Le rapport Afrobarometer sur le système judiciaire et la police mauricienne a été rendu public en septembre 2024. L’avocat Kris Valaydon et l’avoué Selva Murday estiment qu’il y a un fossé entre la perception et la réalité.
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Confiance dans la police et la justice en berne, perception persistante de « traitement inégal », de corruption de certains juges, magistrats et policiers… Le récent rapport d’Afrobarometer (voir encadré), publié ce mois-ci, révèle une érosion croissante de la confiance envers le système judiciaire et la police mauricienne, avec des inquiétudes quant à l’influence de certaines personnalités publiques. L’avocat Kris Valaydon et l’avoué Selva Murday se penchent sur ces résultats.
Me Kris Valaydon, juriste et conférencier en droit, s’interroge sur la notion même de « confiance » dans ce contexte. « Ce terme est trop vaste pour être appréhendé de manière uniforme. S’agit-il d’une perte de confiance dans l’impartialité des juges, dans la lenteur des procédures, ou dans la transparence des décisions ? » se demande-t-il.
La généralisation à partir de ces enquêtes d’opinion présente des biais importants, notamment en ce qui concerne la justice, affirme-t-il. Les sondages sur la confiance peuvent prêter à confusion, dit-il, en particulier lorsqu’il s’agit d’évaluer un système aussi complexe que la justice. Me Kris Valaydon est d’avis que les Mauriciens conservent une grande estime pour les juges et magistrats du pays. « La perception de corruption et de traitement inégal dans le système judiciaire ne reflète pas la réalité », insiste-t-il.
« Il y a définitivement un fossé entre la perception et la réalité », renchérit Me Selva Murday, avoué et secrétaire de la Mauritius Law Society (MLS), qui précise parler en son nom personnel. « En me basant sur le rapport, je constate qu’il n’y a qu’une certaine frange de la population qui pense que la justice est corrompue. La réalité est tout autre », affirme-t-il. Il souligne des progrès réalisés ces dernières années, notamment la création de la Land Division à la Cour suprême, qui a permis d’accélérer les litiges fonciers. Un changement significatif qui, selon lui, n’est pas suffisamment pris en compte par la population. Ainsi, pour lui, « dans l’ensemble, Maurice peut être fier de son système judiciaire, car il a apporté une stabilité, que ce soit sur le plan politique ou financier, créant ainsi un espace propice pour les investisseurs ».
Abordant la question de la communication judiciaire, il explique que les juges et magistrats, en raison de leur devoir de réserve, « ne peuvent pas expliquer leurs décisions en dehors des jugements rendus ». Cela contribuerait peut-être, selon lui, à l’incompréhension et à la perception parfois négative du système.
Et qu’en est-il de la baisse de confiance dans la police ? La question est plus complexe, admet Me Kris Valaydon. « Il faut savoir s’il s’agit des divers services que rend la police à la société. » Les perceptions négatives sont-elles liées aux arrestations, aux poursuites, ou bien à la gestion des affaires de drogue, veut-il savoir. « Je ne pense pas que la baisse de confiance du public concerne toutes les composantes du mandat de la police », poursuit-il.
Interrogé sur les perceptions de corruption et de « deux poids et deux mesures », notamment parmi les citoyens les plus vulnérables, Me Kris Valaydon rappelle que cette perception est souvent ancrée dans un sentiment d’injustice systémique. « Le système de justice, la police et même l’ensemble du système de droit, comme dans presque tous les pays, sont parfois perçus comme perpétuant un système de classe et protégeant la classe dominante », dit-il. Des faits marquants, tels que la grâce présidentielle accordée au fils d’un haut responsable de la police, ou encore l’arrestation expéditive d’un voleur de litchis, viennent renforcer ce sentiment d’injustice. « Je tiens à préciser qu’il ne s’agit pas des juges ou des magistrats », affirme-t-il.
Me Selva Murday se dit, lui aussi, conscient des défis, notamment en ce qui concerne l’accès à la justice pour les plus défavorisés. Pour lui, l’éducation juridique reste un enjeu majeur. C’est pourquoi il plaide pour une meilleure sensibilisation du public.
Toujours est-il qu’au-delà des sondages, Me Kris Valaydon évoque une source plus profonde de la défiance grandissante : un dangereux mélange entre politique et droit, avec l’émergence d’un conflit entre les deux sphères. « Un certain nombre d’événements ont démontré l’ambition des politiciens de saper l’indépendance des institutions. » Il parle d’« une instrumentalisation de la police, non seulement à des fins politiques mais aussi pour contrer le fonctionnement des institutions indépendantes telles que le DPP ».
Cette politisation des institutions serait, selon lui, à l’origine de la méfiance grandissante du public, surtout dans les affaires impliquant des politiciens ou leurs proches. « C’est surtout dans les cas politiques que l’on peut évoquer la question de confiance en la police », avance le conférencier.
Cependant, reconnaît Me Kris Valaydon, la perception de corruption et de traitement inégal dans le système judiciaire est souvent influencée par les médias, en particulier lorsqu’il s’agit d’arrestations d’opposants politiques ou d’accusations de « planting ». « La perception des agissements de la police est influencée par ce que le citoyen apprend dans les médias sur les différences de traitement, selon le bord politique des individus. »
Les principales conclusions du rapport d’Afrobarometer
Confiance dans la justice
• 56 % des sondés font confiance aux tribunaux.
Chute de 23 points depuis 2012.
• 21 % pensent que la justice est exempte de corruption.
• 57 % soupçonnent des juges et magistrats de corruption.
Confiance dans la police
• 52 % des sondés font confiance à la police, contre 67 % en 2012.
Léger regain depuis 2022.
• 73 % estiment que certains policiers sont corrompus.
Tous égaux devant la loi
• 61 % des sondés croient que les tribunaux ne sont pas influencés par les politiques.
• 29 % pensent que des juges sont influencés par des facteurs externes.
• 41 % s’attendent à une résolution rapide des affaires.
• 43 % croient en une inégalité de traitement devant la loi.
Accès à la justice
• 56 % des sondés pensent qu’ils obtiendront un jugement équitable.
• 48 % estiment pouvoir se permettre de porter une affaire devant les tribunaux.
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