Est-ce que ce sont les jeunes qui pourront enrayer la corruption à Maurice ? Au sein de l’association Youth Against Corruption, trois jeunes se disent déterminés à couper la tête à ce fléau de la société mauricienne.
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Le mercredi 14 décembre 2016, Yashraj Bhudoye, Amiirah Peerbaccus et Mansi Daby étaient engagés dans une course contre la montre à l’université Middlesex, où avait lieu le lancement officiel de l’association Youth Against Corruption (YAC).
Après des semaines de présence, de posts, de débats sur Facebook, et après avoir enregistré une adhésion massive sur Internet, l’association propose un débat sur la corruption avec Navin Beekarry, le directeur général de la Commission anticorruption (Icac).
« L’année prochaine, notre cheval de bataille sera le financement des partis politiques et nous allons nous concentrer sur la “New Declaration of Assets Act”. »
L’association est dûment enregistrée et a un exécutif de neuf membres parmi la quarantaine constituée dans les semaines qui ont suivi sa mise sur pied et a des objectifs précis.
« Nous avons gagné en maturité après une nécessaire période de dentition », explique Yashraj Bhudoye, salarié à temps partiel chez Luchmun Chambers et qui a une maîtrise en droit. À ses côtés, Amiirah Peerbaccus, diplômée de l’UTM en Health and Safety et Mansi Daby, jeune fonctionnaire.
Youth Networking Forum
En août 2015, lorsque Yashraj Bhudoye assiste à un débat du Youth Networking Forum, organisé par l’Icac, et inauguré par la présidente de la République, Ameenah Gurib-Fakim, rien n’indique que le discours sur la corruption agira sur les jeunes. Pourtant, l’un d’eux saisit au vol les appels lancés ce jour-là.
« J’ai eu un déclic, se souvient Yashraj Bhudoye. Je me suis dit que j’avais un devoir moral de m’engager dans ce combat-là. Je ne voulais pas être présent là-bas comme un simple spectateur. »
Dans les jours suivants, l’idée lui vient de donner de la consistance à sa réflexion. « Un groupe s’est formé sur Facebook avec pour nom Youth Against Corruption. On a recherché l’aide de l’Icac pour mieux comprendre les processus de la corruption, la PoCA, puis pour l’organisation de sessions de formation », raconte-t-il.
Sur Facebook, des jeunes, de 18 à 45 ans, se joignent à l’association, si bien que celle-ci se donne un secrétariat de 40 jeunes. « Au départ, tout le monde était débordé d’enthousiasme, mais au fil des semaines, il a fallu effectuer une sélection. On savait que tout le monde n’avait pas forcément les mêmes motivations, la régularité et la constance dans leurs opinions. Finalement neuf personnes, avec une majorité de jeunes femmes ont émergé. On a organisé des activités à l’Université de Maurice, dans des centres, à l’Icac. À ce jour, on est satisfait de ce choix. Nous avons passé le message clair que nous ne sommes pas une émanation de l’Icac. Au besoin, nous ferons des critiques contre elle, de la même manière que nous applaudirons ses bonnes actions ».
Études révélatrices
L’idée de mettre sur pied cette association trouve son origine dans deux études très révélatrices, l’une publiée par StraConsult et l’autre par Amnesty Mauritius. « Ces deux documents ont montré que les jeunes n’attendaient pas qu’un jour la corruption puisse être éradiquée et pire, certains étaient d’accord avec des actes de corruption. Les chiffres étaient alarmants. Ces réponses avaient démontré le niveau atteint par la corruption dans les esprits. Certes l’Icac menait des actions sur le terrain, mais il y avait un vide dans leur approche », explique Amiirah Peerbaccus.
Elle dit qu’elle n’était pas outre mesure scandalisée par les affaires de corruption. « J’étais indignée, comme par des dizaines de milliers de Mauriciens, mais sans plus. Je ne croyais pas en mes capacités de participer à une action constructive. Il fallait que quelqu’un initie une action. C’est sur Facebook que j’ai vu l’association, je me suis dit que l’heure était venue pour que je m’engage. J’ai envoyé une requête d’adhésion. Au départ, je n’étais qu’un simple membre, avant de faire partie de l’exécutif », raconte-t-elle.
Mansi Daby estime, elle aussi, que les jeunes ne croient pas à l’efficacité de la lutte contre la corruption, parce qu’ils n’ont plus confiance en nos institutions et que les politiciens ne tiennent pas les promesses faites durant les campagnes électorales, quand ils arrivent au pouvoir.
« Ce qui révolte au plus haut degré c’est l’absence de méritocratie et de transparence dans le recrutement. On ne peut qu’être indigné lorsqu’on sait qu’un postulant moins qualifié que les autres a obtenu un emploi, en usant de ses relations politiques ou parentales. Plus on est haut dans l’échelon social, moins on parle d’une action délictueuse qui a permis aux siens d’avoir obtenu une faveur », fait-elle observer.
Expression d’un système
Si, au départ, la lutte contre la corruption était leur principal objectif, au fil des rencontres avec d’autres jeunes, les trois membres de l’exécutif se sont rendu compte que la corruption était en fait l’expression d’un système auquel a fini par succomber toute la classe politique.
« Durant nos rencontres, d’autres jeunes nous ont fait découvrir l’étendue de la corruption, ses ramifications, ses multiples dimensions. Nous avons fini par être convaincus que nous avions en face de nous un système gangréné, c’est contre lui qu’il fallait concentrer notre réflexion et nos actions. C’est ce qui explique cette observation des jeunes qui pensent que la corruption était entrée dans les normes. Il fallait enrayer cette tendance », fait observer Yashraj Bhudoye.
En avril 2016, le groupe organise un débat sur la « Freedom of Information Act », car la libre circulation de l’information - sauf celles qui compromettent la sécurité de l’État -, est à ses yeux un moyen de vérifier l’enrichissement des administrateurs publics.
« On était un peu surpris de découvrir qu’à chaque scrutin législatif, des politiciens déclaraient toujours les mêmes biens. C’était plutôt suspect », explique Yashraj Bhudoye.
Mais, au sein de l’association, chacun s’accorde à reconnaître la complexité de la corruption, de petites infractions aux codes de la route devenues acceptables, jusqu’à la bataille pour l’obtention des marchés.
« L’année prochaine, notre cheval de bataille sera le financement des partis politiques et nous allons nous concentrer sur la “New Declaration of Assets Act”. Nous croyons dans la justesse de notre combat et nous comptons aujourd’hui plus de 6 500 membres qui nous aident dans nos actions », explique avec force Yashraj Bhudoye.
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