Yousouf Ismaël n’est pas du genre à se noyer dans un verre d’eau. Économiste de formation, il est déterminé à faire que la Central Water Authority (CWA) puisse fournir l’eau 24/7. Il compte atteindre cet objectif sans aucune ingérence politique.
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Êtes-vous comme un poisson dans l’eau à la CWA ?
Non. Je suis plutôt le capitaine d’un navire qui donne la direction et un sens de leadership pour mener la CWA à bon port.
Avez-vous une bonne marge de manœuvre ou vos mains sont-elles liées au gouvernement ?
Oui. J’ai la marge de manœuvre nécessaire. Mes mains ne sont pas liées au gouvernement. Si celui-ci trouve que je ne suis pas compétent, il est libre de me sanctionner. Je suis là pour produire des résultats et il n’y a pas d’excuses pour ne pas réussir. Nous avons de l’argent et du personnel, notamment les meilleurs ingénieurs. Nous allons y parvenir.
Vous avez les fonds et le personnel, mais vous n’avez pas suffisamment d’eau. Les réservoirs rarement sont remplis ?
Ce n’est pas que nos réservoirs sont rarement remplis. Il y a un gros problème au niveau de stockage. Notre capacité n’est qu’à 150 millions m3 d’eau et 50 % de l’eau est destinée à la population. Pour l’autre 50 %, nous dépendons des nappes phréatiques. Nous essayons de gérer les ressources que nous avons. L’eau a une valeur sociale, environnementale, économique et morale. Il faut toujours s’assurer qu’il y ait assez d’eau pour distribuer à la population.
Comment naviguez-vous ?
La population a augmenté et la demande en eau aussi d’une façon considérable, en raison du changement de style de vie des Mauriciens. De plus, les industries utilisent beaucoup d’eau. Le système d’irrigation bouffe environ 47 % de la production et la demande est assez conséquente. Le nombre grandissant d’arrivées touristiques vient s’ajouter à cela. Si un Mauricien utilise 180 litres d’eau par jour, un touriste utilise entre 400 et 450 litres. 27 % de l’eau potable viennent des réservoirs et des nappes phréatiques. La différence provient de l’hydro.
«Je suis là pour produire des résultats et il n’y a pas d’excuses pour ne pas réussir.»
La situation se corse davantage avec les fuites d’eau dans le réseau de la CWA. Vous n’allez pas nous contredire ?
Il n’y a pas que les fuites d’eau. Nous produisons presque 224 millions m3 par an, mais seulement 110 millions m3 sont comptabilisés. Il y a d’autres explications pour cette perte de 50 % d’eau. D’abord, il y a des compteurs défectueux qui sont en train d’être remplacés. Il y a le vol d’eau à tous les niveaux à travers des connexions illégales - de l’homme le plus pauvre au plus riche. Et sans compter des tuyaux qui datent de 70 ans.
Vu les coupures d’eau, les consommateurs paient-ils pour une mauvaise planification ou pour un manque de volonté politique ?
Ce n’est pas un manque de volonté politique. En réalité, le développement du pays et le développement du système de l’eau n’ont pas avancé de pair. Alors que le pays a connu des développements majeurs, l’eau a été l’enfant pauvre de tous les gouvernements. On a investi dans l’énergie et dans les infrastructures. Or, il fallait mettre beaucoup d’accent sur l’eau et investir dans l’infrastructure de l’eau. Si nous voulons être un pays moderne, nous devons accorder la priorité à l’eau. Il faut avoir plus de capacité de traitement, s’assurer qu’il y ait suffisamment de réservoirs, remplacer les tuyaux défectueux et faire en sorte qu’il n’y ait plus de perte.
Quand est-ce que le présent régime de coupures sera allégé ?
La sévérité des coupures s’est allégée, car nous avons suffisamment d’eau pour distribuer à la population. Le taux de remplissage des réservoirs s’élève à 66 % contre presque 100 % à la même époque en 2016. Cependant, les consommateurs sont appelés à être prudents. Heureusement, le projet de Bagatelle Treatment Plant soulagera les consommateurs de Rose-Hill, de Coromandel et de Port-Louis. Il aura aussi un impact indirect sur le Nord. De plus, nous travaillons sur la maximisation des traitements d’eau provenant des rivières. Nous avons commandé six « filtration plants » mobiles et nous pouvons exploiter beaucoup de rivières comme Pont-Lardier et Rivière-du-Poste. La station de Pailles fonctionnera 24 heures sur 24. Aujourd’hui, 85 % de la population bénéficie de l’eau 24/7, 10 % reçoivent l’eau pendant 10 heures et les autres pendant quatre à cinq heures.
«Aujourd’hui, 85 % de la population bénéficie de l’eau 24/7, 10 % reçoivent l’eau pendant dix heures et les autres pendant quatre à cinq heures.»
Est-ce qu’avant 2020 l’eau coulera dans les robinets 24/7 ?
L’eau 24/7 est notre objectif. Je suis réaliste. Les projets d’infrastructures vont prendre fin dans deux à trois ans. L’eau 24/7 sera une réalité dans plusieurs régions. Mais il faut prendre en considération la saisonnalité et la responsabilité des citoyens. Ils bénéficieront de l’eau 24/7 s’ils ont un réservoir d’eau approprié. Car même si la CWA fournira de l’eau pendant quatre ou cinq heures, elles suffiront pour remplir les réservoirs domestiques.
Est-ce une promesse électorale de tous les partis politiques qui ne sera pas réalisée de sitôt ?
C’est une promesse morale, sociale et économique. S’il n’y a pas d’eau, il n’y aura pas de développement dans le pays. C’est une nécessité pour un pays moderne d’assurer qu’il y ait un minimum de base. C’est la raison pour laquelle nous sommes venus avec le concept 6 m3 gratuit. Il faut aussi sensibiliser les Mauriciens qui utilisent 180 litres par jour alors que le benchmark est de 115 litres par jour. Il faut encourager à économiser l’eau.
Quelles sont les différences entre la gestion d’un corps paraétatique et celle d’une firme privée ?
Il y a des similarités entre les deux. Au bout du compte, c’est une question de personnes, notamment la façon dont on voit les gens. Il y a aussi des différences. Il y a la rapidité dans la prise des décisions. Le secteur privé agit plus vite. Le secteur privé investi beaucoup. Il y a aussi l’investissement dans la technologie et enfin la culture qui est différente.
Est-ce qu’un économiste de votre calibre n’aurait pas été plus utile dans le service financier qu’à la CWA ?
Les deux sont pareils… la transparence. Les économistes sont formés pour revoir et utiliser les ressources, pour être efficients et efficaces, pour prendre des décisions et nous pouvons être des gestionnaires. Souvent il y a des débats, notamment un ingénieur doit être à la tête de la CWA ou médecin à la tête d’un hôpital. Ce n’est pas un bon raisonnement. Nous avons besoin des techniciens pour s’occuper de la technicité et laisser le gestionnaire faire le travail.
Comment est-ce que votre compétence et votre expertise sont utiles à la CWA ?
Je suis fonceur. Nous connaissons nos objectifs et il faut s’assurer que tout le monde travaille ensemble. C’est une question de prise de décision courageuse. L’avantage que j’ai c’est que je ne suis pas un politicien et je ne suis pas mêlé à la politique. J’ai placé des barrières, pas question d’ingérence politique. C’est la décision la plus rationnelle qui est plus importante. Des décisions difficiles à prendre et moi je suis assez courageux pour les prendre. Peut-être que les gens ne vont pas aimer, mais à la longue tout le monde a le même objectif. De plus, être économiste est un avantage. Et enfin, je suis jeune, avec de la motivation et de l’énergie.
Peut-on avoir une idée de la situation financière de la CWA ?
Nous ne sommes pas confortables. Il y a beaucoup de projets et nous dépendons beaucoup du gouvernement, des emprunts et des subsides. Nous faisons beaucoup d’efforts pour apporter de l’efficience à la CWA, mais nous n’avons pas suffisamment d’argent pour investir. Si nous étions une firme privée, nous serions déjà en faillite. Mais étant un corps paraétatique, le gouvernement apporte toujours son soutien à la CWA. Nous pensons qu’il faut un « trade-off » entre les services et le prix. On ne peut pas s’attendre à avoir un excellent service à un prix bas.
«J’ai placé des barrières, pas question d’ingérence politique.»
Est-ce que la CWA a cruellement besoin d’un partenaire stratégique ? Pour quoi faire ?
La décision a été recommandée par la Banque mondiale. Ce n’est pas une mauvaise chose. Nous avons déjà plusieurs partenaires stratégiques, notamment des entrepreneurs. Comme entité, nous ne pouvons nous occuper de tous les travaux. Aussi, si nous avons des personnes de l’extérieur c’est pour dépolitiser la CWA, lui accorder son indépendance et lui laisser produire des résultats.
Au pays des coupures d’eau, ne peut-on pas épargner les consommateurs d’une augmentation du tarif ?
Pourquoi un consommateur pauvre doit payer pour la consommation d’une personne qui utilise beaucoup d’eau, par exemple qui possède une piscine. Une personne qui a un petit véhicule et qui travaille dur subventionne la CWA à travers la taxe perçue sur le carburant et injectée dans le « Build Mauritius Fund » (BMF). De ce fonds, la CWA reçoit Rs 200 millions. Nous recevons également Rs 2 milliards sous forme de « Grant ».
Moi, j’ai un principe très simple. L’eau a une valeur. Si vous utilisez une quantité raisonnable d’eau, vous ne serez pas pénalisé. Je pense qu’une famille de quatre personnes utilise moins de 30 m3, c’est-à-dire 200 litres par jour. C’est déjà beaucoup. Ceux qui consomment plus doivent payer plus. Je suis en faveur d’un tarif punitif gradué pour endiguer le gaspillage. Les gens devront réaliser la valeur de l’eau. Nous ne pouvons pas pénaliser les personnes au bas de l’échelle. Nous avons une vocation sociale et morale envers eux. Pourquoi les gens qui consomment peu d’eau doivent-ils subventionner ceux qui consomment dix fois plus d’eau ?
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