Alors que PR Capital (Mauritius) Ltd, le promoteur d’un projet de Smart City à Roches-Noires s’apprête à déposer une nouvelle demande d’Environmental Impact Assessment (EIA), des opposants au projet maintiennent la pression afin que celui-ci, qui devrait être aménagé sur une zone écologiquement sensible, ne voie pas le jour. Quelles sont les raisons de la controverse entourant ce projet ? Quels sont les arguments avancés des différentes parties pour justifier leur position ? Le Défi Plus tente d’apporter quelques éléments de réponse…
Ce projet faramineux, comprenant un hôtel, des logements avec deux parcours de golf, entre autres (voir les détails sur les composants du projet plus loin), est estimé à plus de Rs 40 milliards. Il devrait être aménagé sur une superficie de 850 arpents 92 perches. Le site, situé entre le village et la route côtière de Roches-Noires est, cependant, considéré comme étant écologiquement sensible. Il abrite un barachois, des zones humides (wetlands), des mangroves, ainsi que des tubes de lave, sans compter les plantes et les espèces endémiques présentes sur le site.
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Bien que le promoteur ait assuré qu'il prendrait des mesures pour préserver ces éléments sensibles, certains opposants au projet, tels que des militants écologistes, des experts en environnement et certains habitants, expriment leur désaccord.
Voici quelques raisons avancées :
Absence d’étude de la nature du sol
Selon Rezistans ek Alternative (ReA), le promoteur aurait soumis un rapport d'Évaluation d'Impact Environnemental (EIA) incomplet qui n'aurait pas examiné l'impact du remblayage des cavités, effectué dans le cadre des constructions, sur le fonctionnement écosystémique des zones humides. Or, selon David Sauvage de ReA, ces études revêtent une grande importance. Il critique le fait que le rapport de l'EIA recommande une étude non pas pour les zones humides, mais pour les villas. Selon lui, cela soulève des interrogations quant à la priorité accordée à la préservation des écosystèmes par rapport aux intérêts immobiliers.
Les zones humides
Pour David Sauvage, les zones humides agissent comme des boucliers contre le changement climatique et les rendent ainsi inestimables. Il fait ressortir que les zones humides ne se résument pas seulement à « enn bout delo, car l’eau provient de la mer et de la terre. Si vous bétonnez tout autour des zones humides, vous signez la mort de celle-ci », dit-il. Sans compter que cela pourrait avoir un impact sur l’équilibre de ces zones humides. « Ecosystem la ena so lekilib delo dou ek delo sale. (…) Na pa capav bajinn ek ca », fait-il ressortir.
Zone tampon insuffisante
Rezistans ek Alternative est d’avis que la zone tampon de 30 mètres autour des zones humides est insuffisante. Cette zone, selon le parti, devrait avoisinait autour de 300 mètres.
Site Ramsar
David Sauvage a déploré l’inaction du comité Ramsar qu’il exhorte à faire un « statement » sur ce dossier. Dans son « public comment » soumis au ministère de l’Environnement, Rezistans ek Alternative avait demandé à ce que « l’ensemble des zones humides de Roches-Noires, dont la zone humide principale dénommée Le Barachois, soit déclaré comme site Ramsar d’importance international, bien public, imprescriptible et inaliénable ».
La plus grande zone de mangroves des Mascareignes
Pour SOS Patrimoine en Péril, la presqu’île de Roches-Noires constitue la plus grande zone humide et de mangroves des Mascareignes. « De vouloir artificialiser ne serait-ce qu’un mètre carré d’un endroit aussi exceptionnel, aussi rare et aussi critique pour le bien des générations futures nous semble non seulement inapproprié, mais tout simplement ‘criminel’ », soutient Arrmaan Shamachurn, président de l’association.
Valeur naturelle
Le président de SOS Patrimoine en Péril considère que le site de Bras-d’Eau, situé à un peu plus de 3 kilomètres seulement du terrain, ne dispose pas seulement d’une valeur naturelle, mais aussi culturelle. « Il est connu que Bras-d’Eau abritait des travailleurs engagés. De plus, il ne faut pas oublier que le Protected Area Network Extention Strategy 2017-2026 suggère une extension de la protection autour du site de Bras-d’Eau. L’implémentation de ce projet de Smart City se trouvant à proximité de Bras-d’Eau ne serait donc pas appropriée », indique-t-il.
Coulées de lave
Citant un expert en géologie, Arrmaan Shamachurn indique que le terrain abrite une des plus récentes coulées de lave à Maurice, datant de moins de 6 000 ans. Il s’agit donc d’un patrimoine naturel unique. « Je pense qu'il serait préférable de ne pas envisager de construction du tout, que ce soit des travaux d'excavation ou des constructions à la surface. Cela permettrait ainsi à la population et aux touristes d’avoir accès à cet aspect volcanique de Maurice qui est toujours visible, mais aussi aux chercheurs de faire des études sur l’évolution de notre île », estime-t-il.
Dégradation du site
Les dégradations du site, que ce soit par des plantes envahissantes ou par des actes d’incivisme, ne justifieraient pas, selon Arrmaan Shamachurn, l’avènement de la Smart City. « Pa bizin enn Smart City pu fer ban travay reabilitasyon », considère-t-il.
Smart City, la face cachée
Pour David Sauvage, le concept de Smart City a été détourné avec un agenda purement économique, ce qui, au passage, peut favoriser l’avènement de certains fléaux. Il a aussi peint un tableau sombre des villes existantes. « Ce pa ca ki nu bizin pu enn vilaz », a-t-il déclaré.
Opposition contre le projet de Smart City à Roches-Noires
Nicolas de Chalain : « Le plan B serait de morceler le terrain et de les vendre un à un »
Si jamais PR Capital (Mauritius) Limited ne parvient pas à obtenir les autorisations nécessaires pour la concrétisation de son projet de Smart City à Roches-Noires, la compagnie, qui déposera prochainement une nouvelle demande d’Environment Impact Assessment (EIA) en ce sens, étudiera la possibilité d’en faire des morcellements. C’est ce indique son représentant à Maurice, Nicolas de Chalain.
Quel est le raisonnement derrière la décision de construire une Smart City dans une zone considérée comme écologiquement sensible ?
Notre projet ne porte pas atteinte aux zones sensibles, mais au contraire, il les prend en compte et les intègre. Nous avons un faible taux de construction, seulement 10,5 %, afin de préserver ces zones sensibles. C'est important de souligner que ce terrain est classé en catégorie C, où nous pourrions construire jusqu'à 40 % de la superficie.
Que ce soit 10,5 % ou 40 %, il s’agit d’une zone sensible, n’est-ce pas ?
Les promoteurs ont une expérience dans la rénovation de terrains sensibles et abandonnés, que ce soit en France ou ailleurs, avec pour objectif de revitaliser ces zones sur le plan social et économique. Leur but est de donner une nouvelle vie à ces terrains en difficulté en créant des projets qui bénéficient à la communauté, tant sur le plan social que sur le plan économique.
Des arguments qui n’arrivent cependant pas à convaincre des habitants et des militants écologistes…
Chacun a le droit d'avoir son opinion. Pour notre part, notre projet a été élaboré en se basant sur des faits concrets. Nous avons fait réaliser des études par des professionnels et des experts, en prenant en compte les données factuelles. Nous avons présenté notre projet, et maintenant c'est aux autorités et à la population de prendre une décision.
Comment prévoyez-vous éviter d'interférer avec les zones sensibles, comme vous l'avez mentionné ?
Dans un premier temps, nous avons répertorié toutes les zones sensibles et nous avons délimité les « buffer zone » tout autour, comme l’exige la loi. Cela dit, nous sommes allés au-delà de ce qu’exige la loi, notamment pour le barachois et les zones humides, etc. Ainsi, au lieu des 30 mètres requis [comme zone tampon], il y a des endroits où les développements se feront à 35, 40, voir jusqu'à 110 mètres plus loin. Nous voulons redonner cette verve au barachois, les « bassin laver », [Bassin] Trou-Diable, au four à chaux et les remettre en état, avec la collaboration des autorités. Ces espaces resteront accessibles au public, mais avec des règlements, tenant compte de l’incivisme constaté à certains endroits.
Des écologistes disent que le site abrite une forêt. Dans quelle mesure est-ce vrai ?
Il existe différents types de forêts. Dans ce cas précis, il s'agit d'une forêt sèche de basse altitude où l'on ne trouve pas d'arbres très grands, contrairement à d'autres types de forêts que nous connaissons. Certes, il y a des arbres endémiques.
Pour ceux que nous ne pourrons pas conserver sur place, nous les déplacerons vers des arboretums spécialement créés ou vers des endroits où nous pourrons favoriser leur croissance. En travaillant avec des consultants et des professionnels, nous avons minutieusement identifié les espaces où se trouvent davantage d'arbres endémiques, afin de les préserver et de les faire prospérer en éliminant tout ce qui les entrave. Les constructions se réaliseront là où les dégradations sont les plus importantes.
Où en est le deuxième rapport d’Environment Impact Assessment (EIA) que vous deviez soumettre aux autorités, le premier ayant été mis de côté ?
Il faut bien comprendre le contexte dans lequel le premier EIA a été mis de côté. Étant donné que nous construisons en trois phases - une phase de 4 ans et deux phases de 3 ans – nous devions, pour la première phase, soumettre un EIA pour un composant du projet, soit celui de l’hôtel. Le gouvernement n’a pas refusé le [premier] EIA, mais l’a mis de côté, étant considéré comme un « sensitive area ». Il nous a été demandé si nous étions prêts à faire un EIA pour l’ensemble du projet et nous avons accepté. Nous sommes, en ce moment même, à mettre les derniers points et virgules au document, lequel devrait être déposé incessamment.
Et qu’en est-il de la « Letter of comfort » octroyée par l’Economic Development Board mais qui, selon le ministre des Finances, est caduque depuis le 3 mars dernier ?
Il faut savoir que la « letter of comfort » est octroyée une fois l’EIA déposé. Étant donné qu’il nous a été demandé de refaire l’EIA, mais cette fois pour les 860 arpents du terrain, nous avons donc fait une demande auprès de l’EDB pour une extension de la « letter of comfort » qui, selon moi, devrait être une simple formalité. Il est bon aussi de noter que la « letter of comfort » n’est pas « binding ». Le plus important, c’est l’obtention de la « letter of intent ». Une fois l’EIA déposé, nous aurons un mois pour faire une demande pour la Smart City Certificate.
Est-ce que PR Capital (Mauritius) Ltd dispose d’un plan B si jamais elle ne parvient pas à décrocher la Smart City Certificate ?
Le plan B serait de morceler le terrain et de les vendre un à un, car le terrain privé rappelons-le, est constructible à 40 %. L’impact d’un morcellement, j’imagine, sera toutefois plus grand que ce projet bien réfléchi de Smart City où nous nous sommes engagés à construire sur 10,5 % du terrain seulement.
Vous n’êtes pas sans savoir que l’idée d’une « compulsory acquisition » du terrain par le gouvernement a été proposée. Qu’en pensez-vous ?
Le terrain n’est pas à nous. Il appartient aux banques. Si les « prerequisites » ne sont pas obtenus, je pense que n’importe quel investisseur va se désister. Je ne peux pas parler de ce que vont faire les promoteurs de PR Capital (Mauritius) Ltd, car en ce qui me concerne, je suis là pour entreprendre les démarches pour l’obtention des permis nécessaires. Quoi qu’il en soit, le gouvernement mettra au moins 6 mois afin de consulter l’EIA. On verra bien.
Lenine Aukhajan : « Nu pa pu les oken proze fer deryer nu ledo »
Les habitants de Roches-Noires n’accepteront pas qu’ils soient écartés des décisions qui concernent le développement de leur village. C’est ce que fait comprendre Lenine Aukhajan, conseiller du village et président des Forces Vives du village.
Depuis l'annonce du projet de Smart City par PR Capital (Mauritius) Ltd, les habitants ont exprimé des sentiments mitigés, selon les dires de Lenine Aukhajan. Il explique qu'il y a, d'un côté, ceux qui estiment que le développement du village de Roches-Noires devrait se poursuivre, ce qui est tout à fait compréhensible. De l'autre côté, il y a ceux qui pensent qu'il est important de préserver l'aspect naturel de la localité. Il soutient que les plus sceptiques sont également ceux qui n'ont pas apprécié la manière, dont un complexe hôtelier a été développé à proximité, tant en termes d'infrastructures que d'emplois.
Quoi qu’il en soit, il considère que les habitants ont leur mot à dire. « Ils doivent être partie prenante des décisions. Nu pa pu les oken proze fer deryer nu ledo et nous serons là comme un chien de garde pour veiller à cela », dit-il. Par conséquent, il vise à organiser une série d'explications pour mieux informer les habitants et les aider à se positionner de manière plus éclairée sur ce projet. « Li pa pu aret la, pu ena ban lezot explication. (…) C’est un projet majeur où l’environnement est un élément clé. Il faut poursuivre les discussions et organiser autant de réunions qu’il faut (…) », ajoute notre interlocuteur.
Rs 41 milliards sur 10 ans
Selon PR Capital (Mauritius) Ltd, le projet de Smart City, estimé à 41 milliards de roupies, vise à avoir un impact social positif dans la région, tout en favorisant un développement économique dans cette partie de l'île.
Le projet sera exécuté en trois phases et prendra environ 10 ans pour être complété. La Smart City sera composée d’un hôtel de cinq étoiles, un peu plus de 1 400 unités de logement, composé à 20-25 % de « affordable housing », selon le promoteur, et comprenant des duplexes, des appartements, des « standard villas » et des « golfs villas », avec deux parcours de golf de 18 et 9 trous.
La construction d’espaces commerciaux (des magasins de détail, un marché couvert pour les producteurs locaux, des restaurants, des bars, des cafés, des salons de beauté, des pharmacies, etc.), une maison de retraite, une école, un centre sportif, un centre de développement et de recherche médical, un campus éducatif, ainsi qu’un centre de bien-être, dont un spa, parmi d’autres, est aussi prévu. Un boulevard long de 3 km qui traverse l’ensemble de la Smart City sera construit permettant au public d’avoir un nouvel accès direct à la route côtière depuis le village, mais aussi aux différents développements. Le promoteur prévoit de créer 2 000 emplois directs et indirects durant la phase de développement.
Eclosia, IBL, Currimjee et Scott veulent créer un parc naturel
Des entreprises mauriciennes ont décidé de s’associer afin de proposer une alternative au développement immobilier dans la zone humide de Roches-Noires. C’est ce dont fait état un communiqué émis en ce sens cette semaine.
L’initiative est portée par les Groupes Eclosia, IBL, Currimjee et Scott. Elles souhaitent créer un parc naturel pérenne et ouvert à tous, en collaboration avec les communautés locales, les ONG et les associations de défense de l’environnement actives dans cette région. Regroupées au sein d’un Collectif, ces entreprises sont prêtes à mobiliser des fonds et des compétences pour préserver ensemble ce site écologiquement sensible, tout en facilitant la mise en place de projets d’économie verte et bleue qui favoriseront le développement de Roches-Noires et de ses habitants. L’objectif est de concilier la sauvegarde du patrimoine environnemental et le progrès de la région.
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