La ministre de l’Égalité des genres, Roubina Jadoo-Jaunboccus, est au-devant de la scène avec l’expulsion des sinistrés de Berguitta et la fermeture de deux shelters. Elle maintient avoir agi dans l’intérêt de la société. Concernant le rapport de la Commission d’enquête sur la drogue, elle se dit « sereine » pour avoir agi strictement dans les paramètres de sa profession d’avocat.
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Le rapport de la Commission d’enquête sur la drogue est en passe d’être bouclé. Est-ce que cela vous torture les méninges ?
Non. Pourquoi devais-je être inquiète ?
Ne craignez-vous pas d’être égratignée pour vous êtes entretenue à la prison avec des personnes accusées de trafic de drogue ?
Je n’ai fait que mon travail d’avocat. Je ne suis pas la seule à me rendre à la prison pour rencontrer des clients à leur requête. Cela fait partie de notre métier. Tous les avocats de tous bords politiques le font.
Est-ce que les rencontres avec ces gens-là ne vous gênent pas ?
Je m’étais rendue à la prison à la requête des frères Sumodhee, qui souhaitaient avoir des éclaircissements concernant leur condamnation à la lumière du jugement Philibert. Sur place, des officiers du service pénitentiaire m’ont dit que d’autres détenus souhaitaient avoir mon avis sur le même sujet. J’ai accepté de les rencontrer. Des gardes-chiourmes m’ont conduite dans une salle à l’étage pour une rencontre qui s’est tenue en leur présence. Il n’y avait pas que des condamnés pour trafic de drogue. Qu’est-ce que j’ai fait de mal en leur fournissant des explications ?
Dites-moi une chose. Lorsqu’un médecin est sollicité pour une consultation, est-ce qu’il décide de prodiguer des soins après avoir pris connaissance de l’identité du patient, de sa profession, de son passé et ainsi de suite ? Peut-il refuser de soigner une personne, parce qu’elle a un casier judiciaire chargé ou parce qu’elle a été condamnée pour trafic de drogue ? Est-ce qu’un dentiste peut refuser un patient pour les raisons susmentionnées ? Est-ce qu’un bijoutier réclame l’identité d’un client pour décider s’il va lui vendre des bijoux ? Alors, pourquoi s’acharner contre moi ? Est-ce parce que j’appartiens au MSM ?
Nous ne pouvons permettre que ces enfants ‘sap dan karay e tom dan dife’»
Avez-vous réclamé des honoraires spéciaux pour le déplacement ?
Je me répète… Je n’ai pas pris un sou de ces gens qui sont derrière les barreaux depuis plus de 20 ans. Quelques-uns d’entre eux seulement ont, par la suite, retenu mes services par rapport à la durée de leur condamnation, toujours à la lumière du jugement Philibert. Ils n’ont pas les moyens de me payer. Leurs proches n’ont encouru que les frais administratifs, comme pour avoir leurs dossiers et ceux de l’avoué pour enclencher les démarches. J’ai dit cela devant la Commission d’enquête sur la drogue et personne n’a pu me contredire. Je ne les défends pas pour le trafic de drogue, mais sur un point constitutionnel.
Arrivez-vous à dormir sur vos deux oreilles ?
Je dors bien. Je mange bien. Je suis sereine. J’ai la conscience claire et tranquille. Je vis ma vie de femme, de mère et de ministre en toute quiétude. Je suis confiante.
Par rapport à la commission d’enquête sur la drogue «Je dors bien. Je mange bien. Je suis sereine. J’ai la conscience claire et tranquille»
Que feriez-vous si vous êtes égratignée dans le rapport ?
Je n’en crois rien. Quoi qu’il en soit, je vais respecter les observations de la Commission. I’ll see how to deal with it. Il n’y a rien de plus puissante que la force divine. Je me soumets à la loi divine.
Ils étaient nombreux à être surpris lorsque le Premier ministre, Pravind Jugnauth, vous a attribué un ministère, malgré le fait que vous aviez été convoquée devant la Commission d’enquête sur la drogue. Étiez-vous surprise ?
Est-ce que toutes les personnes convoquées devant la Commission sont des accusées ? Pravind Jugnauth est quelqu’un de très prudent. S’il avait le moindre doute sur moi, il ne m’aurait jamais nommée ministre. Comme moi, il est avocat. Compte tenu de ces rencontres à la prison et à la lumière des questions et de mes réponses devant la Commission, il sait que je n’ai agi que dans les paramètres de notre métier.
Changeons de sujet, madame la ministre. En une semaine, vous avez fait évacuer des jeunes filles de deux shelters de l’association Vedic et une trentaine de familles réfugiées dans des centres communautaires depuis le cyclone Berguitta. Que vous est-il passé par la tête ?
C’est loin d’être le résultat d’un brusque accès de colère. L’action de mon ministère par rapport aux shelters de l’association Vedic fait suite à une enquête sur des dénonciations fondées de violence à l’égard de certaines pensionnaires. Nous avons dû reloger les pensionnaires en toute urgence dans d’autres shelters. En fait, le rapport de cette enquête indique qu’il y a un fort risque que ce centre ne soit plus une « place of safety ». Ce n’est pas une mince affaire de suspendre les opérations d’un shelter. Il y a tout un processus à suivre scrupuleusement, comprenant un plan de relogement des pensionnaires et un plan de réhabilitation.
N’empêche que la directrice de la Vedic Association a déclaré avoir fait l’objet d’une vendetta politique. Est-ce une chasse aux sorcières ?
Bien sûr que non. Un ministre ne peut pas se réveiller un matin et décider sur un coup de tête de suspendre les opérations d’un shelter. Nous sommes dans un pays de droit. Il nous faut avoir un ordre de la cour. Dans le présent cas, nous avons évité le traumatisme à ces enfants de se présenter devant un magistrat pour avoir un ordre de relogement. La Child Development Unit (CDU) a fait une demande en cour, pour ensuite les reloger. Nous avons dû rechercher des ordres des magistrats de plusieurs cours de district en fonction de l’endroit où habitaient ces filles. Ces magistrats n’émettent des ordres que sur la base des dossiers ficelés que la Child Development Unit (CDU) a préparés. Est-ce que ces magistrats ont comploté pour une vendetta politique ? C’est du n’importe quoi ! D’ailleurs, vu que ce sont des ordres intérimaires, les magistrats vont suivre ces cas chaque 15 jours.
On n’aurait jamais dû en arriver là, si les sinistrés de Berguitta avaient suivi nos consignes quelques jours après le cyclone»
En sus des dénonciations de quelques pensionnaires, est-ce que la CDU a fait d’autres reproches à la Vedic Association ?
Dites-vous bien que mon ministère est en présence d’une trentaine de plaintes contre la Vedic Association. Sans compter que ses shelters ont été mis à l’index dans le rapport du Fact-Finding Committee de Denis Vellien, dans le rapport de l’Audit 2016-17 et dans le rapport de l’Ombudsperson for Children. Peut-on rester les bras croisés ? En tant que femme et mère, c’est mon devoir de m’assurer que ces filles en difficulté ne soient pas maltraitées. Comme dirait l’Anglais, ce serait add insult to injury. Malheureusement, il y a d’autres preuves que sa gestion laissait à désirer.
Lesquelles ?
En 2016, le ministère a dû fermer un de ces shelters. Récemment, le contrat de trois ans d’un deuxième shelter de cette association n’avait pas été renouvelé pour de gros manquements. Il faut que vous sachiez qu’à plusieurs reprises, mon ministère a demandé à la direction de Vedic Association de rectifier le tir après avoir reçu des plaintes. Malheureusement, toutes nos directives écrites et verbales ont été lettre morte. Pire, elle a osé nous envoyer une lettre pour se plaindre que les officiers de mon ministère sont en train de la harceler avec ces directives. Mon ministère a le devoir d’enquêter sur des plaintes et de s’assurer que des mesures correctives soient prises. Nous avons à cœur ces enfants en difficulté. Nous ne pouvons permettre qu’ils sap dan karay e tom dan dife. Un shelter ne peut pas être un enfer pour eux.
Tout de même, déplacer ces jeunes filles durant la nuit donne l’impression d’une manœuvre obscure. Pourquoi pas pendant la journée ?
Rassurez-vous, nous n’opérons pas en catimini. Le déplacement aurait été fait avant le coucher du soleil, si Mme Guness n’avait pas fait de la résistance. Nous avions obtenu les ordres aux alentours de 15 heures. Plus grave, elle ne s’est pas conformée aux ordres de la cour.
Elle dit ignorer que vos officiers étaient en possession des ordres de la cour. Peut-on lui accorder le bénéfice du doute ?
Pas du tout. Je vous assure qu’elle en était bel et bien au courant. Mes officiers m’ont dit qu’elle refusait d’en prendre connaissance. D’ailleurs, son homme de loi m’avait appelée au sujet de l’ordre de la cour.
La situation ne s’est pas dégradée en une semaine ou un mois. C’est une accumulation dans le temps. Est-ce que votre ministère a failli dans le contrôle ?
Non. Comme je vous ai dit plus haut, la CDU suit la situation de très près, allant jusqu’à exiger des mesures correctives. Nous n’avons pas attendu le Children’s Bill pour restructurer la CDU, qui s’occupe de tout. Le ministère aura plusieurs unités avec des responsabilités distinctes. La CDU s’occupera des enfants en danger et de leur placement. Une Alternative Care Unit vient d’être mise sur pied pour s’occuper de l’enregistrement des shelters, du renouvellement de leur permis et de la supervision de leurs opérations, entre autres. Bientôt, une unité verra le jour pour assurer la réintégration de ces enfants au sein de la famille et aussi de leur développement.
N’est-il pas temps de revoir le fonctionnement des shelters pour les enfants ?
Nous avons démarré un projet de refonte. Quand j’ai été nommée ministre, j’ai dit à mes proches collaborateurs que c’était inacceptable que des enfants avec des problèmes différents soient hébergés sous un même toit. Certains ont des troubles psychiatriques, d’autres des problèmes de comportement, d’autres encore ont des tendances suicidaires…
C’est un cocktail explosif…
Oui. C’est pour cette raison que nous allons lancer bientôt un centre à Cap-Malheureux pour les enfants souffrant de troubles psychiatriques. L’appel à candidatures pour des Psychiatric Nurses a été lancé. Je m’aligne sur la proposition de l’Ombusperson for Children, qui recommande des petits shelters avec un maximum de 15 jeunes.
Abordons le cas des sinistrés de Berguitta, qui ont été chassés des centres de refuge. Pourquoi avoir pris cette décision six mois après et en plein hiver ?
On n’aurait jamais dû en arriver là, s’ils avaient suivi nos consignes quelques jours après le cyclone. Depuis le début, nous avons agi de bonne foi comme un caring government. D’après le protocole du National Disaster Committee, il nous faut ouvrir les centres communautaires là où il y a des demandes, en cas de cyclone ou de grosses averses. Nos bâtiments ne sont des centres de refuge que pendant cette période de mauvais temps. Après, ils doivent reprendre leurs opérations normales.
Mais votre ministère leur a permis d’y rester pendant six mois…
Au départ, c’était sur une base humanitaire, car les grosses pluies avaient continué. Mais lorsque nous leur avons demandé de quitter nos centres, ils ont refusé en imposant la condition qu’on leur accorde une maison de la NHDC. Ce n’était pas possible. La liste d’attente est longue. Ce sera injuste à l’égard des familles qui contribuent au Plan épargne logement (PEL) depuis des années et attendent patiemment leur tour.
Madame la ministre, ces sinistrés n’ont-ils pas besoin eux aussi d’un toit ?
Nous ne sommes pas insensibles aux problèmes des gens. Tout juste après le cyclone Berguitta, une équipe de la National Empowerment Foundation (NEF) avait visité leurs maisons pour un état des lieux et pour procéder à la réparation. Ils n’ont pas voulu retourner chez eux et sont restés sur leur position d’avoir une maison de la NHDC. Tôt ou tard, il fallait les faire partir de ces centres communautaires, qui étaient devenus inactifs. Les habitants de ces régions, qui fréquentent ces centres, en ont fait les frais, car toutes les activités ont été gelées.
Après l’épisode « manz biskwi bwar dilo », le gouvernement avait annoncé une réforme de l’aide aux sinistrés. Qu’en est-il ?
Il faut être patient. Il y a un comité de haut niveau présidé par la vice-Premier ministre, Fazila Jeewa-Daureeawoo, qui planche dessus. Le gouvernement est déterminé à venir de l’avant avec une nouvelle formule de solidarité à l’égard des sinistrés.
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