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Shirin Aumeeruddy-Cziffra, Speaker : «Je suis profondément humaniste et je n’ai plus rien à prouver» 

Shirin Aumeeruddy-Cziffra, la nouvelle Speaker, affirme avoir accepté ce poste pour faire honneur à son pays. Face aux critiques entourant sa nomination, elle promet de faire preuve d’indépendance et de neutralité, tout en soulignant sa vision profondément humaniste.  

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Madame Aumeeruddy-Cziffra, vous êtes la seconde femme à devenir Speaker de l’Assemblée nationale de Maurice. Comment percevez-vous cette nomination et quel message cela envoie-t-il pour la représentation féminine dans la politique du pays ? 
Je me suis toujours battue pour que les femmes trouvent leur juste place dans la vie publique et dans toutes les sphères de la vie. Dans l’idéal, il aurait fallu avoir au moins 20 femmes parmi les 60 élus. Cela n’a pas été possible. Les dirigeants ont donc promis de placer des femmes à des postes importants. C’est dans ce contexte, je pense, qu’on m’a proposé ce poste. En tout cas, j’ai accepté pour faire honneur à mon pays, mais aussi pour rassurer les citoyennes.

Dans votre discours inaugural, vous avez souligné l’importance de « restaurer l’impartialité et renforcer la confiance dans l’institution parlementaire ». Quelles sont les premières actions concrètes que vous envisagez pour atteindre cet objectif ? 
Il est avant tout nécessaire de sérieusement promouvoir une atmosphère saine et calme, propice au travail. Je ne tolérerai ni tentatives de déstabilisation, ni incartades ou abus de la part de qui que ce soit. A priori, je n’ai pas de raison de croire que cela se produira, car une telle victoire permet vraiment à tous d’avoir de l’espoir. 

En termes d’actions concrètes, je compte inviter les députés à siéger dans des commissions spécialisées où ils pourront exprimer leurs opinions avec passion et débattre en petits groupes sur des sujets qui peuvent sérieusement améliorer la vie de nos concitoyens. 

Le Public Accounts Committee et le Standing Orders Committee sont mes priorités. Je compte beaucoup sur le Deputy Speaker, le Deputy Chairman of Committees et les Whips pour m’aider dans la création et le fonctionnement de ces comités. 

Certains estiment que votre nomination au poste de Speaker est un signal fort en faveur de la cause féminine. D’autres, en revanche, ont exprimé des réserves. Comment réagissez-vous ? 
Bien sûr, certains ne digèrent pas ma nomination. Depuis 50 ans, je subis des critiques, non pas sur ma compétence, mais parce que, selon mes détracteurs, je ne suis pas « une bonne musulmane ». Je regrette cela, mais je n’ai poursuivi personne pour diffamation car je crois à la justice naturelle. 

Je sais que tout cela ne peut pas vraiment me faire de tort. Beaucoup de gens m’apprécient et j’ai fait mes preuves à des postes importants pendant un demi-siècle. De plus, j’ai fait l’unanimité à l’Assemblée. Même le leader de l’opposition a soutenu ma nomination, en suivant une tradition bien établie, mais il aurait pu s’abstenir. 

Je suis profondément attachée au respect des libertés fondamentales et je respecte l’opinion des autres. Je souhaite qu’ils me respectent aussi. J’attends surtout des arguments valables et non des contrevérités. 

N’est-il pas temps d’assainir la situation en changeant le mode de nomination du Speaker pour éviter cette perception de partialité ? 
Les Standing Orders permettent déjà un vote. Peu de gens le savent, mais ce n’est pas la première fois que je suis candidate à ce poste. En 1978, le MMM avait proposé ma candidature quand j’étais députée. Il y avait eu un vote. Sir Ramesh Jeewoolall, un très bon ami à moi, avait remporté l’élection avec une seule voix de plus que moi. 

Quand il y a une majorité écrasante, le contexte est évidemment différent. Je suppose que ceux qui réfléchiront à une refonte du système électoral se pencheront aussi sur ce type de nomination. 

Vous avez affirmé que vous écouterez tous les parlementaires avec un esprit ouvert et sans crainte. Mais dans quelle mesure cela sera-t-il possible, sachant que vous avez été nommée par le gouvernement ? 
Vous me connaissez assez pour savoir que je suis très indépendante. Quand j’étais députée, j’avais demandé le droit de voter contre la ligne de mon parti à deux reprises. Je crois que c’est justement pour mon indépendance que les leaders de l’alliance victorieuse ont décidé de proposer ma candidature au poste de Speaker. Ils souhaitaient rompre avec la partialité observée dans le passé en ceux qui n’avaient aucun sens de ce qu’implique cette fonction.

Votre parcours est marqué par une grande diversité de rôles, notamment en tant que ministre, maire, avocate, ambassadrice et Ombudsperson for Children. Comment ces expériences vous préparent-elles à la fonction de Speaker et quelles compétences spécifiques apportez-vous ? 
Je ne changerai pas de personnalité à 76 ans ni entacher ma réputation pour plaire à qui que ce soit. J’ai presque tout fait dans ma carrière et je pense avoir acquis beaucoup d’expérience. Chaque poste est néanmoins différent. 

Je sais bien qu’il faudra que je maîtrise les lois et les procédures parlementaires spécifiques. Je serai bien épaulée, je crois. Mais on ne peut pas tout prévoir. Souvent, c’est l’expérience de la vie qui aide dans n’importe quel job. 

Vous aviez été nommée au Public Bodies Appeal Tribunal par sir Anerood Jugnauth, mais votre contrat n’avait pas été renouvelé après son décès. Comment cette expérience a-t-elle influencé votre vision de la politique et des institutions publiques ? 
Au Public Bodies Appeal Tribunal, j’occupais un poste constitutionnel, sans avoir fait le moindre lobbying pour occuper ce poste. C’est sir Anerood qui avait pensé à moi pour prendre la relève dans ce tribunal. Comme j’hésitais, il m’avait encouragée. 

Mon rôle était d’écouter les appels de fonctionnaires se sentant lésés dans des promotions ou sanctionnés injustement. J’avais une fonction de juge. Avec deux assesseurs, nous avions, en notre âme et conscience sans systématisme, annulé certaines décisions de la Public Service Commission ou de la Local Government Service Commission. 

Sir Anerood avait renouvelé plusieurs fois mon contrat et ceux de mes assesseurs. Pourtant, aucun de nous n’était membre du MSM. Après son décès, le gouvernement d’alors avait choisi de ne plus renouveler mon contrat pour nommer, à ma place, un nouveau président qui est là depuis trois ans. C’est pour cette raison que je trouve inacceptable qu’on m’ait accusée d’être dans « lakwizinn ». Je suppose que ceux qui voulaient empêcher ma nomination ont pensé atteindre leur but à travers cette campagne indigne. 

n Dans un hémicycle dominé par l’Alliance du Changement et avec une opposition réduite, comment comptez-vous maintenir l’équilibre et favoriser un dialogue constructif entre les camps politiques ? 
J’espère que ma présence seule fera la différence. Je suis profondément humaniste et aujourd’hui, je n’ai plus rien à prouver. J’aime les gens en général et mon niveau de tolérance est assez élevé. Je veux inspirer les jeunes députés pour qu’ils comprennent que la politique est un métier noble et que notre petit pays a besoin d’eux pour faire un saut qualitatif. 

C’est ensemble qu’ils peuvent changer la vie des gens. La campagne électorale est déjà derrière eux. Le temps est à la construction et à la reconstruction. Pour cela, ce n’est pas nécessaire d’être des moutons de Panurge, ni de bouder ou d’avoir des conflits. Il faut respecter les idées divergentes. Mes trois R, « Rights, Respect, Responsibility », devraient aussi être leur devise.  

Quelles priorités comptez-vous mettre en avant dans votre rôle de Speaker ? 
Je ne participe pas aux débats et je n’exprimerai pas mes opinions. Au-delà de ma présidence, je me vois dans l’hémicycle comme une facilitatrice pour permettre l’élargissement du débat sur toutes les questions primordiales. 

Déjà, je voudrais relancer le Parliamentary Gender Caucus avec l’aide du Programme des Nations unies pour le développement (UNDP). Je pense aussi qu’il est temps de faire fonctionner le National Youth Parliament d’une manière autre que symbolique. Des jeunes m’en ont parlé. Ils sont impatients de se rencontrer. 

Enfin, quel message souhaitez-vous adresser aux citoyens ? 
Je crois que les citoyens n’ont pas attendu pour se retrousser les manches et montrer qu’ils s’impliqueront, à leur tour, dans des actions civiques. Notre Parlement les inspirera davantage. La démocratie parlementaire restaurée permettra à la société civile de respirer et apportera sa contribution à l’installation d’une nouvelle République où il fait bon vivre. 

La Dame aux poings de fer 

Shirin Aumeeruddy-Cziffra est bien plus qu’une figure emblématique de Maurice. Elle est un symbole vivant de rigueur, de persévérance et d’engagement indéfectible pour la justice sociale et les droits humains. 

Née à Port-Louis, elle grandit à Beau-Bassin avant de s’établir à Quatre-Bornes. Élève du Queen Elizabeth College, elle poursuit ses études de droit à Londres, au Middle Temple et à l’Inns of Court School of Law, avant de compléter son cursus à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. 

En 1974, elle rentre à Maurice, initialement pour faire découvrir son pays à Claude Cziffra, son futur époux, qu’elle a rencontré à Paris. Ce qui devait être une brève escale se transformera en une installation définitive. Le couple se marie le 14 juillet 1974. 

En 1976, elle débute sa carrière politique en étant élue au conseil municipal de Stanley/Rose-Hill. En 1982, elle marque l’histoire en devenant la première femme ministre de la Femme et de la Famille, posant ainsi les bases de réformes cruciales pour les droits des femmes et de la famille. 

Elle cofonde des organisations non gouvernementales (ONG), comme La Ligue Féministe en 1975 et Solidarité Femmes en 1977. Son action ne se limitera pas à son pays natal. Elle cofondera également des organisations panafricaines, telles que WILDAF (Women in Law and Development Africa) et Femmes Afrique Solidarité (FAS), des mouvements dont l’objectif est de défendre les droits des femmes et des enfants à travers le continent africain. En 1992, Shirin Aumeeruddy-Cziffra prend une nouvelle orientation professionnelle en devenant ambassadrice de Maurice à Paris. Elle représente son pays dans plusieurs instances internationales, y compris à l’Organisation des Nations unies et à l’United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization (UNESCO). 

Elle préside également le Conseil permanent de la francophonie, renforçant ainsi la diplomatie mauricienne au sein de la communauté internationale. Son influence grandit. En 2004, l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne lui décerne le titre de Docteur Honoris Causa en reconnaissance de sa carrière exceptionnelle et de son engagement pour la création d’une faculté de droit à Maurice. De 2002 à 2004, elle est membre du comité éditorial de l’Étude du secrétaire général des Nations unies sur la violence à l’égard des enfants, travaillant en étroite collaboration avec le professeur Paulo Sergio Pinheiro, l’expert international chargé de coordonner l’étude qui a abouti à la publication du Rapport mondial sur la violence à l’égard des enfants (2006). 

Première OMBUDSPERSON For CHILDREN 

Elle a également contesté deux lois discriminant les femmes (l’Immigration Amendment Act 1977 et la Deportation Amendment Act 1977) devant le Comité des droits de l’homme des Nations unies, qui a condamné ces lois en 1981. Des lois qu’elle a elle-même modifiées en 1983, en tant que Procureure générale et ministre de la Justice. 

En décembre 2003, elle est nommée pour un mandat de quatre ans comme la première Ombudsperson for Children. Son contrat, qui est renouvelé, prendra fin en 2011. Elle est ensuite nommée présidente du Public Bodies Appeal Tribunal en 2012, un poste qu’elle occupera jusqu’en octobre 2021. 

Shirin Aumeeruddy-Cziffra est également une militante des droits humains reconnue à l’échelle mondiale. Elle a siégé au sein de plusieurs organisations internationales, telles que le Conseil des droits de l’homme. Elle a collaboré avec les Nations unies pour défendre les droits des femmes. Ses contributions lui ont valu des distinctions prestigieuses, dont la Légion d’honneur en 2015.

Elle est membre du Comité des sages pour l’évolution de la Commission de l’océan Indien (COI) depuis 2003. En 2017, elle est sollicitée pour soumettre un rapport sur des propositions légales concernant une révision de l’organisation constitutionnelle de la COI. Depuis 2019, elle est ambassadrice de bonne volonté pour l’Union européenne (Délégation de Port-Louis) pour la campagne Rise and Shine sur les droits humains.

Aujourd’hui, à 76 ans, Shirin Aumeeruddy-Cziffra continue de défendre les causes qui lui sont chères, notamment les droits des femmes et des enfants, tout en poursuivant ses engagements au sein de diverses organisations internationales. Elle est également l’auteure de plusieurs ouvrages, dont « Femmes, de l’ombre à la lumière : l’évolution des droits de la femme à Maurice » (2022). Elle joue un rôle majeur dans la promotion de l’égalité des sexes. Récemment, elle a été nommée Speaker de l’Assemblée nationale.
 

 

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