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Voie publique : quand la route devient un champ de bataille

À qui appartient la route ? Qui doit avoir la priorité ? Nous avons interrogé des professionnels du transport qui nous ont fait comprendre que les artères sont un espace social. Elles appartiennent à tous les usagers sans distinction aucune. Mais elles doivent être partagées de façon équitable.

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Au cours de la dernière célébration de la Journée mondiale du souvenir des victimes des accidents de la route, Mgr Ian Ernest a évoqué « la pertinence de l’obéissance dans le partage civilisé de la route en toute sécurité ». Dans son homélie prononcée en la cathédrale Saint-James, l’évêque a aussi mis l’accent sur le pouvoir destructeur de la puissance égoïste, lorsque le « horsepower rules » et prend le dessus sur le respect de la vie. Il a fait un vibrant appel pour la maîtrise de soi.

Partage civilisé de la route. Justement, cette notion semble absente chez de nombreux conducteurs, comme le démontrent les témoignages d’autres usagers, surtout les piétons. Les doléances et les photos qu’ils ont fait parvenir à la rédaction du Défi Quotidien sont les preuves que les conducteurs sont en train de s’approprier l’espace qui revient aux piétons. Ainsi, le trottoir ne semble-t-il plus être fait pour ceux qui sont à pied, mais est devenu un espace pour garer les voitures. Une des photos envoyées montre une dame et un enfant obligés de marcher sur la route au risque de se faire percuter par un véhicule.

Karish, qui emprunte tous les jours l’accès vers un supermarché à partir de l’autoroute, se plaint que certains conducteurs se frayent un passage dans la file de véhicules sans aucune autre forme de procès, ce qui peut être très dangereux pour les autres usagers plus vulnérables. Un autre usager attire l’attention sur le manque de courtoisie à l’aéroport international Sir Seewoosagur Ramgoolam, où souvent des taxis ou des voitures de maître s’approprient l’espace réservé aux handicapés. Il affirme que ce « vol d’espace » a lieu tous les jours.

Un Portlouisien signale la présence d’une voiture garée à la rue Saint-François Xavier tous les après-midi, vis-à-vis du jardin d’enfants. Il fait remarquer que non seulement la queue du véhicule déborde sur le passage pour piétons, il y a aussi un profond canal juste après. Encore un exemple du non-respect du partage de la route. Un autre lecteur nous dit que tous les samedis, un véhicule vient se ranger sur la double ligne jaune devant le marché de Quatre-Bornes.

Un habitué de Grand-Baie rapporte que les lignes indiquant la délimitation du parking public ne sont plus visibles. « Tout le monde gare son véhicule comme bon lui semble. » Il ajoute qu’il n’y a aucun panneau d’interdiction sur les sorties du parking. Un autre usager témoigne du non-respect des conducteurs pour une voie à sens unique, à l’instar de cette voiture qui a roulé dans le sens inverse à l’avenue des Capucines, à Quatre-Bornes.

Le commissaire de police Mario Nobin : «Un lieu à partager dans le respect»

Comment faire pour amener les automobilistes à se débarrasser de cette attitude de « Moi d’abord, les autres après » ?  Nous avons abordé la question avec les forces de l’ordre. « La police agit et prend des contraventions. Les personnes verbalisées sont sanctionnées par des sabots », affirme l’inspecteur Shiva Coothen, responsable de communication du Police Press Office.

La police lance un appel aux conducteurs pour qu’ils agissent de manière plus civilisée. Somme toute, c’est une question d’éducation. « Les autorités ne voudraient pas durcir les mesures ou agir avec force pour que les automobilistes rangent leurs véhicules dans les règles. On va crier à la persécution. La loi va agir en conséquence. Parce que les chauffeurs doivent apprendre à se responsabiliser. » Le commissaire de police Mario Nobin met l’accent sur la dimension sociale de la route qui est un espace à partager dans le respect et selon le code établi. Il souhaite une collaboration soutenue de la société civile avec la police pour combattre l’insécurité routière.

Barlen Munusami, Road Safety Officer : «Tout le monde est responsable»

L’auteur du Guide complet du conducteur insiste que la voie publique est « un espace social qui doit être partagé par tous les usagers ». « Évidemment, le conducteur doit être courtois. Il ne peut prendre un espace qui est réservé aux piétons. Au contraire, il doit leur accorder la priorité parce qu’ils sont vulnérables face à la carrosserie. Si à une intersection, le piéton s’apprête à traverser le chemin, que le conducteur lui laisse la voie libre. Qu’il ralentisse à l’approche d’un passage pour piétons pour pouvoir freiner, s’arrêter et laisser les piétons traverser en toute sécurité. Ainsi, le conducteur aura partagé la route avec les piétons. Il n’aura pas pris tout cet espace pour lui seul », explique Barlen Munusami.

Que faire dans le cas de ceux qui ne veulent pas changer ? « La solution, c’est la répression. Amendes plus lourdes et suspension de permis. C’est vrai que celui qui est au volant d’un poids-lourd a tendance à mépriser le conducteur vulnérable, comme celui qui est à moto ou dans un véhicule bien plus étroit. Il le regardera de haut et n’aura aucune considération pour lui. C’est pourquoi un changement de comportement et de mentalité est primordial », déclare le Road Safety Officer. Toutefois, Barlen Munusami insiste que le piéton aussi a ses responsabilités. « Il ne peut marcher avec des écouteurs aux oreilles et traverser la route quand il veut et où il veut. »

Pour être plus discipliné sur les routes, pour apprendre à partager l’espace de façon équitable avec les autres usagers, ne faudrait-il pas briefer tous ces conducteurs qui vont travailler tôt le matin ? Un briefing sur leur comportement sur la route pourrait-il leur inculquer le sens des responsabilités et de la courtoisie sur la route ? « C’est une excellente idée. Laissez-moi vous dire que certaines compagnies privées le font. Malheureusement, ce n’est pas le cas dans des compagnies de transport public », souligne Barlen Munusami.

Un conducteur fera preuve de partage sur la route à condition d’être aussi maître de tous ses sens. Imaginez qu’il ait bu de l’alcool jusqu’à fort tard la veille et qu’il doive se rendre au travail le lendemain à 5 heures. Aura-t-il complètement récupéré ? « Effectivement, ce serait sage que le conducteur se soumette à un test pour vérifier s’il peut prendre le volant. C’est le cas chez certaines compagnies. Malheureusement, encore une fois, c’est un pas à faire au sein de compagnies de transport public ou chez ceux qui conduisent des poids-lourds », avance le professionnel.

Nathalie Gopee, maire de Curepipe : «Les conducteurs doivent apprendre à respecter les autres»

À Curepipe, les conducteurs semblent garer leurs voitures comme ils veulent. Comment fait le maire pour lutter contre ce problème ? « Nous avons eu de gros problèmes en ce sens aux abords d’une grande surface et aussi à la route Commerson. Pour trouver une solution, nous avons mis en place un Monitoring Committee composé de tous les acteurs concernés qui se chargent de faire respecter l’ordre : mairie, Road Traffic Branch, Traffic Management and Road Safety Unit et Road Development Unit. Ce qui nous a permis, par exemple, de gérer une situation qui était devenue difficile dans les environs de l’église Sainte-Thérèse », explique Nathalie Gopee. « Les conducteurs doivent se montrer responsables et apprendre à respecter les autres »,
ajoute-t-elle.

Alain Jeannot : «Les piétons devraient reconquérir leur espace»

Outre les forces de l’ordre, plusieurs individus, institutions ou associations à vocation sociale luttent depuis des années pour une discipline et un meilleur partage de la route par tous les usagers. Citons le Dr Samoo, responsable du Service d’aide médicale urgente (Samu), Louis Pallen, Chief Fire Officer, José Achille de la Fédération des cyclistes, la First Aiders Association, la Bikers Association ou encore le Daimlers Moto Club. Sans oublier Prévention routière avant tout (Prat).

Son président Alain Jeannot reconnaît que le manque de considération de la part des conducteurs envers les autres usagers est « un problème sérieux ». « Les piétons devraient reconquérir leur espace. Les conducteurs devraient faire preuve d’égards envers eux, étant plus vulnérables », déclare Alain Jeannot. Justement, la courtoisie est une qualité de plus en plus rare de nos jours. Comment contrer ce problème ? « Pour ceux qui ne veulent pas comprendre, il faut verbaliser. Une autre stratégie qui aide est  de contrôler le nombre de véhicules sur les routes. » Le président de Prat rappelle que pour ce qui est de la flotte des véhicules motorisés sur les routes, Maurice occupe la première place en Afrique. « Chaque année, notre flotte augmente de 5 %.
À Maurice, on a quelque 250 véhicules par kilomètre de route. En comparaison, Singapour a 117 automobiles par kilomètre de route. »

L’autre solution, selon Alain Jeannot, est de taxer les véhicules qui entrent dans la capitale. Actuellement, il y aurait 100 000 automobiles qui passeraient par Port-Louis chaque jour. Le président de Prat lance un appel aux conducteurs d’autobus et de poids-lourds pour qu’ils fassent preuve de patience et de vigilance envers les motards qui sont si vulnérables. Il rappelle que ces derniers représentent 40 % du nombre de victimes de la route.


Photos envoyées par des internautes

Quoi de mieux que de constater de visu l’indiscipline qui règne sur nos routes ? Le partage de cet espace de façon équitable est bien le dernier souci de nombreux conducteurs.

 

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