Sen Ramsamy, le Managing Director de Tourism Business Intelligence, attribue la chute de la croissance dans le secteur touristique à « l’absence d’un leadership fort et un manque de vision, de stratégie et de nouvelles orientations. »
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Statistics Mauritius a revu ses prévisions du secteur touristique pour 2019 en prévoyant zéro croissance. Est-ce que cette stagnation était prévisible ?
La stagnation était bien sûr prévisible et je tire la sonnette d’alarme depuis belles lurettes, mais en vain. Nul n’est prophète dans son pays. La lente dérive du tourisme mauricien ne date pas d’hier mais depuis plusieurs années. Mais cette dérive s’est accélérée sur les deux dernières années par l’absence d’un leadership fort pour ce secteur. Le problème se situe au niveau de notre offre touristique qui est restée figée sur le soleil, la mer et la plage ; bref comme une vieille carte postale. Il y a un manque de vision, de stratégie et de nouvelles orientations pour le développement du tourisme à Maurice et ajouté à cela il y a aussi un flagrant manque de créativité et d’innovation de la part du secteur privé pour ce secteur. On fait du pareil au même.
Est-ce que les prix pratiqués par nos hôtels, considérés comme exorbitants, en sont un des facteurs ?
Je ne partage pas vraiment ce point de vue. Certes il y a des exagérations par certains opérateurs. Mais n’est-il pas justement la finalité de nos stratégies de développement et de nos démarches commerciales pour ce secteur. Je préfère les Seychelles qui, à juste titre, veulent gagner plus d’argent du tourisme que plus de touristes. C’est une stratégie plus intelligente et payante que Maurice aussi avait adoptée dans le passé mais délaissée en cours de route. D’ailleurs une analyse des dépenses moyennes par visiteur dans les îles de l’océan Indien, démontre que Maurice est passée de la première à la quatrième position sur ce critère. Ceci dit, il faut savoir que le succès du tourisme se mesure bien plus en termes de revenus en devises étrangères pour notre économie, en création d’emplois pour nos jeunes, en volume d’investissement et en valeurs ajoutées qu’en arrivées de touristes.
Donc faut-il limiter les arrivées touristiques ?
Je suis plus en faveur d’un nombre réaliste de visiteurs qui dépensent gros dans le pays que de beaucoup de visiteurs qui ont un impact important chez nous sur le plan social, écologique, culturel mais qui, au final, ne dépensent que des ‘peanuts’ dans l’île. Il faut savoir ce qu’on veut du tourisme. Notre choix doit être stratégiquement clair : soit plus de visiteurs dans le pays, soit plus d’argent des visiteurs.
Les hôteliers préfèrent remplir leur caisse sur le court terme que de voir la pérennité de la destination sur le long terme»
Pourquoi la destination mauricienne ne séduit plus comme dans le passé ?
Notre offre n’a pas évolué avec les nouvelles tendances dans le monde ni avec les attentes des ‘millenials’. La qualité de service a dégringolé sensiblement, les jeunes employés sont intéressés plus par le côté glamour et pécuniaire du tourisme mais pas pour offrir un service de qualité et d’excellence comme faisaient les précédentes générations de travailleurs du secteur et qui faisait notre bonne réputation. Mais il est tout aussi vrai que l’écart dans les salaires des employés du tourisme est devenu inacceptable. Il y a des jeunes stagiaires diplômés dans l’hôtellerie que je connais et qui travaillent d’arrache-pied, jour et nuit, mais qui ne perçoivent pas un seul sou à la fin du mois sous prétexte que c’est de la formation sur le tas. C’est de l’exploitation pure et simple. Cette mentalité de certains opérateurs est révoltante et inacceptable. Ce n’est guère surprenant que les jeunes qui sont motivés à servir l’industrie du tourisme et de l’hôtellerie cherchent finalement à faire carrière ailleurs dans d’autres destinations et sur les croisières.
Est-ce que le plan All-inclusive imposé par la majorité des hôtels en est pour quelque chose ?
À mon avis, le concept ‘All-inclusive’ tue notre destination lentement mais surement. Après les dégâts causés dans les Caraïbes, cette pratique s’attaque à notre région. Bien sûr que les hôteliers vont dire le contraire, car on touche à leurs porte-monnaie. Ces derniers préfèrent remplir leur caisse sur le court terme que de voir la pérennité de la destination sur le long terme. D’ailleurs, si on souffre de plusieurs maux dans le tourisme aujourd’hui c’est aussi le fruit d’une myopie dans notre approche depuis quelques années au détriment de la destination. Il faut avoir le courage de ramener les Tour opérateurs étrangers sur terre car ils abusent de leur situation d’intermédiaire privilégié. Par exemple, si vous réservez une chambre aux Seychelles, à Dubaï, à Londres ou ailleurs, on ne vous proposerait pas un forfait à moins que vous le souhaitiez, mais vous aurez surement un forfait chambre et petit déjeuner. Et vous êtes libre de sortir et manger où vous voulez après. À Maurice, c’est le restaurant du village, le magasin en ville, l’artiste mauricien, le taximan du coin, qui sont tous perdants car ils sont tous réduits en simples spectateurs du développement touristique. Alors que le soir, nous aurions pu avoir une économie florissante organisée dans un cadre sécurisé et animé. Ce sont autant de ‘missed opportunities’ pour les Mauriciens.
L’écotourisme, le tourisme d’aventure et le tourisme culturel sont très prisés dans le monde. Pourquoi demeurent-ils toujours des slogans à Maurice ?
On en parle depuis des années tout comme le concept safari-plage qui n’a pas vraiment décollé et qui ne décollera jamais. Parce que nous sommes une toute petite île perdue sur la carte du monde et connus par un certain nombre de voyageurs comme destination carte postale avec le soleil, la mer, la plage et les cocotiers. Ce n’est aussi pas surprenant car c’est l’image principale que projette la MTPA à l’étranger depuis des lustres avec certains hôteliers. J’ai toujours dit qu’on aurait pu agrémenter notre image classique soleil-mer-plage, avec une offre plus séduisante de Destination Bien-être et jouer sur le contraste d’un monde marqué par le stress, les incertitudes, le terrorisme, les conflits armés, les grèves, les catastrophes naturelles, les épidémies etc. Pourquoi pas Maurice en tant que destination shopping pour l’immense marché voisin qu’est l’Afrique ? Avec des produits mauriciens côtoyant les produits de qualité en provenance de Chine, de l’Inde, de la Corée, du Japon etc, on deviendrait une ‘sourcing destination’ pour tout le continent. Ces touristes d’affaires remplissent bien les chambres d’hôtels à prix forts, vous savez ? Non seulement tous les secteurs de notre économie nationale deviendraient plus palpitants avec les effets multiplicateurs, mais toute la population en sortira gagnante dans son ensemble.
Vous affichez de l’optimisme pour 2020. Sur quoi vous basez-vous concrètement ?
Je suis de nature optimiste et positif dans la vie. À la veille de chaque année, je fais toujours un souhait positif pour mon pays. Avec le changement politique et administratif à la tête du ministère du Tourisme à Maurice, un ministère que j’ai tellement aidé à construire dans les années 80s, et qui ne me reconnaît pas, qui ne m’invite jamais à ses réunions de travail, alors que des pays de la région et d’autres très lointains, jusqu’aux îles des Caraïbes, font appel à moi pour les aider à bâtir leurs industries touristiques et hôtelières, je ne peux que souhaiter que le tourisme mauricien va se relever avec le dynamisme affiché du nouveau ministre que j’espère rencontrer en personne un jour, que sous son impulsion le secteur ira bien mieux en 2020 en termes de vision, de politique de développement durable et pérenne, de stratégies de marketing plus intelligentes et plus porteuses de résultats par rapport au budget gigantesque dépensé chaque année, et aussi en termes d’un renouvellement de notre offre touristique, et ce, pour l’avenir même de ce secteur important de notre économie et surtout pour l’avenir de nos enfants.
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