Ces dernières semaines, de nombreux homicides et agressions ont été au cœur de l’actualité. Cette hausse de violence inquiète et fait débat.
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Ce sont des jours noirs que viennent de vivre les Mauriciens et les forces de l’ordre. L’assassinat d’un enfant de 11 ans a donné du fil à retordre à la police et a choqué la population.
Cette affaire a généré une prise de conscience collective sur l’état actuel de la société. Traditionnellement, dans le sillage d’un crime atroce, les débats sur une éventuelle décadence de la société mauricienne font pendant un certain temps la une.
Des avis fusent de toutes parts et ramènent sur le tapis des sujets refoulés tels que la réintroduction de la peine de mort. Et pourtant, les observateurs de la société s’accordent à dire qu’il n’est plus temps de s’attarder uniquement sur la partie visible de l’iceberg. Selon ces derniers, s’il ne fait aucun doute que la violence est aujourd’hui la conséquence d’une société en perdition. L’heure n’est plus aux débats, mais à l’action.
Le sociologue Surendr Nowbuth associe la montée de la violence à une perte des valeurs, qui solidifiaient autrefois les fondements de la société. « Ce phénomène n’a rien de nouveau, mais il a pris une telle ampleur ces dernières années qu’il devient chaque jour un peu plus inquiétant. On observe que de nombreux Mauriciens pour des raisons diverses se livrent à une violence barbare. Leurs actions et leurs explications démontrent que les valeurs traditionnelles telles que le respect et la dignité sont en passe de devenir qu’un vain mot », explique le sociologue.
Influences extérieures
La technologie et les influences externes ont accéléré le processus menant à une érosion des valeurs. C’est en effet ce qu’explique Surendr Nowbuth. « Nous ne pouvons pas pointer du doigt Internet et les outils technologiques tels que les réseaux sociaux. Ces derniers sont utiles à bien des égards. Toutefois, il faut se rendre à l’évidence, les influences externes n’ont pas toujours des effets positifs sur le comportement. De nombreux Mauriciens ont malheureusement tendance à se laisser influencer par un comportement rebelle et irrespectueux qu’on qualifie aujourd’hui de moderne. Les valeurs traditionnelles finissent ainsi par disparaître et les relations humaines prennent un coup », avance le sociologue.
Et d’ajouter que les institutions qui ont la responsabilité de promouvoir les valeurs faillissent dans leur rôle. Notre interlocuteur estime que la famille, l’école et la religion ne parviennent plus à endiguer la violence.
Autorité
Outre les affres de la criminalité avec tout ce qu’elle comporte comme homicides et agressions, les vols et le non-respect des autorités sont devenus monnaie courante. Ils secouent la société de plus en plus saisie d’angoisse et d’inquiétude. Le psychothérapeute et travailleur social, Ahad Ramjaun associe, quant à lui, cette montée de violence à l’incapacité des autorités à trouver une solution durable.
« Nos décideurs n’arrivent pas à prendre des décisions de façon objective. Ces derniers se laissent souvent corrompre ou influencer par des facteurs externes qui ne sont pas importants tels que l’appartenance ethnique ou religieuse. Ces facteurs sèment la division et aggravent le problème, au lieu de l’éradiquer. Il faut au contraire s’unir autour d’un seul et même objectif qui est de consolider les fondements de notre société.
Cependant, nous ne pouvons pas rester les bras croisés et attendre que les autorités trouvent une solution. Chacun d’entre nous doit se remettre en cause et se demander quoi faire pour améliorer la situation dans le pays », estime-t-il.
La perte d’autorité des institutions peut également expliquer la montée de la violence. Cet avis est partagé par le sociologue Surendr Nowbuth. « Les gens n’ont aucun respect pour la justice. Ils sont conscients qu’aller à l’encontre des lois n’est pas sans conséquence. Mais les poursuites judiciaires et les peines d’emprisonnement ont perdu leur effet dissuasif. De nos jours, aller en prison ou avoir des démêlés avec la justice sont considérés par certains comme des choses qui arrivent. Si nous n’agissons pas maintenant et n’essayons pas de trouver des solutions, nous courons vers notre perte. »
Questions à Shahfaraz Rughony, président de Rays of Hope : «Il est toujours possible de trouver des solutions»
La société mauricienne est-elle à la dérive ?
Il est vrai que nous vivons des moments très troublants. L’actualité est marquée par des crimes de plus en plus atroces. C’est un fait que la violence est en hausse non seulement à Maurice, mais dans le monde entier.
Toutefois, il serait selon moi inapproprié de dire que la société mauricienne est à la dérive. Il faut rester optimiste et se dire qu’il est toujours possible de trouver des solutions. Au lieu de nous apitoyer sur notre sort, considérons l’actualité comme un signe que notre société est malade et qu’il nous faut agir avant qu’il ne soit trop tard.
Afin d’éviter que la situation ne dégénère, nous devons attaquer le problème à la base, c’est-à-dire trouver des solutions pour endiguer le chômage, l’usage des drogues et l’alcoolisme. Ce sont des facteurs qui poussent de nombreux Mauriciens à la violence et à la criminalité. Si nous parvenons à diminuer le chômage et les autres fléaux sociaux, nous verrons peut-être la lumière au bout du tunnel.
Pensez-vous que les institutions ont failli dans leur rôle ?
Les institutions c’est-à-dire l’école, la famille et la religion n’ont pas failli dans leur rôle, mais leur approche est selon moi inadaptée aux besoins de la société. Elles doivent absolument se réinventer en suivant l’évolution de la société. Par exemple, les chefs religieux doivent changer leur fusil d’épaule en mettant en place des programmes d’éducation et d’encadrement qui auront un impact sur la société. Pourquoi ne pas se réunir autour d’une même table pour discuter de l’avenir de notre pays ? La famille et l’école, quant à elles, doivent combler l’écart entre les besoins réels et ce qu’on enseigne aux jeunes. Au lieu de nous engager aveuglement dans une course académique, il serait plus approprié d’inculquer les valeurs qui feront de nos jeunes les leaders de demain.
Quel avenir pour notre société ?
Évitons d’être défaitistes et de nous focaliser uniquement sur ce qui ne va pas bien dans notre société. Il y a toujours de l’espoir. Notre avenir dépend de nous. Si nous agissons pour le bien-être de notre pays, nous aurons certainement un avenir meilleur. Comme disait Mahatma Gandhi, soyons le changement que nous voulons voir dans le monde. Si on veut que les choses changent, il faut se remettre en question et voir ce qu’on peut faire pour améliorer la situation. D’autre part, il faut une réforme des institutions – ces dernières doivent se projeter dans le futur. Les autorités devront apporter des mesures concrètes et encourager les jeunes à se lancer dans des activités saines telles que les loisirs ou l’entrepreneuriat. En ce qui concerne la réintroduction de la peine capitale, je pense que nous perdons notre temps à en débattre. Quand un membre de notre corps est malade, nous pensons d’abord à le soigner et non à l’amputer, d’où l’importance de la réhabilitation.
Micro-trottoir
Que ressentez-vous en lisant l’actualité ? Que faire pour endiguer la violence ?
Jamel Colin, 35 ans, artiste : «Il faut unir nos efforts pour un avenir meilleur»
« La société a besoin de modèle. L’art est un moyen qui peut nous aider à développer nos sens et avoir une différente approche pour faire face aux problèmes. Ce sera bientôt à la jeune génération de reprendre le flambeau. Il faut d’ores et déjà leur inculquer les valeurs qui feront d’eux des leaders et des citoyens exemplaires. Notre espoir repose sur eux. Il faut unir nos efforts pour un avenir meilleur. »
Frédéric Nullathemby, 30 ans, banquier : «Nous perdons les valeurs qui font de nous des humains»
« Il n’y a rien d’humain dans le fait d’égorger un enfant. La société va très mal. Les lois en vigueur dans le pays ne nous assurent aucune protection. L’insécurité est grandissante. Nous perdons les valeurs qui font de nous des humains. Il est grand temps d’agir et de trouver ensemble des solutions concrètes. Notre système éducatif a failli. Il faut revoir ses fondements et actualiser nos méthodes d’enseignement en les adaptant avec les nouveaux besoins de la société. Le but n’est pas uniquement de savoir lire et écrire, il faut former les jeunes pour vivre en société. »
Vimesh Ramsurrun, 29 ans, manager : «Les lois doivent être plus sévères»
« Je ressens une profonde tristesse pour mon pays en lisant l’actualité. Les crimes sont de plus en plus atroces. Malheureusement, il n’y a pas de solutions miracles à ce problème. Mais j’estime que les lois doivent être plus sévères, particulièrement quand il s’agit d’homicides. Pour résoudre le problème de Law and Order, nos décideurs doivent prendre exemple sur Singapour. En effet, les autorités singapouriennes n’ont pas hésité à mettre en place un système répressif pour protéger les citoyens. »
Bhawna Atmaram, 34 ans, enseignante : «Il ne faut pas être défaitiste»
« Si on se fie aux grands titres des journaux, on a tendance à généraliser et à croire que la société dans son ensemble est à la dérive. Il est vrai que nous sommes confrontés à une hausse de violence, mais cela ne s’applique pas à tout le monde. Il existe toujours des gens bons. Certes, il faut être réaliste et prendre conscience que certaines personnes ont besoin d’aide et de soutien, à cause de la pauvreté, du chômage et d’autres fléaux sociaux. Il ne faut pas être défaitiste. Faisons plutôt preuve de solidarité et aidons ceux qui sont dans le besoin pour une société meilleure. »
Anaëlle Chenny, 26 ans, Procurement Assistant : «De la frayeur, du dégoût et de la tristesse»
« L’actualité est marquée par la violence et la perte des valeurs. Les gens sont de plus en plus égoïstes et agressifs. Quand je lis l’actualité, je ressens personnellement de la frayeur, du dégoût et de la tristesse. Il n’y a pas 36 solutions, il faut d’abord changer la mentalité. Pour y parvenir, il faut absolument revoir le système éducatif et trouver des solutions concrètes pour inculquer les valeurs essentielles au lieu de courir derrière les résultats académiques. »
Yehma Poottaren, 32 ans, directrice d’entreprise : «Nous sommes tous concernés»
« Chaque jour, les crimes atroces se succèdent et la violence est omniprésente. Ces fléaux de notre société touchent tout le monde même les jeunes. Il n’y a pas de solutions miracles. Nous sommes tous concernés. L’éducation est la seule et unique solution. Il faut un meilleur encadrement de la famille, des couples, des jeunes et de l’ensemble de la population. Nous avons fait beaucoup de progrès. Grâce à la science, nous avons développé des vaccins efficaces contre des maladies graves. Malheureusement, il n’y a pas de vaccins contre la violence. Il faut donc concentrer nos efforts sur l’éducation et la sensibilisation. »
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