L'alliance de l’opposition PTr-MMM-ND a fait sensation en annonçant la gratuité des transports en commun pour tous comme l'une des mesures phares de son programme électoral. Cette proposition, si elle est accueillie avec enthousiasme par certains, suscite des interrogations et des réserves.
Depuis 2005, le transport est gratuit pour les personnes âgées, les handicapés et les étudiants à Maurice. Cependant, l’alliance de l’opposition PTr-MMM-ND envisage d'aller encore plus loin si elle accède au pouvoir lors des prochaines élections. Sa proposition inclut le transport gratuit pour tous, ainsi que la gratuité des vans scolaires. Alors que la gratuité des transports est une réalité dans de nombreux pays et villes à travers le monde, des questions surgissent quant à son implémentation et ses implications spécifiques à Maurice.
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Dr Sidharth Sharma, CEO de Rose-Hill Transport (RHT), a plusieurs fois dans le passé émis cette idée de transport gratuit. « L'idée n'est pas nouvelle et a été discutée dans différents forums. Sa mise en œuvre ne semble pas très compliquée. L'État prend déjà en charge les étudiants, les personnes âgées et les handicapés, ce qui couvre déjà plus de 40 % de la population », explique-t-il.
Le CEO de RHT poursuit qu’environ 45 % des employés de bureau et du service civil pourraient être concernés. « L'idée serait que l'employeur verse de l'argent qu’il paie en allocation à ses salariés à une organisation qui aura à sa charge la gestion des transports publics pour couvrir les coûts. Environ 15 % concernent les self-employed. Ce n’est pas compliqué de trouver une solution », estime notre interlocuteur.
Selon Sidharth Sharma, si l'on fait un calcul, cela pourrait représenter environ Rs 400 millions par an, comparées aux Rs 4 milliards du budget transport. Pour lui, il n’y a pas de doute que le transport gratuit pour tous est avantageux.
« Les avantages seraient nombreux : 90 % des personnes abandonneraient leur voiture pour les transports en commun, n'utilisant leur véhicule que le week-end, ce qui réduirait leurs coûts en essence et en entretien. Pour le pays, la facture énergétique diminuerait automatiquement », précise-t-il.
Le CEO de RHT ajoute que ce projet a un potentiel d'autofinancement. « Je crois que le ministère a déjà envisagé cela. C'est quelque chose qui pourrait nous rapprocher de villes comme le Luxembourg, où tous les modes de transport sont gratuits. Les expériences ont montré des impacts positifs : réduction de la congestion, augmentation de la productivité, et une cascade de bonnes mesures. La question reste de savoir qui va mettre en œuvre cette idée, mais je crois que c'est faisable et réalisable », indique notre interlocuteur.
Pour sa part, Swaleh Ramjane, CEO de l’United Bus Service (UBS), déclare qu’il est difficile de se prononcer à ce sujet sans connaître tous les détails.
“Le fait que les personnes âgées et handicapées bénéficient déjà de transports gratuits et que certaines entreprises remboursent leurs employés pour leurs frais de transport suggère que cela relève davantage d'une décision politique que d'une faisabilité technique. Pour vraiment comprendre comment cela pourrait être mis en œuvre, il faudrait clarifier tous les détails et discuter avec toutes les parties prenantes. En l'absence de ces informations, il est difficile de prédire exactement comment cela se déroulerait”, fait-il ressortir.
Du côté du Triolet Bus Service (TBS), on joue la carte de la prudence. On affirme qu’il faut connaître les modalités avant de faire des commentaires sur cette proposition. “C'est encore trop tôt pour prendre position, car les détails spécifiques de la mise en œuvre sont essentiels pour évaluer correctement son impact et sa viabilité”, indique-t-on.
Sunil Jeewoonarain, secrétaire de la Mauritius Bus Owners Cooperative Federation, parle de “flou” concernant cette proposition. “Tout changement dans le système de transport aura des répercussions importantes sur le secteur d'activité. Il faut une discussion approfondie avant toute décision”, croit-il.
Il soutient également qu'en plus de la concertation avec tous les acteurs concernés, il est essentiel de prendre en compte les données existantes pour éviter toute perturbation majeure dans le secteur du transport. "Il faut bien faire les choses. Si cela est fait de façon professionnelle, cela peut avoir des impacts positifs, mais si c'est fait de manière amateure, il y aura des répercussions. On ne devrait pas prendre à la légère le fait que des compagnies pourraient être contraintes de mettre la clé sous la porte ou que le service en pâtisse", met-il en avant.
À savoir
Le Free Travel Scheme, introduit en 2005, est un programme gouvernemental qui offre la gratuité du transport public aux citoyens mauriciens. Cette initiative est née d'une promesse électorale de l'Alliance sociale menée par le Parti travailliste.
L’avenir de 6 000 taximen menacé
Raffick Bahadoor, de la Taxi Proprietors Union, met en garde contre cette proposition, surtout si les taximen ne sont pas pris en ligne de compte.
“Cela pourrait effectivement signifier la mort des taxis et nous mettre dans une situation délicate. Pour moi, la question n'est pas tant celle du transport gratuit, mais plutôt celle d'une nationalisation à long terme qui semble se profiler”, affirme-t-il.
Pour lui, les taxis sont déjà affectés avec le métro, qui a eu un impact sur leurs opérations. “Les personnes âgées et les enfants qui vont à l'école sont déjà pris en charge, et 50 % des travailleurs ont déjà des arrangements de transport. Nous ne considérons pas cela comme une gratuité totale, car le gouvernement paie déjà pour le transport, et le secteur privé prend en charge les frais de transport de ses employés. L'argent serait simplement reversé dans un fonds et distribué directement par les autorités compétentes”, explique Raffick Bahadoor.
Il avoue que c’est à l’avantage des chauffeurs et des receveurs qui sont souvent victimes à cause des recettes de la journée. Il souligne aussi que le secteur des transports est toujours en ébullition. “En tant que syndicat, lorsque cela arrivera, nous devrons repositionner notre échiquier dans le domaine du transport”, pense-t-il.
Selon notre interlocuteur, plusieurs demandes devront être formulées pour alléger le fardeau des taxis. “Nous devrons organiser des discussions pour obtenir un consensus, et nous assurer que nous avons notre place dans cette équation. Nous devons prendre cela au sérieux. L'avenir de 6 000 chauffeurs de taxi est menacé. Nous devons trouver une solution qui rassurera les chauffeurs de taxi et éviter qu'ils soient laissés pour compte”, lance-t-il.
L’État débourse plus d’un milliard de roupies en subventions
Pour l'année financière se terminant le 30 juin 2022, l'État a déboursé exactement Rs 1 148 922 575 pour financer le transport gratuit aux étudiants et aux personnes du troisième âge.
La Corporation Nationale de Transport (CNT) ainsi que les quatre autres compagnies privées de transport public ont reçu un montant fixe de Rs 59 208 000 chaque mois pour l'année financière 2021/22. Quant aux compagnies de bus individuelles, la subvention mensuelle varie de Rs 37 000 à Rs 55 000, en fonction de la route qu'elles desservent et du nombre de passagers transportés.
Pour l'année financière 2022/23, débutant le 1er juillet, le gouvernement prévoit de dépenser Rs 1,3 milliard. Cette fois-ci, une partie de ces fonds sera également allouée à Metro Express Ltd. Pour les années 2023/24, 2024/25 et 2025/26, une somme estimée à Rs 1,37 milliard est également prévue pour chacune de ces années.
Pour des négociations transparentes et inclusives
Shameem Sahadut, président et porte-parole de l'Association des vans scolaires, avance que cette proposition “sonne bien à l’oreille”. Toutefois, il se demande s’il y a eu des concertations avec les personnes concernées avant cet effet d’annonce. “Dans le cas du transport scolaire, où les bus sont déjà gratuits et où les parents paient pour les vans scolaires privés, il est légitime de se demander comment les choses se passeront à l'avenir. Il est essentiel d'avoir toutes les parties prenantes autour de la table pour des négociations transparentes et inclusives sur la façon dont les choses doivent être faites et sur les procédures à suivre”, déclare-t-il.
Par ailleurs, il dit qu’avant d'atteindre une étape de mise en œuvre, il y a plusieurs questions à résoudre concernant le financement, les responsabilités et les impacts potentiels. “Il faut mettre en place un processus consultatif et décisionnel clair, où les voix de toutes les parties concernées sont entendues et prises en compte. Sinon, cela risque de créer plus de confusion et d'incertitude plutôt que de résoudre les problèmes existants”, croit-il.
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