L’ancien juge Vinod Boolell est d’avis que le pouvoir politique doit permettre au pouvoir judiciaire de poursuivre ses fonctions sans la moindre crainte. Il s’attend à ce que le président de la République fasse une déclaration publique afin de calmer les tensions politico-légales qui secouent le pays depuis quelques semaines.
En votre qualité d’ancien juge, quel regard portez-vous sur la crise politico-légale qui secoue le pays depuis la libération sous caution de Bruneau Laurette ?
Dans une démocratie, chacun a le droit d’exprimer une opinion sur n’importe quelle question, y compris sur un jugement émis par un tribunal. Cependant, il existe des moyens de le faire. Les insultes et les attaques ne doivent pas faire partie des critiques légitimes.
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Le Premier ministre a parlé de « l’emprise de la mafia sur certaines institutions » et il dit assumer ses paroles. Ses propos étaient surtout dirigés contre le Directeur des poursuites publiques (DPP). La ligne rouge a-t-elle été franchie, selon vous ?
Je ne dirais pas qu’une ligne rouge a été franchie. Le Premier ministre doit identifier l’institution ou les institutions où il pense, d’après les informations dont il dispose, que la mafia a fait son entrée.
Or, en ne le faisant pas, il fait naître un doute dans l’esprit du public sur l’intégrité même des institutions. S’il a des preuves solides de ce qu’il avance, il doit immédiatement prendre des mesures correctives.
Ce n’est pas la première fois que le DPP et le gouvernement se retrouvent au cœur d’une crise. Cela a été le cas sous le mandat de l’ancien DPP avec l’intention du gouvernement de vouloir introduire un « Prosecution Commission Bill », sans compter l’enquête de l’Independent Commission against Corruption (Icac) contre l’ancien DPP. Qu’est-ce que cela démontre, selon vous ?
Ce n’est un secret pour personne que le gouvernement a tenté, dans le passé, de placer le bureau du DPP sous l’égide de l’exécutif politique. Cela n’a pas abouti. En poursuivant les attaques contre le DPP et son bureau, on peut se demander s’il ne s’agit pas d’une tentative visant à affaiblir ces derniers.
Sommes-nous arrivés à un point où le gouvernement est officiellement en guerre contre les membres du système judiciaire qui prennent des décisions qui ne vont pas dans son sens ?
Il ne faut pas exagérer. Les attaques ne viennent pas du gouvernement mais d’un de ses membres en particulier. On ne sait pas si les autres, notamment les avocats, sont d’accord avec le chef du gouvernement. Attendons voir…
Dans le giron légal du Premier ministre, on met en exergue le fait que les décisions des juges et des magistrats peuvent être décortiquées et critiquées. Votre avis sur la question ?
Les décisions des juges et des magistrats peuvent certes être critiquées. Je l’ai moi-même déjà dit : ils ne sont pas des demi-dieux. Mais il y a une façon de critiquer. Il ne faut pas faire des attaques sans fondement ou des remarques désobligeantes à l’encontre des juges et des magistrats.
Le DPP a porté plainte pour diffamation criminelle contre la page Facebook Sun TV News. Nous n’avons pas entendu de grands développements sur cette affaire jusqu’ici. En revanche, le commissaire de police a décidé de s’engager dans une bataille légale pour contester la décision de la magistrate Jade Ngan Chan King d’accorder la liberté sous caution à Bruneau Laurette. Comment appréhendez-vous la collaboration entre le DPP et la police à l’avenir ?
Il y a deux problèmes qui se posent. D’abord, que fait la police à propos de la plainte du DPP ? Pourquoi met-elle autant de temps à enquêter ? Va-t-elle enquêter à la fin ?
Deuxièmement, il y a le cas du commissaire de police qui conteste la décision de la magistrate. Or, il se trouve qu’il a interjeté appel en dehors du délai prescrit. La Cour est très stricte au sujet du laps de temps dans lequel un recours doit être déposé. Attendons de voir si la Cour suprême permettra au commissaire de police de plaider sa cause hors délai.
Plusieurs observateurs et politiciens ont déploré le silence de la Chef juge dans toute cette crise. De quelle marge de manœuvre dispose-t-elle par rapport aux critiques sévères émises par le Premier ministre contre la magistrate Jade Ngan Chan King ?
Un chef juge ne doit pas se mêler d’une controverse publique. Ce qu’elle devrait faire, à mon avis, c’est renvoyer l’affaire au DPP, lequel, à son tour, prendra la décision qu’il jugera appropriée.
Le Bar Council souhaite que le président de la République intervienne. Est-ce pertinent quand on sait qu’il a observé le silence dans le passé lors de différentes crises qui ont secoué le pays ?
Le président de la République a le devoir de faire respecter et de défendre la Constitution. Il se doit de s’assurer que les institutions démocratiques et l’État de droit sont protégés ; que les droits fondamentaux de tous sont respectés ; et que l’unité de la nation mauricienne est maintenue et renforcée. Lorsqu’un magistrat est attaqué, on s’attend à ce que le Président intervienne auprès du Premier ministre ou qu’il fasse une déclaration publique sur le respect dû aux institutions.
Comment parvenir à amener de la sérénité dans ce bras de fer et de qui doit venir l’effort, selon vous ?
Les attaques doivent cesser. L’exécutif politique doit permettre au pouvoir judiciaire de continuer à remplir ses fonctions sans crainte. C’est ce qu’exige notre Constitution en vertu du concept de l’État de droit et de la séparation des pouvoirs.
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