Interview

Vassen Kauppaymuthoo, ingénieur en environnement et océanographe : «Nous coulons deux fois plus vite que les autres pays»

Vassen Kauppaymuthoo

Notre interlocuteur se penche sur les dangers naturels qui menacent l’Île Maurice, particulièrement vulnérable, vu son statut de petit État insulaire en développement.Interview réalisée la semaine dernière alors que le cyclone Cilida s'approchait de Maurice. 

Publicité

À l’approche de Cilida, décrit comme un des cyclones les plus forts qu’on ait connu récemment, pensez-vous que le pays est prêt à y faire face ?
Je pense que Maurice a mis en place un système d’alerte cyclonique très efficace depuis quelques décennies et que ce système a très bien fonctionné durant cette période. Il faut rajouter à cela les nouveaux moyens satellitaires et les modèles numériques, mais je pense que, globalement, l’alerte est bien coordonnée. Cependant, si un événement comme Carol nous frapperait aujourd’hui, ce serait une catastrophe pour le pays, car nos infrastructures n’ont pas passé le “test” cyclonique depuis le cyclone Dîna en 2002 et que beaucoup de travaux ont obstrué les drains naturels. Un tel événement entraînerait des inondations catastrophiques dans les villes et sur les zones côtières, les baies vitrées de beaucoup de bâtiments seraient détruites et les constructions dans le lit des rivières seraient emportées. Nos infrastructures publiques seraient également très affectées. Je pense qu’on a oublié l’intensité des cyclones et que cela risque de poser problème.

Le protocole pour accueillir les réfugiés a-t-il été adéquatement revu depuis le passage de Berguita en début d’année ?
Je pense que les autorités ont appris de leurs erreurs et que le système a été revu, bien qu’il ne soit pas parfait. Par exemple, les bulletins de la météo émis pour la Classe 1 pour Cilida indiquent clairement les préparations à effectuer et le NDRRMC est maintenant opérationnel, de même que la Land Drainage Authority. Cependant, ces institutions doivent progresser plus vite en mettant en place des procédures claires pour la population pour chaque événement afin que la réponse aux catastrophes naturelles soit plus automatique et que les victimes ne se sentent pas désemparées.

Au-delà du cyclone, le pays fait régulièrement face à des 'flash floods', comme tout dernièrement à Cottage. Croyez-vous que ce soit le fait des constructions humaines ou plutôt de la nature qui change ?
Les deux. Le changement climatique cause une instabilité climatique avec des pluies localisées très intenses et au même moment les autorités et les citoyens ont construit de façon sauvage sur le littoral, les berges des rivières, les drains naturels et artificiels. Il faut une stratégie commune efficace qui comprend des études scientifiques, une conscientisation et une sensibilisation de la population mais aussi des amendes sévères envers les citoyens irresponsables.

Ne devrait-on pas passer en revue toutes les infrastructures du pays, surtout le réseau de drains, pour mieux s’adapter aux pluies torrentielles et autres changements climatiques ?
Oui, et c’est un travail qui a déjà commencé avec l’aide de l’AFD à travers le ministère de l’Environnement. Cependant, ce travail doit produire des résultats tangibles et applicables et il ne faut pas que les rapports produits terminent dans un tiroir. Pour cela, il faudra intégrer les différents acteurs et nous assurer que les politiciens approuvent et mettent en application les recommandations le plus rapidement possible.

Le changement climatique menace la survie du petit État insulaire que nous sommes nous en subirons les impacts de plein fouet.»

Vu son statut de petit État insulaire en développement, peut-on dire que Maurice est condamné à souffrir à de tels phénomènes ?
Maurice est classé 10e dans le monde comme État le plus à risque au niveau des risques naturels. Le fait que nous soyons un État océan avec des îles éparses et une zone située à quelques mètres au-dessus du niveau de la mer située dans la zone cyclonique avec un développement rapide et pas toujours respectueux de notre environnement, expose notre pays à des catastrophes naturelles importantes.

Les experts estiment que 2019 sera une des années les plus chaudes jamais connues, avec l’apport d'El Niño. Comment cela pourrait-il impacter sur Maurice ?
El Niño est un phénomène qui naît dans l’ocean Pacifique et qui transporte une masse d’eau chaude océanique à travers le courant sud équatorial dans notre région. Effectivement, les scientifiques ont détecté un début d’activité d'El Niño dans le Pacifique et cela risque de se traduire par des sécheresses intenses comme celle que nous avons connue en 1998 et des pluies torrentielles dans d’autres régions avec des températures atmosphériques extrêmes.

Qu’en est-il de notre vulnérabilité à une éventuelle montée des eaux ?
Le niveau de la mer est monté de 5,6 mm par an à Maurice et Rodrigues par rapport à 3,2 mm par an en moyenne dans le monde. Nous coulons deux fois plus vite que les autres pays et nous sommes directement menacés par l’érosion côtière et par l’intrusion du biseau sale qui risque de contaminer notre aquifère d’eau souterraine qui approvisionne notre pays en eau potable à presque 60%. Des infrastructures entières devront être déplacées et reconstruites et des populations devront être relogées dans les années à venir à Maurice. Notre secteur touristique risque de disparaître... tout cela est très inquiétant.

Qu’est-ce qu’on pourrait faire pour éviter ce scénario catastrophique ?
Pas grand chose, malheureusement. Il faut commencer à s’adapter. Les autorités ont commencé à construire des structures en dur, des murs en roche. Mais il faudrait construire des murs de plus de trois mètres de haut pour être efficaces alors que tous nos hôtels sont à un peu plus d’un mètre d’altitude. On n’aurait plus accès à nos belles plages. L’alternative serait de déplacer les hôtels vers l’intérieur, mais là encore, il y a les infrastructures existantes qui posent problème. Il faut une planification à long terme et il y a une étude de l’AFD en cours sur les possibles scenarios en 2030, 2050 et 2100. D’ici 2030, les catastrophes naturelles vont se combiner : on aura des sècheresses et des cyclones en même temps. On vivra un basculement en 2030. Ce sera ératique et compliqué à gérer. Les effets de différents phénomènes vont se combiner.

Quel pourrait être l’impact sur le secteur agricole et l’environnement marin dans nos lagons ?
Avec le changement climatique, les eaux de l’océan Indien se réchauffent et s’acidifient du fait de la dissolution du dioxyde de carbone dans l’eau. Cela crée un stress important sur nos récifs coralliens, qui jouent un rôle crucial dans la dissipation de l’énergie des vagues océaniques. La mort des coraux entraînera une baisse de l’efficacité naturelle des récifs et ainsi une accentuation de l’érosion côtière et la chute des stocks de poisson. Nous vivons dans une époque bouleversée qui demande une action immédiate de la part de nos dirigeants et de nos citoyens. Le changement climatique menace la survie même de notre civilisation et comme petit État insulaire nous en subirons les impacts de plein fouet.

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !