À 35 ans, la Senior State Counsel Sanaa Hajee Abdoula Mamode Ally allie excellence professionnelle et engagement public, tout en honorant l’héritage de son père, le regretté juge Abdul Razack Hajee Abdoula. Elle nous raconte sa première expérience en tant que Returning Officer lors des législatives de 2024.
Qui êtes-vous ?
Je suis Sanaa Hajee Abdoula Mamode Ally. Je suis Senior State Counsel et mariée à Bilal Mamode Ally, directeur de la compagnie Allys & Allys. Nous avons trois enfants.
Parlez-nous de votre parcours académique.
J’ai fait le secondaire au collège Dr Maurice Curé. Ensuite, j’ai obtenu un bachelor en Droit (L.L.B) à la City University de Londres, suivi d’un diplôme de troisième cycle en Compétences juridiques professionnelles (Bar Professional Training Course) à la City Law School de Londres.
Qu’en est-il de votre parcours professionnel ?
En tant qu’avocate, j’ai commencé ma pratique dans les cabinets de Sir Hamid Moollan K.C pendant deux ans. Puis, j’ai rejoint le bureau de l’Attorney General en 2013. J’ai aussi été lecturer à temps partiel à l’Université de Maurice, à l’Université de Technologie de Maurice et au Center for Legal Business School (CBLS).
Devenir Returning Officer, est-ce un choix personnel ou une mission imposée ?
Être Returning Officer a toujours été un choix personnel car mon père, le regretté juge Abdul Razack Hajee Abdoula, a assumé ce rôle à de nombreuses reprises au cours de sa carrière. Lorsque j’ai rejoint le Bureau de l’Attorney General, il me disait souvent qu’un jour, on me donnerait l’opportunité d’assumer ce rôle. Et ce jour est enfin arrivé.
Accepter ce rôle pour les législatives de 2024 était ma manière de rendre hommage à l’héritage de mon père et de réaliser son rêve»
Lorsque l’opportunité s’est présentée, aviez-vous des appréhensions ou étiez-vous prête à relever ce défi ?
Je pense que nous avons tous un peu d’appréhension lorsqu’il s’agit de prendre de nouvelles responsabilités. Mais, comme je l’ai dit, j’ai grandi en voyant mon père exercer ce rôle, donc je savais que je relèverais le défi. Je suis une battante de nature, toujours prête à relever un défi, à repousser mes limites, et à découvrir peut-être un autre talent caché en moi.
Avez-vous des expériences antérieures qui vous ont préparée à ce rôle ?
Non, mais j’ai de l’inspiration. Mon père voulait toujours que je suive ses traces et en plus de rejoindre le State Law Office, il souhaitait que j’acquiers l’expérience de Returning Officer. C’était quelque chose qu’il aimait particulièrement et il était certain que j’allais apprécier cette expérience. Il était celui qui connaissait le mieux mes capacités et ma force. Donc, lorsque l’opportunité est arrivée, je n’ai évidemment pas pu refuser. Le fait de l’observer accomplir ses devoirs de Returning Officer m’a donné la confiance nécessaire pour exercer ce rôle.
Accepter ce rôle pour les législatives de 2024 était ma manière de rendre hommage à son héritage et de réaliser son rêve de me voir accomplir ce rôle. Nous tirons tous de l’inspiration de quelqu’un et pour moi, c’était lui. Mon père était une personne dévouée à son travail, à sa famille et à ses enfants. Personnellement, ce fut une belle occasion de lui rendre hommage.
Quels étaient les préparatifs clés avant les législatives 2024 dans la circonscription n°19 ?
Il y a eu de nombreuses réunions et séances d’information avec l’Office of the Electoral Commissioner (OEC), avec mon Special Election Officer et d’innombrables visites de ma part, accompagnée de mes Deputy Returning Officers (DROs) dans les divers bureaux de vote et centres de dépouillement pour m’assurer que les lieux étaient adaptés pour accueillir les électeurs.
Est-ce votre caractère strict qui vous a aidée à coordonner vos équipes et les procédures ?
Caractère strict, moi ? C’est une nouveauté pour moi (rires). Mais bien sûr, il faut un certain niveau de professionnalisme pour que les choses soient faites dans les délais. Vous travaillez avec 250 à 300 officiers en même temps. Imaginez… Ce sont 300 caractères différents, des gens avec des façons de travailler et des éthiques de travail diverses. Cela peut être difficile à gérer parfois, surtout quand on est perfectionniste de nature.
Donc, je suppose qu’être stricte et imposer un certain niveau de professionnalisme fait avancer les choses et garantit que le travail soit bien fait. Pour avoir un travail de qualité, il faut être méticuleuse.
On pense souvent que lorsque le RO annonce les résultats, c’est fini. On peut ranger ses affaires, mais non, loin de là !»
Vous admettez que ce caractère strict vous vient de votre père, ancien juge ?
(Rires) Les personnes qui me connaissent ainsi que ma famille diront sûrement que je tiens mon caractère de mon père. En ce qui concerne le travail et la manière de bien faire les choses, il était toujours strict et j’ai définitivement hérité de son caractère.
Ma mère est une personne très calme, mais mon père était quelqu’un qui commandait respect et autorité. Il était toujours perçu comme un gentleman, très apprécié de tous ceux qui le connaissaient. Il savait trouver l’équilibre entre fermeté et douceur. Je suppose que je suis comme lui : on rigole et on met les gens à l’aise.
Comme je dis toujours, il faut profiter de la vie et ne pas prendre les choses trop au sérieux. On essaie de rendre le lieu de travail agréable, mais lorsque les enjeux sont élevés et que la responsabilité est grande, alors oui, on devient très strict, jusqu’au bout. (Rires)
Quels ont été les principaux défis dans l’organisation du scrutin ?
Je dirais que le principal défi a été la gestion du temps. En plus de ma responsabilité en tant que Returning Officer, j’avais toujours mon travail et mes engagements à honorer, sans oublier mes responsabilités familiales.
Comment avez-vous assuré l’efficacité des processus pour les législatives ?
Je me suis assurée de bien comprendre tous les aspects du rôle de Returning Officer, ce qu’il faut faire et ne pas faire, tout en comprenant qu’il n’y avait pas de place pour l’erreur puisque les conséquences auraient été graves. En tant que responsable de toute une équipe, je n’avais pas droit à l’erreur, et mes officiers non plus.
Les élections peuvent être tendues. Comment avez-vous géré la pression le jour de la nomination des candidats, le jour du vote et le jour du dépouillement des bulletins de vote ?
J’ai tendance à prendre les choses comme elles viennent. La pression fait partie de tout, donc je ne l’ai pas laissé m’atteindre et j’ai continué d’avancer avec l’objectif de bien faire mon travail.
Avez-vous vécu des situations inattendues ou des incidents pendant les élections ?
Non, pas vraiment. J’ai été bien conseillée par mes amis et mes collègues qui avaient déjà assumé le rôle de RO et m’avaient préparée à toutes les situations. D’ailleurs, je résous les problèmes en écoutant les gens et en réfléchissant avec eux. Toutefois, certaines choses sont hors de mon contrôle.
Quels conseils avez-vous donnés à votre équipe pour rester concentrée et calme sous pression ?
Je leur ai dit « puisque vous avez accepté de travailler lors des élections, vous devez ‘deliver’, peu importe le prix ». Nous sommes tous des professionnels et devons agir comme tels. Comme nul ne peut expliquer la satisfaction qu’on ressent lorsqu’on est félicité pour un travail bien fait, alors, dans les moments difficiles quand la pression monte et la fatigue se fait sentir, je leur ai rappelé que quelqu’un les regarde : leurs enfants, mari, épouse et membres de leur famille. Je leur ai dit de les rendre fiers, de tenir bon, de persévérer et de ne pas laisser la pression les submerger.
Y a-t-il un moment où vous avez « pété un câble » parce qu’on n’a pas écouté vos consignes ?
(Rires) Qui ne l’a jamais fait ?
Qu’avez-vous ressenti dans les moments décisifs lors des législatives de 2024 ?
Je n’avais juste pas droit à l’erreur. Aucune erreur, pour être plus précise. (Rires)
Vous avez la réputation d’être perfectionniste, comment avez-vous assuré l’exactitude à chaque étape ?
Je l’ai fait grâce à un travail assidu, l’aide de mon équipe et en mettant le pied à terre quand il le fallait. J’étais vraiment motivée pour bien faire car c’était une circonscription difficile.
Le jour des élections, les bulletins de vote sont arrivés tard au Ébène SSS et le lendemain, vous étiez déjà debout tôt pour reprendre les procédures de dépouillement dès 8 heures, terminant vers 21 heures pour la proclamation des résultats. Comment avez-vous tenu sur vos pieds toutes ces heures ?
(Rires) Vous me demandez sans doute cela parce que vers 21 h 30, vous m’avez vue m’effondrer sur le canapé après la proclamation des résultats. Mais ce n’était pas un soulagement que tout soit enfin terminé. C’était peut-être un soulagement pour les candidats que tout soit terminé pour eux, mais pas pour moi. Au contraire, c’était de réaliser qu’il y a encore beaucoup à faire. On pense souvent que lorsque le RO annonce les résultats, c’est fini. On peut ranger ses affaires, mais non, loin de là ! Nous avions encore beaucoup de travail à faire après l’annonce des résultats.
J’ai toujours eu le soutien et l’appui de ma famille. C’est ce qui m’a donné la paix d’esprit nécessaire pour me concentrer sur mon travail»
C’était donc 48 heures intenses dans la peau d’un Returning Officer ?
Effectivement, il y a eu la préparation pour accueillir les électeurs dans les centres de vote et s’assurer que tout se passe bien le dimanche 1o novembre. Le même jour, les bulletins de vote des différents centres de la circonscription sont arrivés au Ébène SSS, tard dans la nuit. Je suis rentrée chez moi aux petites heures. Comme la procédure officielle pour le dépouillement des votes était à 8 heures le lundi 11 novembre, je suis arrivée sur place à 5 h 30 du matin pour l’installation, le briefing avec le personnel, toujours dans le sens de rester concentré sur notre objectif. On était tous fatigués, mais personne n’avait droit à l’erreur. Nous avons aussi préparé les salles de dépouillement et fait une liste du personnel rotatif.
Qu’est-ce qui vous a permis de tenir le coup pendant ces deux jours ?
(Rires) Je dirais le café, l’adrénaline et mon côté « perfectionniste ».
Vous n’avez pas vu vos enfants ni votre mari. Avez-vous eu des reproches pour les avoir négligés ?
(Rires) J’espère que mon mari et mes enfants n’en ont pas. Ils ne m’ont rien dit. Je pense qu’ils savaient tous que je devais travailler. J’ai toujours eu le soutien et l’appui de ma famille. C’est ce qui m’a donné la paix d’esprit nécessaire pour me concentrer sur mon travail. D’ailleurs, mes enfants savent que quand maman travaille dur, elle va les gâter ensuite.
Pour moi, c’est important que mes enfants voient que je travaille dur et que rien ne vient facilement dans la vie. Mais encore, que si nous voulons quelque chose, nous devons le mériter. J’ai deux filles ; il est très important pour moi qu’elles intègrent ces valeurs dès leur jeune âge. Elles doivent voir et comprendre qu’il est important d’être indépendantes. Je leur dis constamment qu’on ne naît pas grandes, mais on doit toujours atteindre la grandeur.
Qu’avez-vous appris de cette expérience de Returning Officer ?
Je pense que cette première expérience en tant que Returning Officer m’a aidée personnellement à me transcender et à donner le meilleur de moi-même dans n’importe quelle situation avec les électeurs, les candidats et les médias. Malgré la lourde responsabilité et la pression de toute part, je m’en suis sortie indemne. (Rires)
Y a-t-il des qualités ou des compétences particulières que ce rôle exige ?
Il faut être fort physiquement et mentalement. Il faut savoir quand exercer son autorité et il faut certainement posséder certaines compétences en leadership.
Quel est le moment dont vous êtes la plus fière ?
C’était quand j’ai accompli ma tâche à la satisfaction de tous et, surtout, quand mes proches et amis ont dit qu’ils pouvaient voir mon père en moi.
Comment percevez-vous votre contribution dans le processus démocratique ?
C’était une belle et stimulante expérience car je suis une personne qui adore les défis et cela ne fait que commencer. J’ai pu me mettre au service de la population pour le bon déroulement du scrutin dans la circonscription n°19. Nous sommes tous appelés à évoluer et à grandir en tant que professionnels. Mais, j’avoue que je me suis un peu sentie comme une héroïne car c’était un rôle exigeant et important. (Rires)
Pour conclure cet entretien : êtes-vous une accro au boulot ?
(Rires) Mais non ! Allez, un peu, oui. Mais, j’ai aussi des loisirs. Comme toutes les filles, j’adore faire du shopping. Toutefois, je crois au « Retail Therapy », appelée aussi la thérapie par le shopping. C’est l’acte d’acheter dans le but principal d’améliorer son humeur ou son bien-être par simple plaisir de faire du shopping ou lors de périodes de stress, offrant ainsi un moment de réconfort et d’évasion. Sinon, j’aime bien m’assoir avec un bon livre et faire de la lecture.
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