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Aadil Ameer Meea, ministre de l’Industrie, des PME et des Coopératives : «Des décisions difficiles, peut-être même impopulaires, devront être prises lors du Budget»

Aadil Ameer Meea est à la tête du ministère de l’Industrie, des PME et des Coopératives qui doit surmonter de nombreux défis. Les attentes des opérateurs sont nombreuses et complexes et les nouveaux tarifs à l’importation du gouvernement de Donald Trump sont problématiques.

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Pourquoi avez-vous accepté le portefeuille de l’Industrie, des PME et des Coopératives ?
Mon parcours professionnel a été une véritable école d’apprentissage. Après plus de quinze années passées à interroger des ministres de différents gouvernements sur des dossiers majeurs, avec une immense joie et beaucoup d’humilité, j’ai accepté le portefeuille de l’Industrie, des PME et des Coopératives. Il s’agit d’un ministère stratégique, capable de contribuer significativement à l’avancement du pays. Aujourd’hui, je me sens pleinement dans mon élément, prêt à mettre mon expérience et ma passion au service de ce secteur vital. Je tiens à remercier le Premier ministre ainsi que le Premier ministre adjoint pour leur confiance.  

On se souviendra des 2 000 arpents de terres négociés à l’époque par l’actuel Premier ministre, Navin Ramgoolam, avec l’industrie sucrière. Nous disposons bel et bien de réserves foncières suffisantes…»

Êtes-vous au courant des enjeux et des autres défis liés à ces trois secteurs et ce qu’ils ont en commun ?
L’industrie, les PME et les coopératives constituent des piliers essentiels pour la relance et la diversification de notre économie. Ces secteurs sont tous fondamentaux pour le développement de l’économie mauricienne. Malheureusement, ils ont été largement négligés au cours de la dernière décennie. Le rapport de l’audit pour l’exercice 2023-2024 en témoigne clairement : les manquements y sont dûment documentés. Il nous appartient désormais de les corriger. Les défis sont de taille, certes, mais je suis convaincu que nous disposons des compétences, et surtout de la volonté, pour redynamiser ces trois secteurs stratégiques.

Chacun de ces trois secteurs ayant ses propres réalités, qu’attendez-vous du premier Budget du gouvernement afin de traiter les attentes ?
Depuis ma prise de fonction en novembre 2024, j’ai rencontré rapidement et directement les acteurs clés du secteur privé. Il était essentiel pour moi de dresser un état des lieux réaliste de l’environnement des affaires dans le but de poser les bases de la prospérité des entreprises. C’est dans cette optique que nous avons organisé, en février, les Assises de l’Industrie 2025. Cet événement a permis de rassembler toutes les parties prenantes autour d’un objectif commun. On a réfléchi ensemble à l’état actuel du secteur manufacturier et on a proposé des mesures concrètes pour garantir sa viabilité à long terme.

Le premier budget du gouvernement est sans conteste une étape clé. Il devra refléter les urgences économiques du moment tout en traçant les grandes lignes de notre vision pour l’avenir. Une réalité économique à laquelle nous devons faire face — et que certains peinent encore à reconnaître — est la gravité de notre situation budgétaire. Nous devons, à tout prix, aborder le problème de la dette publique et du déficit budgétaire. Des décisions difficiles, peut-être même impopulaires, devront être prises. Mais si nous voulons véritablement redresser l’économie, c’est maintenant ou jamais. 

Un des défis majeurs auxquels ceux-ci sont confrontés est celui de la pénurie de main-d’œuvre. Quelle est votre proposition pour la rétention des compétences à Maurice ?
Effectivement, la pénurie de main-d’œuvre dans plusieurs secteurs stratégiques représente un défi majeur pour notre économie. Il est donc essentiel de mettre en œuvre des mesures concrètes pour retenir nos talents et créer un environnement professionnel stimulant, valorisant et durable. Depuis le début de l’année, un comité interministériel se penche activement sur cette problématique, en collaboration avec les différents secteurs concernés. Le cadre légal est également en cours d’évaluation afin de combler les lacunes existantes, tout en respectant les recommandations de l’Organisation internationale du travail.

Nous viendrons très prochainement de l’avant au conseil des ministres avec des propositions concrètes, notamment en ce qui concerne le quota de travailleurs étrangers. Il faut reconnaître une réalité sur le terrain : certains travailleurs mauriciens ne souhaitent pas travailler au-delà des heures normales, y compris les week-ends. Pour préserver la compétitivité de notre économie et assurer la continuité de certaines activités essentielles, il est donc crucial que les travailleurs étrangers puissent combler ce vide de manière encadrée et équilibrée.

Il est essentiel de mettre en œuvre des mesures concrètes pour retenir nos talents et pour créer un environnement professionnel stimulant, valorisant et durable.»

La filière textile locale fait face à une rude concurrence à l’échelle mondiale où nos compétiteurs produisent à moindre coût. Comment les opérateurs locaux peuvent-ils affronter cette concurrence ?
La filière textile, comme l’ensemble du secteur manufacturier, a connu un net déclin durant ces dernières années, alors même qu’un effort plus soutenu aurait dû être entrepris pour l’aider à affronter la concurrence mondiale. Ce recul est d’autant plus préoccupant que d’autres facteurs exogènes sont venus aggraver la situation. Le président américain Donald Trump impose des droits de douane sur les exportations vers les États-Unis. Ils ont été suspendus pour une durée de trois mois, avec un taux de 10 % appliqué entre-temps. Cette instabilité crée un climat d’incertitude pouvant bouleverser le monde des affaires.

Mais je peux vous assurer que le gouvernement prend cette situation très au sérieux. Plusieurs solutions sont actuellement à l’étude, et le Premier ministre a décidé de prendre le taureau par les cornes en écrivant personnellement au président américain. Face à ces défis, il devient donc impératif de repenser en profondeur notre stratégie industrielle. Nous pouvons explorer de nouveaux marchés – en particulier en Afrique et dans la région de l’océan Indien – tout en accélérant l’intégration de technologies innovantes dans nos chaînes de production. Ces marchés présentent un potentiel considérable pour renforcer notre compétitivité et consolider notre position économique à l’échelle régionale. Il est certes regrettable que des actions concrètes n’aient pas été entreprises au cours des dix dernières années pour anticiper ces mutations. Mais une nouvelle politique industrielle est en cours d’élaboration. À la suite des assises de l’industrie, plusieurs recommandations structurantes ont été formulées. Elles serviront de socle à notre feuille de route pour la période 2025-2029, avec pour ambition de bâtir une industrie résiliente, compétitive et durable.

Les opérateurs dans le secteur des PME avancent qu’ils ne sont pas en mesure de pérenniser leurs activités en raison des diverses mesures salariales qui ont augmenté leurs coûts de production. Quelles sont les mesures qui pourraient les rassurer ? L’État doit-il les soutenir plus qu’il ne fait actuellement ?
Voilà une fois de plus le résultat des déboires et des décisions électorales irréfléchies de l’ancien régime, qui nous ont conduits à la situation actuelle. Les acteurs du secteur des PME ont, à juste titre, exprimé des préoccupations légitimes quant à l’impact de ces augmentations salariales sur leurs coûts de production et sur leur compétitivité. Toutefois, il serait irréaliste de revoir ces décisions.

Je suis d’avis qu’il est désormais impératif de revoir en profondeur le fonctionnement de l’Economic Development Board (EDB), en particulier en matière de promotion des exportations. Au cours de la dernière décennie, les réalisations de l’EDB dans ce domaine ont été très limitées. En tant que nouveau ministre, je compte m’inspirer du modèle MEDIA, mis en place à l’époque du Parti travailliste. Ce modèle réunissait, sous l’égide du ministère, des professionnels du secteur privé et des cadres du service public afin de renforcer la coordination et de mieux cibler les actions. C’est précisément ce type d’approche structurée, inclusive et orientée vers les résultats que je souhaite instaurer à nouveau, sous l’autorité de mon ministère.

Des fermes coopératives engagées dans des cultures maraichères souhaitent davantage de terres, ce qui peut atténuer le poids de nos importations. L’État devrait-il racheter une partie des terres sous culture cannière, afin de répondre à l’urgence alimentaire ?
Non, car l’État dispose de suffisamment de terres. Je fais notamment référence aux terres agricoles et à d’autres terrains relevant du ministère des Terres et du Logement. On se souviendra également des 2 000 arpents de terres négociés à l’époque par l’actuel Premier ministre, Navin Ramgoolam, avec l’industrie sucrière. Nous disposons bel et bien de réserves foncières suffisantes. Ce qui a manqué ces dernières années, c’est une véritable volonté politique pour transformer ces terres en surfaces productives.

Je reconnais pleinement l’importance de la diversification agricole afin de réduire notre dépendance aux importations, en particulier en ce qui concerne les produits alimentaires essentiels comme les légumes. Il est aussi crucial de trouver l’équilibre entre la reconversion de certaines terres et la préservation des activités liées à la culture de la canne à sucre.

Il est temps de revoir notre modèle économique, en misant sur une augmentation de la productivité et en nous éloignant des approches basées uniquement sur la consommation. Aujourd’hui, il faut penser autrement. C’est à nous de prendre les mesures qui s’imposent pour répondre à l’urgence alimentaire, en réévaluant de manière stratégique l’utilisation de nos terres agricoles. Nous devons préparer le pays aux défis de demain en renforçant notre souveraineté alimentaire, en investissant dans des pratiques agricoles durables, tout en maintenant un équilibre avec les secteurs économiques existants.

Il faut reconnaître une réalité sur le terrain : certains travailleurs mauriciens ne souhaitent pas travailler au-delà des heures normales, y compris les week-ends.»

Les produits Made in Moris sont-ils parvenus à se faire une place sur le marché local ?
Le label Made in Moris a été conçu pour accroître la visibilité et la valeur de la production locale. Des avancées significatives ont été accomplies dans ce domaine, et je peux dire sans hésitation que les produits Made in Moris sont parvenus à se faire une place sur le marché local. Cependant, des efforts restent à fournir pour consolider ces acquis. Le Made in Moris vise à promouvoir une production de qualité tout en nourrissant la fierté nationale. Il s’inscrit pleinement dans les priorités du gouvernement en matière de diversification économique, de substitution aux importations et de modernisation industrielle. Cette stratégie d’une industrie de substitution aux importations figure dans notre programme gouvernemental 2025-2029.

Dans cette optique, je peux affirmer qu’il existe une synergie productive entre mon ministère et l’Association of Mauritian Manufacturers, visant à renforcer les capacités techniques et commerciales de nos entreprises. Nous collaborons déjà sur des projets porteurs qui génèrent des résultats encourageants pour l’ensemble du secteur manufacturier. 

De nombreuses PME se plaignent que les gouvernements et les collectivités locales n’ont pas créé des espaces qui leur soient dédiés afin que leurs produits soient visibles de manière permanente. Cette critique est-elle fondée ?
Au contraire, jusqu’à présent, l’accent a été principalement mis sur la création d’infrastructures de production, ce qui a contribué, dans une certaine mesure, au développement du secteur des PME — notamment grâce à la mise en place de zones industrielles par la DBM, et plus récemment par Landscope. Ces infrastructures ont joué un rôle clé en permettant aux PME de mieux se structurer et de croître.

Ces entreprises évoluent dans des secteurs très diversifiés et la création d’espaces de vente adaptés à chacun représente un véritable défi. Toutefois, nous restons pleinement engagés à explorer des solutions innovantes visant à renforcer la visibilité des produits locaux et à faciliter l’accès aux marchés pour nos PME.

Un certain nombre de PME sont confrontées au mimétisme, d’autres manquent de savoir-faire dans le marketing ou font face à la concurrence des produits importés revendus nettement moins cher. Comment traiter ces différents obstacles qui constituent souvent des entraves à l’essor de ce secteur ?
D’une part, le marché local, par sa taille limitée, ne peut absorber qu’un volume restreint de produits. Une fois ce seuil atteint, les risques de saturation deviennent inévitables. En outre, lorsque les produits présentent peu de valeur ajoutée — ce qui est parfois le cas des petites entreprises — ils sont plus vulnérables à la concurrence, notamment en raison de la présence de substituts importés proposés à des prix plus compétitifs.
D’autre part, dans un contexte de marché libre, il est difficile d’orienter les entrepreneurs vers des gammes de produits spécifiques. Cette liberté de choix favorise l’initiative, mais peut également conduire à une concentration excessive d’offres similaires, accentuant la pression concurrentielle.
La solution réside probablement dans un sursaut qualitatif. Pour les PME déjà établies, il devient essentiel de promouvoir l’investissement dans l’innovation, le marketing et la diversification des produits. Un tel accompagnement leur permettrait de se repositionner sur des segments plus compétitifs, voire haut de gamme, tout en libérant de l’espace pour les nouveaux entrants ou les opérateurs de plus petite taille.

Notre stratégie vise aussi à accompagner les entreprises locales vers l’exportation, notamment en direction des marchés régionaux, africains et même internationaux.»

L’étroitesse du marché local peut-elle s’avérer une contrainte à l’écoulement des produits locaux ?
Elle constitue effectivement une contrainte à l’écoulement des produits locaux. Mais cette réalité ne doit pas être vue uniquement comme un obstacle, mais aussi comme une incitation à innover, à se différencier et surtout à penser au-delà de nos frontières. C’est pourquoi notre stratégie vise aussi à accompagner les entreprises locales vers l’exportation, notamment en direction des marchés régionaux, africains et même internationaux. Le label Made in Moris et d’autres initiatives vont également dans ce sens, en mettant en valeur notre savoir-faire et en renforçant la crédibilité de nos produits à l’étranger.

Les produits locaux sont-ils suffisamment normés afin qu’ils puissent s’exporter ?
Plusieurs entreprises mauriciennes, dont celles regroupées sous le label Made in Moris, respectent des normes strictes au niveau de la qualité et de la sécurité. Ce qui leur permet déjà de s’exporter vers des marchés exigeants comme l’Europe ou La Réunion.

Toutefois, il faut reconnaître que tous les secteurs ne sont pas au même niveau de conformité. Il nous faut donc renforcer nos efforts en matière de normalisation, d’accréditation et de certification, en collaboration avec les organismes compétents. L’État a un rôle clé à jouer pour accompagner les entreprises dans cette transition, notamment à travers des programmes de soutien technique et financier.

L’État peut-il légiférer afin de favoriser les produits locaux (au détriment des produits importés) ou serait-ce une violation des règles de libre-échange de l’OMC ? Faut-il laisser le champ libre au marché et aux consommateurs ?
Maurice est tenu de respecter les principes du libre-échange, dont la non-discrimination entre les produits nationaux et ceux importés. L’État ne peut donc pas, légalement, adopter des mesures protectionnistes directes qui viendraient enfreindre les engagements internationaux. Cependant, nous ne sommes pas dépourvus de leviers d’action. Il revient aussi aux consommateurs de jouer un rôle actif. Encourager la consommation locale, c’est soutenir l’emploi, la résilience économique et le savoir-faire national. Le rôle de l’État est donc de sensibiliser, de former, de soutenir, pas d’imposer. En ce sens, notre politique vise à créer un environnement dans lequel les produits locaux se font une place naturellement par leur qualité, leur compétitivité et leur valeur ajoutée.

 

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