Membre de Platform Moris Lanvironman et militante écologiste, Adi Teelock estime que l’Environment Bill, actuellement débattu au Parlement, comporte de nombreuses lacunes. Elle déplore le manque de considérations pour la question environnementale par le gouvernement, alors que ce sujet est primordial pour un développement durable de Maurice.
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L’Environment Bill, qui remplacera l’Environment Protection Act de 2002, est débattu au Parlement. Que vous inspire ce texte de loi ?
Une déception, un sentiment d’opportunité manquée, et une inquiétude pour l’avenir de Maurice. Lors des Assises de l’Environnement en décembre 2019, des ateliers de travail subséquents et des premières consultations sur une révision de la législation actuelle en 2020 et 2021, la Plateforme Moris Lanvironnman (PML), dont je fais partie, ainsi que d’autres ONG et acteurs de la société civile, ont apporté une contribution significative en termes d’identification de lacunes existantes et de propositions. Certaines des propositions ont été prises en compte, mais de manière tellement insatisfaisante que l’objectif de leur inclusion ne sera pas atteint.
On a la nette impression que c’est un projet de loi conçu pour cocher les bonnes cases afin de répondre, sur papier, aux exigences d’accès à des fonds extérieurs, mais pas pour répondre aux enjeux locaux et mondiaux, alors que nous faisons face à des crises liées au changement climatique, à l’effondrement de la biodiversité, et à la pollution d’une ampleur jamais atteinte. Il ne tient pas compte des nouvelles générations de gouvernance, de justice environnementale dans le sillage d’une approche basée sur les droits humains qui sous-tend les Objectifs de développement durable.
Le gouvernement persiste dans des stratégies économiques qui non seulement contribuent aux crises, mais les aggravent»
Le texte de loi vise pourtant une meilleure protection de l’environnement. Selon vous, cet objectif n’est-il pas atteint ? Quelles en sont les principales lacunes ?
Ce projet de loi nécessite une révision approfondie. Il présente une absence flagrante d’ambition, ainsi que de nombreux manquements et défaillances qui l’empêcheront non seulement d’assurer une protection efficace de l’environnement, mais aussi de favoriser le développement durable et de rendre le pays résilient face au changement climatique. Une telle loi ne peut être considérée comme moderne.
Il est vrai qu’il y a des améliorations notables par rapport à l’Environment Protection Act de 2002. Mais elles sont insuffisantes pour compenser le manque d’ambition et les importantes lacunes.
Une de ces lacunes majeures concerne le Strategic Environment Assessment (SEA), qui est réduit à une simple extension de l’EIA (évaluation environnementale et sociale) lorsqu’il s’applique à des politiques, programmes et plans nationaux, régionaux et locaux mis en œuvre par des autorités publiques, à l’exception des plans directeurs de promoteurs privés, tels que ceux des smart cities. La section le concernant est vide de substance, et PML a exprimé ses préoccupations dans une lettre ouverte adressée au Premier ministre et au ministre de l’Environnement.
L’explanatory memorandum omet des éléments essentiels tels que la biodiversité, les écosystèmes naturels, l’approche ridge-to-reef, l’urgence climatique et la gestion des risques de catastrophe.
Par ailleurs, le projet de loi prévoit la création de nombreux comités, dont les membres sont, pour la plupart, des représentants de ministères et départements publics. On peut légitimement se demander où ils trouveront le temps de participer activement aux travaux de tous ces comités interministériels, tout en assumant leurs autres responsabilités.
Si l’Environment Bill est adopté sans modifications significatives, il ne sera certainement pas une loi à la hauteur des défis actuels, contrairement aux aspirations du ministre et du gouvernement.
On parle, depuis plusieurs années, de l’importance de la protection de l’environnement. Pensez-vous que les Mauriciens en comprennent les enjeux ?
Ce sont d’abord les décideurs politiques et économiques qui méconnaissent l’importance de l’environnement et de l’écologie, ainsi que les enjeux y afférents. Le gouvernement ne cesse d’opposer protection de l’environnement d’un côté et économie et développement de l’autre, alors que le développement est inextricablement lié à l’écologie et à l’environnement.
Les inondations récurrentes en sont la preuve irréfutable. Et ce n’est que le début des crises qui sont de nature environnementale, sociale et économique. Notre existence dépend de la nature, d’un environnement sain.
Les citoyens en sont de plus en plus conscients, grâce en grande partie à la sensibilisation efficace menée par certaines ONG, mais ils sont systématiquement écartés des prises de décision, alors que l’on sait que, pour qu’un projet national réussisse, il faut impliquer les citoyens à la cause en ne les excluant pas des décisions qui les affectent. C’est un principe fondamental du développement durable.
Or, qu’avons-nous observé ces dernières années ? Non seulement les citoyens sont le plus souvent mis à l’écart, mais les autorités elles-mêmes compromettent la protection de l’environnement. Depuis 2017, des travaux infrastructurels majeurs comme ceux du Metro Express, ainsi que de la piste et de la jetée à Agaléga ont été arbitrairement retirés de la liste de projets requérant une EIA. Il n’y a donc pas eu de consultations publiques, et nous avons été témoins des conséquences environnementales et sociales de cette décision, à St Jean, entre autres.
L’Environment Bill conserve le principe du citoyen comme gardien de l’environnement – the environmental steward – mais dans les faits, sa capacité d’action est limitée. Le ministre de l’Environnement, en tant que premier responsable de cette sphère, a affaibli une bonne partie de l’Environment Protection Act. Le texte de loi oblige encore le citoyen à prouver qu’il est personnellement lésé pour pouvoir faire appel de la décision d’accorder un permis EIA, alors qu’il devrait pouvoir le faire pour défendre l’environnement également.
La Cour suprême avait donné gain de cause à Ecosud dans un cas sur ce point de locus standi, mais le promoteur concerné a fait appel devant le Privy Council et le ministère de l’Environnement s’est associé à cette démarche. Le jugement du Privy Council est attendu, mais le ministère aurait pu agir proactivement et corriger dans le texte de loi l’incohérence autour du principe d’environmental stewardship.
Les décideurs politiques et économiques méconnaissent l’importance de l’environnement et de l’écologie, ainsi que les enjeux y afférents»
Le gouvernement est-il suffisamment sensible aux enjeux environnementaux ?
Le gouvernement ne fait absolument pas preuve d’une sensibilité suffisante aux enjeux environnementaux. Cette carence s’étend également aux enjeux climatiques, à la perte de biodiversité et à la pollution, ainsi qu’aux problématiques sociales qui en découlent.
En outre, il persiste dans des stratégies économiques qui non seulement contribuent aux crises, mais les aggravent. Le développement immobilier est devenu le pilier de la croissance économique, car il génère le plus haut niveau d’investissement direct étranger pour le pays. Cependant, le problème réside dans le fait que l’indicateur traditionnel de la croissance économique – le PIB (produit intérieur brut) – ne tient pas compte des coûts environnementaux, sociaux et humains. Autrement dit, il ne reflète pas les dommages causés à l’environnement, aux écosystèmes et au bien-être de la population.
Prenons un autre exemple : l’exploration des fonds marins en vue de l’exploitation de gisements de pétrole et de gaz. Cette démarche intervient alors que nous sommes confrontés à une urgence climatique, et que Maurice sollicite des fonds pour faire face à ces défis. Pourtant, ces activités ont des impacts environnementaux et écologiques profonds, dont certains sont irréversibles. L’exploration elle-même comporte de graves risques, notamment pour la biodiversité. Ironiquement, un accord de principe a récemment été signé avec une compagnie française pour mener une exploration de nos eaux profondes.
Cette incohérence avec nos engagements nationaux en matière de lutte contre le changement climatique a été soulignée par le Rapporteur spécial des Nations unies sur les substances toxiques et les droits humains en 2021.
Que faut-il faire pour sensibiliser davantage les gens ?
Il est essentiel de soutenir les ONG qui accomplissent un travail remarquable ; de diffuser l’information de manière proactive ; d’organiser des débats publics ; d’écouter les communautés et de valoriser leurs connaissances en tant qu’experts de terrain des situations qu’elles vivent ; de les impliquer activement dans les prises de décisions qui les affectent et de prendre en considération de manière authentique leurs besoins et aspirations.
Certaines ONG environne-mentales poursuivent déjà ce travail de sensibilisation. Pour illustrer cela, je mentionnerai deux exemples : Reef Conservation et Ecosud. Reef Conservation œuvre depuis des années à la sensibilisation à travers Maurice avec, entre autres, son Bis Lamer, le projet Eco-School qui touche des centaines de collégiens et collégiennes, et l’inclusion des usagers dans ses projets de Voluntary Marine Conservation Areas.
Ecosud, quant à elle, a initié la Resilient Organic Community en réponse au drame du Wakashio, quand des familles de pêcheurs ont vu leurs moyens de subsistance compromis, ainsi que l’initiative de Renforcement des capacités des communautés.
La carte des zones inondables, qu’elles soient non-constructibles ou constructibles sous conditions strictes, doit être rendue publique»
Le réseau d’ONG et de citoyens concernés auquel vous (PML) appartenez a pris position sur plusieurs dossiers, notamment celui qui concerne la smart city de Roches-Noires. Le ministère de l’Environnement tarde à trancher sur la demande de permis EIA de PR Capital. Quel recours envisagez-vous, si le projet obtient son EIA ?
Le rapport EIA a été soumis il y a huit mois. Considérant la complexité d’une smart city et les spécificités de ce projet en particulier, cette durée ne semble pas excessive. Le ministère de l’Environnement a reçu de nombreux retours, y compris notre contribution substantielle de 150 pages.
Néanmoins, il aurait été relativement aisé de prendre une décision, étant donné l’ineptie de ce projet de smart city, qui entraînerait la déforestation de plus de 70 % du site, la menace sur les marécages et la mangrove existants, un risque accru d’inondation et une diminution de la résilience face au changement climatique.
Nous espérons vivement que le ministère prendra la décision juste en refusant le permis EIA. Cependant, en cas de décision contraire, le recours serait un appel devant le Tribunal de l’environnement. PML est prête à agir, tout comme le groupe Protégeons l’écosystème de Roches-Noires. Il n’est pas exclu que d’autres collectifs envisagent également cette démarche et se préparent en conséquence.
Un collectif composé d’entreprises du privé propose de transformer ce lieu en éco-parc pour mieux protéger et sensibiliser les gens. Est-ce une bonne chose ?
C’est véritablement une bouffée d’air frais ! Après 15 ans de projets immobiliers, voici enfin un projet en harmonie avec la nature du site ! Si le Collectif Mauricien pour Roches-Noires tient ses promesses de réaliser ce projet en collaboration étroite avec la communauté et les ONG environnementales, et de créer des activités économiques bénéfiques pour les communautés, cela ne peut qu’être extrêmement positif.
Un des dossiers qui retient l’attention de PML actuellement est la demande de permis EIA de NextSource Materials Inc. (NSM) Ltd à Mer Rouge pour une unité de production et transformation de graphite. Pourquoi s’opposer à ce projet ?
D’abord, le projet lui-même suscite des inquiétudes en raison des risques élevés de pollution ; ensuite, le rapport EIA déposé contient peu d’informations de base, d’identification des impacts et de mesures d’atténuation des impacts, pour ne citer que celles-là.
Cette activité nécessite le stockage et l’utilisation de produits chimiques classés comme dangereux sous le Dangerous Chemicals Control Act 2004. Or, le rapport EIA omet toute évaluation des risques d’explosion et de déversement de ces produits nuisibles à la santé humaine et à l’environnement.
Il n’y a pas eu de consultations avec les habitants de la zone résidentielle proche – Roches-Bois –, ni avec les autres locataires de la Mauritius Freeport Development. L’impact sur l’estuaire du ruisseau Terre-Rouge, qui a été récemment affecté par des déversements de fioul, n’a pas été pris en compte.
NextSource évoque l’utilisation des déchets dans l’asphaltage et la fabrication de ciment, mais ne précise pas d’accord avec des entreprises de ces secteurs. Qu’adviendra-t-il de ces tonnes de déchets toxiques en l’absence d’accord ? Le Mouvement Anti-Pollution, basé à Baie-du-Tombeau, s’est également prononcé contre ce projet.
La politique d’immobilier de luxe, en faisant grimper les prix des terrains et des habitations, compromet l’accès au logement pour la majorité des Mauriciens»
Une fois de plus, plusieurs régions de l’île ont été inondées. Ces drames auraient-ils pu être évités ?
Pour prévenir de telles situations dramatiques, la construction de drains seule est insuffisante. Pour gérer et atténuer les inondations de manière efficace, il est impératif d’élaborer une stratégie complète, un plan de gestion et un plan d’action intégrés. Actuellement, nous en sommes dépourvus. Il manque une cohérence et une approche globale.
Ce qui est particulièrement absent, c’est un plan de gestion des inondations cohérent et régional, basé sur le concept de bassins versants (ridge-to-reef), sans lequel nous ne ferons que déplacer le problème d’un lieu à un autre. Le Land Drainage Master Plan (LDM) n’étant pas accessible au public, nous ignorons ses propositions pour les court, moyen et long termes. Il semble que les actions soient menées de manière fragmentée.
Nous savons qu’en l’absence d’exutoire tel qu’une rivière, un marécage, un bassin d’écrêtage (detention pond) ou un bassin de stockage, aucun système de drains ne pourra résoudre le problème de manière définitive. La réhabilitation des drains naturels dans les champs de cannes et le long des berges des rivières est également essentielle.
La carte des zones inondables, qu’elles soient non-constructibles ou constructibles sous conditions strictes, doit être rendue publique. Il sera nécessaire de démolir ou de réaménager les structures qui contribuent aux inondations, après une évaluation objective et impartiale.
On voit de plus en plus de morcellements, de gros projets d’appartements et de villas. Va-t-on trop loin dans le bétonnage ? Avez-vous l’impression que des parties du pays sont cédées ?
Effectivement, il semble que des portions du territoire sont vendues à des investisseurs étrangers fortunés. Avez-vous pris connaissance des prix pratiqués ?
Aucune SEA n’a été réalisée sur la politique de développement immobilier issue du Smart City Scheme et du Property Development Scheme (PDS) pour en vérifier la pertinence et les répercussions environnementales, sociales et humaines, ni pour déterminer un seuil de tolérance. Après presque dix ans d’existence de ces programmes, il n’existe toujours pas d’évaluation concrète des avantages économiques et sociaux apportés par les smart cities et les PDS : nous n’avons que des affirmations sans preuves.
La politique d’immobilier de luxe, en faisant grimper les prix des terrains et des habitations, compromet l’accès au logement pour la majorité des Mauriciens. Elle exacerbe le problème de logement. Les smart cities profitent de substantielles incitations fiscales (exonération de la taxe sur les sociétés et de la TVA sur certains intrants), créant ainsi un manque à gagner qui aurait pu être alloué au financement du logement social. Cela constitue une violation du droit humain fondamental à l’accès au logement.
N’est-il pas temps de rendre vraiment transparent le processus d’octroi de permis EIA en obligeant, par exemple, les promoteurs à défendre leur projet devant un comité qui tiendrait ses séances en public ?
Je ne suis pas convaincue que cette mesure accroîtrait la transparence du processus. L’Environment Bill rend le processus un peu plus transparent, mais le ministère n’est toujours pas obligé d’expliquer sa décision d’accorder ou de refuser un permis EIA. Le ministre conserve le pouvoir discrétionnaire de retirer un projet de la liste des projets requérant un EIA.
Dans le cas de Rodrigues, le gouvernement avait décidé de retirer la construction de l’extension de l’aéroport et de la jetée associée de cette liste. Cependant, pour l’aéroport, le bailleur de fonds, la Banque mondiale, a mené une étude d’impact en respectant les normes internationales et l’a publiée. Dans le texte de loi, la jetée est toujours exemptée de l’EIA. Cette façon d’opérer est lourde de signification, mais parmi d’autres problèmes, l’opacité persiste.
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