Législatives 2024

151 candidats dans la circonscription No. 5 : manœuvres stratégiques et risques de confusion

La candidature du Dr Navin Ramgoolam responsable de l’afflux des candidats au No. 5.

La circonscription No. 5 de Pamplemousses/Triolet se retrouve sous les projecteurs lors de cette campagne électorale avec un nombre historique de 151 candidats. Ce phénomène inédit suscite interrogations et débats. Afin de mieux comprendre les dessous de cette situation, nous avons recueilli les avis de trois anciens ministres — Dharam Gokhool, Dr Vasant Bunwaree et Etienne Sinatambou. Ces derniers partagent leurs analyses de cette surenchère de candidatures et des impacts pour les électeurs.

Publicité

Dharam Gokhool dit voir une manœuvre politique orchestrée par le MSM pour éparpiller les voix. « L’augmentation du nombre de candidats n’est pas innocente », affirme-t-il. « Le but est de faire en sorte que les votes soient, autant que possible, départagés. Le MSM considère qu’il dispose déjà d’un ‘vote bank’ et que les candidats additionnels vont disperser les votes au détriment de l’opposition », estime-t-il.
Pour lui, la cible dans cette circonscription est évidente : Dr Navin Ramgoolam, le leader de l’Alliance du Changement. « Il y a toute une stratégie derrière cela, où des personnes ont été encouragées à se présenter comme candidats afin de diminuer les chances de Ramgoolam et de son alliance », poursuit-il.

Le Dr Vasant Bunwaree partage cette analyse et souligne l’attrait médiatique de la circonscription No. 5. « Le nombre de candidats me surprend beaucoup, car les yeux sont braqués sur cette circonscription où l’ancien Premier ministre sera candidat », explique-t-il. « Ils sont nombreux à vouloir que Navin Ramgoolam ne soit pas élu, surtout au gouvernement. L’objectif recherché est donc de disperser les votes », considère-t-il. 

Le médecin pointe également du doigt l’utilisation de ces candidats pour infiltrer les centres de vote : « Chaque candidat ‘indépendant’ pourra placer des agents dans les cours et salles de vote, travaillant ainsi en faveur des principaux partis ». 

Pour Etienne Sinatambou, cette stratégie est manifeste : « Le nombre de 151 candidats est tout simplement choquant et ceci est, à mon avis, dû à la candidature de Navin Ramgoolam dans cette circonscription. Pour moi, il est clair qu'il y a une stratégie de Pravind Jugnauth de diluer et diviser les votes, même si cela nuit aux candidats de l'Alliance du Gouvernement », dit-il. 

Car selon l’ancien ministre, si chacun des candidats réalise ne serait-ce que 100 votes, c'est un chiffre de plus de 15 000 votes qui n'irait pas aux candidats principaux dans cette circonscription. Etienne Sinatambou reste convaincu que « l’important pour le gouvernement dans cette circonscription n’est pas qui remportera les sièges, mais de tout faire pour empêcher le Dr Ramgoolam d’être élu ». 

Avec un tel nombre de candidats, les électeurs devront faire face à des défis logistiques et pratiques, susceptibles de semer la confusion dans les bureaux de vote. « Ce chiffre record complique la tâche des électeurs, surtout des personnes âgées qui risquent de rencontrer des difficultés », note Dharam Gokhool. « Cela pourrait même constituer un obstacle pour les indécis, qui pourraient être tentés par des votes de ‘sympathie’ pour des candidats indépendants », estime l’ancien ministre. 

Le Dr Vasant Bunwaree évoque aussi les risques de confusion, en particulier pour les électeurs qui se fient aux symboles des partis. « La complexité des symboles, notamment pour l’Alliance du Changement qui utilise ceux de ses quatre partis, peut être un problème pour les personnes ayant des troubles de vue », appréhende-t-il. Le cardiologue regrette l’absence de simplification du côté de l’alliance : « Les deux principaux partis, le Parti travailliste et le MMM, auraient pu réduire leurs symboles aux plus connus pour éviter cette confusion », est-il d’avis. 

Etienne Sinatambou abonde dans ce sens, en soulignant les défis pratiques liés à un bulletin de vote potentiellement volumineux. « Ce chiffre record de candidats posera des problèmes d'ordre pratique. Quelle sera la longueur du bulletin de vote ? Devra-t-on utiliser un ‘booklet’ en guise de bulletin de vote ? Un processus complexe avec ce chiffre record de 151 candidats pourrait semer davantage la confusion, et cela risque de jouer en faveur de ceux qui souhaitent maintenir le statu quo à la tête de l’État », dit-il.

Ce qui l’amène à penser qu’il y a un risque que ce nombre record de candidatures puisse affecter les résultats électoraux dans cette circonscription plus que stratégique. « Mais je ne peux qu'espérer que cela n'arrive pas », souhaite-t-il.

L’impact de cette situation sur la stratégie de campagne des principaux blocs pourrait être majeur. « Les deux principaux blocs devront revoir leur approche pour sensibiliser les électeurs à bien repérer les symboles sur le bulletin », souligne Dharam Gokhool. « Il faudra créer une plus grande familiarité avec les symboles pour éviter les erreurs de vote, ce qui pourrait engendrer une ‘guerre des symboles’ dans cette circonscription », prévoit-il.

Le Dr Vasant Bunwaree reste cependant sceptique quant à l’impact de cette guerre des symboles sur les grands partis, tout en admettant un potentiel effet sur les petits partis et candidats indépendants. « Les grands partis disposent de moyens pour sensibiliser les électeurs à ne pas se laisser piéger. Ce sont peut-être les petits partis ou les indépendants qui en souffriront le plus », pense-t-il.

Outre le nombre élevé de candidats, certains patronymes répétés parmi les candidats soulèvent d’autres préoccupations. « L’un des autres Ramgoolam a clairement affiché son soutien au ministre Soodesh Callichurn du MSM », précise Dharam Gokhool. « Cela pourrait semer la confusion, surtout pour ceux qui se fient aux noms et non aux symboles », appréhende-t-il. Et ce problème, selon lui, pourrait potentiellement nuire à la fois à Navin Ramgoolam et à Soodesh Callichurn. Le Dr Vasant Bunwaree est du même avis, estimant que cette homonymie a été délibérément orchestrée pour détourner les intentions de vote. « Un vote d’intention pour Navin Ramgoolam pourrait facilement être attribué à un autre candidat portant le même nom. Enn dimounn ki pa tro konn lir, li kapav met la krwa-la kot enn lot dimounn, e non kot li ti anvi. Ceux qui ne savent pas bien lire risquent de se tromper et ainsi disperser les voix », fait-il ressortir. 

Quant à Etienne Sinatambou, il estime que « c’est de bonne guerre » et laisse entendre que c’est une pratique courante vis-à-vis de l’adversaire. 

903 candidats en lice

Au total, 903 candidats se disputeront les sièges lors des prochaines élections. Le tableau ci-dessous présente les cinq circonscriptions ayant enregistré le plus grand nombre de candidatures. À titre comparatif, la moyenne des candidats dans les autres circonscriptions tourne autour d’une trentaine. À Maurice, la circonscription No. 16 [Vacoas – Floréal] se distingue avec le plus faible nombre de candidats, comptant seulement 23.

candidats-elections-2024

 

Ramgoolam et Callichurn : Duel de noms

La circonscription No. 5 compte trois candidats portant le nom de Ramgoolam : le Dr Navin Ramgoolam, leader de l’Alliance du Changement, Vidur Ramgoolam (alias Navin), jeune étudiant à l’université, et Leckraj Ramgoolam. Par ailleurs, cinq candidats partagent le nom ou un homophone de "Callichurn". Parmi eux figurent le ministre sortant de l’Emploi et candidat de l’Alliance Lepep, Soodesh Callichurn, ainsi que quatre autres candidats : Harish Caleechurn, Jaykeesan Caleechurn, Nuvin Caleechurn, et Veemal Soodesh Callychurn.

Dr Navin Ramgoolam:  « Li pou enn roulo papie twalet ! »

Le nombre exceptionnel de 151 candidats dans la circonscription No. 5 (Pamplemousses/Triolet) a suscité les critiques de Navin Ramgoolam, leader de l'Alliance du Changement. Lors d’un Family Gathering à l’Evaco Hall d'Arsenal jeudi soir, il a exprimé ses soupçons envers l’Alliance Lepep, qu'il accuse de manœuvre calculée pour complexifier le vote. « 151 kandida ? Kouma pou fer sa papie-la ? Be si fer tou nom-la, li pou enn roulo papie twalet ! » a-t-il ironisé, après avoir discuté avec le Deputy Electoral Commissioner.

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !