final, chacun savait ce qu’il faisait. Les acteurs, qui veulent marquer leur présence, cherchent souvent le moindre prétexte pour se mettre debout ! Les accusations de complot et de préméditation que majorité et opposition se renvoient sont-elles fondées ? À l’Assemblée nationale, tout est organisé, mais il faut éviter les agressions. Je me rappelle qu’un ministre qui n’était pas en bons termes avec un membre de l’opposition avait rempli une feuille A4 de jurons et l’avait glissée parmi les documents du député, qui devait prendre la parole. Heureusement que j’ai eu vent de l’affaire et j’ai fait enlever la feuille. Le Speaker doit tout gérer. Il lui faut prévenir le moindre risque de dérapage. L’essentiel, selon vous, c’est que le travail soit fait. Mais les expulsions, walk-outs et suspensions de séance… N’est-ce pas un peu trop ? Cela devient un sujet controversé quand il y a undue exposure. Il y a eu des reportages fleuves sur cet incident qui aurait dû rester dans le cadre de l’Assemblée nationale. La Speaker aurait pu appeler le député et lui demander discrètement de retirer le terme qui fait débat. Il y a une différence entre rapporter/publier un événement et la publicité faite autour du même événement. À l’étranger, il y a eu de grands débats avec l’introduction des caméras au Parlement. Cela doit s’accompagner d’une culture et d’un savoir-faire. Le caméraman doit être formé (supertrained) pour relayer l’information et éviter qu’on en fasse de la publicité, due or undue ! Ce qui s’est passé va aider dans la rédaction du projet de loi concernant la retransmission des travaux parlementaires à la télévision. Cela pourrait « tuer » un bon député exposé lors d’un moment de colère ou alors ériger un médiocre en héros national. C’est presque faire l’apologie de la censure... Je parle d’un point de vue intellectuel. Quand un élu a passé la nuit à superviser le collage d’affiches et qu’il doit le lendemain se prononcer sur des questions d’intérêt public, on peut s’attendre à beaucoup d’excès. Il n’est pas prévu qu’un citoyen ordinaire puisse disséquer ce genre de comportement. On risque de causer plus de tort, à trop vouloir être transparent. Est-il nécessaire que les travaux parlementaires se déroulent dans l’ombre et le secret ? L’Assemblée nationale est un bâtiment sans fenêtre. Cela veut tout dire. Il y a des choses qui relèvent de l’intimité du Parlement. C’est un lieu intime pour des gens qui, souvent, ne se supportent pas, mais qui néanmoins se côtoient. Souvent, trois mètres seulement les séparent. On s’engueule certes, mais on ne s’entretue pas ! Chaque Speaker a le devoir de cultiver la compréhension des deux côtés de la Chambre. Il y arrive souvent en relativisant les choses, en prévoyant des incidents et en offrant un forum pour le consensus. Il semble y avoir consensus au moins sur la retransmission en direct des travaux parlementaires. Cela va-t-il aider à adoucir les mœurs dans l’hémicycle ? Je souhaite une Parliamentary Broadcasting Act et non une simple résolution votée à l’Assemblée nationale. Cela aura le mérite de placer cet espace démocratique sous le domaine de la loi publique. Que se passera-t-il si la totalité des députés se mettent d’accord pour choisir eux-mêmes les images des débats à présenter au public ? Cela pourrait arriver ! Avec une Parliamentary Broadcasting Act, les paramètres seront des matters of public order. Mais il ne faut pas brider la fougue des politiciens. C’est ce qui fait bouger la démocratie. À force de prendre du Panadol, le Parlement va finir par s’endormir. Je préfère la flamme du député à une Assemblée nationale somnolente. L’opposition qualifie Maya Hanoomanjee de pire Speaker de l’histoire. Quelle est votre évaluation ? Il est clair qu’elle est une cible parce qu’elle était candidate au dernier scrutin national. Si elle ne fait pas attention, ses détracteurs vont utiliser le plus petit détail pour tenter de lui briser le moral. Sa performance: bonne, mauvaise ou moyenne ? Disons qu’elle débute. Vu les polémiques concernant la Speaker, n’est-il pas temps de nommer un apolitique à ce poste, comme c’est le cas à la présidence de la République ? Je suis pour un Speaker issu de la classe politique. Il faut quelqu’un ayant une culture politique pour comprendre tout ce qui est associé à la vie politique. Un juge serait comme un zako dan lamizik. Toutes ces controverses ont pour toile de fond la couverture des travaux parlementaires par la MBC. Cela en valait-il la peine ? Roshi Bhadain ne veut pas être perçu comme complice de la MBC. C’est à mettre à son crédit. Il faut maintenant voir comment il agira. Mais en l’absence d’un projet de loi, c’est le bureau du Speaker qui doit aider les journalistes à choisir les images à diffuser. Il faut faire attention à ne pas offenser un élu qui aurait eu un accès de colère. Je pense que la Speaker doit le faire très rapidement, sinon la couverture médiatique des travaux parlementaires deviendra un sujet de conflit.