Ancienne cheville ouvrière de la machinerie de la commission électorale et conseiller en matière électorale au Bureau du Premier ministre, Ally Dahoo jette un regard très critique sur les bourdes lors des législatives de 2019. Il estime que les procédures n’ont pas été respectées à la lettre. Et il préconise la formation continue des fonctionnaires travaillant pour les élections.
Vous étiez la cheville ouvrière de l’organisation des élections à la commission électorale durant des décennies. Avez-vous une explication sur l’absence de 73 bulletins lors du recomptage dans la circonscription n° 19, le mardi 1er février ?
C'est choquant ! Des irrégularités lors de l’exercice du dépouillement du 8 novembre 2019 ont été révélées devant la Cour suprême par Dharmajai Mulloo, ancien Deputy Chief Electoral Officer. Je ne suis donc pas surpris qu’il y ait des erreurs dans le nombre de bulletins valides dépouillés.
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Il y a eu deux bulletins sans le tampon de la commission électorale dans les urnes. Qui peut en être responsable ?
Dans ce cas-là, le Presiding Officer et le Ballot Box Clerk sont responsables. Le premier nommé a pour tâche d’estampiller le bulletin avant de le remettre à l’électeur quand il va exercer son droit civique. Le second a pour rôle de vérifier si le bulletin est estampillé avant que l’électeur ne le glisse dans l’urne.
Ce cas ne renforcit-il pas la perception de fraude électorale ?
Je ne crois pas. L’erreur est humaine. Ce n’est pas la première fois qu’une bourde pareille est enregistrée. Il y a eu des cas dans le passé. C’est peut-être dû à un moment d’inattention du Presiding Officer et du Ballot Box Clerk. Qu’on le veuille ou pas, cela ne doit pas arriver. De là à dire que cette erreur relève d’une fraude électorale ne tient pas la route.
Le porte-à-porte pour l’enregistrement des électeurs est dépassé"
Parlant de fraude électorale, dans une déclaration à une radio privée, le leader du Parti travailliste, Navin Ramgoolam, allègue que vous avez quelque chose à y voir. Qu’en est-il au juste ?
Ce ne sont que des insinuations mensongères dénuées de tout fondement. Primo, j’étais le Chief Electoral Officer attaché au Bureau du commissaire électoral et non à l’Electoral Supervisory Commission.
Secundo, je n’ai pas été nommé conseiller au bureau du Premier ministre tout juste après ma retraite. Au fait, j’ai pris ma retraite en mai 2013. Sur les recommandations du commissaire électoral et avec l’approbation de Navin Ramgoolam, le Premier ministre d’alors, j’ai été nommé conseiller au bureau du commissaire électoral de juillet 2013 à octobre 2015. C’est le 4 février 2016 que j’ai été nommé conseiller en matière électorale au bureau du Premier ministre. C’était pour assister et conseiller le comité ministériel sur la réforme électorale présidé par le Premier ministre adjoint d’alors, Xavier-Luc Duval.
Tertio, c’est totalement faux de dire que j’étais impliqué dans le ratissage des électeurs le jour des élections de 2019, car la population est témoin que ce jour-là j’étais sur le plateau de la MBC du matin au soir.
Que Navin Ramgoolam ne se sert pas de moi comme boucle émissaire pour les erreurs, maldonnes et autres manquements de la commission électorale. Je le mets au défi de prouver ses allégations.
Revenons à l’exercice de recomptage du 1er février, comment se fait-il qu’un bulletin de la circonscription n° 1 ait été trouvé parmi ceux de la circonscription n° 19 ?
C’est impensable ! Le commissaire électoral a eu raison de confier ce cas à la police.
Le résultat en faveur d’Ivan Collendavelloo sauve la commission électorale de davantage de controverses. Cependant, les trois anomalies n’arrangent pas les choses. N’est-ce pas ?
C’est un fait que ces cas augmentent la perception de la mauvaise gestion des élections et surtout du dépouillement des bulletins, comme déploré à la fois par Jenny Adebiro et Ivan Collendavelloo. Je ne peux pas m’empêcher d’avoir l’impression que l’exercice du dépouillement a été fait au petit bonheur, sans le contrôle nécessaire de check and balances à chaque étape du dépouillement.
Il parait que c’est la première fois qu’on a enregistré ce nombre de pétitions électorales. À quoi attribuez-vous cette situation ?
C’est une perte de confiance dans le Bureau du commissaire électoral pour une série de raisons. Il y a l’amateurisme de la part de certains fonctionnaires qui travaillent dans les centres de vote et de dépouillement. Il y a le manque de communication effective avec les candidats et les électeurs. Il y a le manque de transparence au sujet de la Computer Room, le manque de formation de tous les fonctionnaires et des agents politiques. Un nombre record d’électeurs avait aussi été rayé du registre électoral.
L’exercice du dépouillement des élections de 2019 a été fait au petit bonheur"
Le recomptage dans la circonscription n° 19 a été motivé grandement par le mea culpa de Dharmajai Mulloo, ancien Deputy Chief Electoral Officer. Il avait révélé devant la Cour suprême qu’il y avait eu des erreurs dans la comptabilisation des voix dans dix-huit des vingt-cinq salles de dépouillement. Comment est-ce possible ?
Effectivement, cela m’interpelle. Lorsque j’étais en service, j’avais toujours expliqué aux fonctionnaires qui travaillent pour les élections que nous n’avons pas droit à l’erreur. Car avec le système de First Past the Post, l’erreur d’une voix peut renverser les résultats dans une circonscription.
Dans le cas présent, soit il n’y a pas eu d’instructions adéquates soit les directives n’ont pas été suivies à la lettre. Ce n’est pas acceptable.
À mon époque, on mettait l’accent sur les procédures cruciales. Dans chaque salle de dépouillement, le Head of Counting Unit doit corroborer son chiffre avec ceux des agents des candidats après chaque 100 bulletins dépouillés. À la fin de l’exercice, le résultat final n’est proclamé qu’après des vérifications et des contrevérifications des chiffres. Il était primordial de s’assurer que le nombre total des voix de tous les candidats est exactement trois fois le nombre de bulletins valides dépouillés.
Si toutes ces procédures avaient été suivies, on n’aurait pas eu les erreurs annoncées par mon ancien collègue Dharmajai Mulloo. C’est dommage, car c’est la réputation du Bureau du commissaire électoral qui est en jeu.
Doit-on aussi remettre en question la participation des agents politiques qui doivent être des chiens de garde ?
Au Bureau du commissaire électoral, nous accordions beaucoup d’importance à la participation des agents dans le processus électoral. D’ailleurs, leur présence est garantie par la loi régissant l’organisation des élections. Ils sont les yeux et les oreilles des candidats. Force est de constater qu’un nombre grandissant d’entre eux ne savent pas leur rôle et leur fonction. Ils prennent cette tâche importante à la légère. Une formation adéquate est nécessaire.
C’est encore plus intrigant qu’une Computer Room a été introduite dans l’organisation des élections. Est-ce que la controverse autour de son existence est justifiée ?
Cette controverse est justifiée, en raison du manque de communication sur son fonctionnement et sa pertinence dans le système électoral. Ainsi, plus d’un a eu l’impression que c’est une procédure opaque.
Avant même la contestation des résultats, la commission électorale a été fortement critiquée pour le nombre d’électeurs dont les noms ne figuraient pas dans le registre électoral.
Qu’est-ce qui ne va pas ?
C’est tout à fait vrai que c’est la première fois dans les annales des élections à Maurice qu’un si grand nombre d’électeurs n’a pas pu exercer ce droit constitutionnel. Et c’est parce que leur nom ne figurait pas dans le registre électoral.
J’ai l’impression que ma méthodologie a été modifiée. À l’époque, on prenait beaucoup de précautions avant de biffer un nom du registre afin de ne pas priver un électeur potentiel de son droit de vote qui est sacré.
Je dois également faire ressortir que l’électeur a aussi sa part de responsabilité. Après l’exercice de porte-à-porte, le Bureau du commissaire électoral publie une liste provisoire des électeurs et les invite à vérifier si leur nom est toujours dans le registre. Au cas contraire, ils peuvent s’enregistrer dans un bureau ouvert par la commission dans chaque circonscription pendant une période donnée. Le Bureau du commissaire électoral a fait cette annonce à travers un communiqué dans la presse. Malheureusement, ils sont très peu à prendre au sérieux cet exercice capital. Ainsi, ce n’est qu’à la veille des élections qu’ils se rendent compte qu’ils ne sont pas éligibles.
Quels sont les maux dont souffre la commission électorale ? Comment peut-on remédier à cette situation qualifiée par certains de chaotique ?
À mon avis, il y a plusieurs procédures à revoir. Commençons par l’enregistrement des électeurs. L’exercice de porte-à-porte est dépassé, compte tenu du fait que la majorité de couples travaille. Il est ainsi de plus en plus difficile pour les recenseurs de la commission électorale d’entrer en contact avec eux. Pour remédier à cette situation, il faut qu’il y ait un centre d’enregistrement permanent dans chaque circonscription. À ce moment, c’est la responsabilité de l’électeur qui est engagé, car il doit s’assurer qu’il est dans le registre. L’autre bon côté, c’est que l’enregistrement peut se faire jusqu’à la sortie du Writ of Election.
L’autre procédure à revoir, c’est la formation des fonctionnaires. Il faut une formation continue pour constituer une banque de officiers électoraux chevronnés, du Returning Officer au Directing Clerk. Donc, absolument tout le monde.
Quant au décompte des voix, je pense qu’il doit se faire le jour du vote. Une heure après la fermeture des centres de vote, on commence le décompte dans chaque salle de vote. Ce qui évitera le mouvement des bulletins et minimisera les erreurs.
Il faut aussi introduire le vote électronique après consensus et une campagne de conscientisation. Et le décompte se ferait instantanément. C’est le cas dans plusieurs pays, dont l’Inde.
Quand les chiffres ne sont toujours pas bons
Le recomptage des bulletins de la circonscription n° 19 (Stanley/Rose Hill) pour les élections générales du 7 novembre 2019 a eu lieu le mardi 1er février. Il ne s’est pas déroulé sans soucis. Trois anomalies majeures ont été notées durant l’exercice. Deux avocats constitutionnalistes donnent leurs points de vue sur ce qu’il faut changer. Ivan Collendavelloo, le leader du Muvman liberater (ML) reste député pour avoir recueilli 8 945 voix tandis que la candidate du MMM, Jenny Adebiro, a obtenu 8 865 voix, soit un écart de 80 voix.
Anomalies
1. 73 bulletins de vote ont disparu
Alors qu’en 2019, 28 169 bulletins de vote avaient été dépouillés, à la surprise générale, 28 096 bulletins ont été acheminés au collège GMD Atchia, Port-Louis, pour être recomptés. Avant le début de l’exercice, il a été constaté qu’il manquait 73 bulletins. L’Acting Master and Registrar Wendy Rangan a toutefois permis que l’exercice se fasse. Dans une déclaration à Radio Plus à la mi-journée, Ivan Collendavelloo a annoncé que 73 bulletins manquaient et il estimait que c’était « très grave ».
2. Pas de tampon de la commission électorale sur deux bulletins
Lors du recomptage, deux bulletins de vote n’avaient pas le sceau de la commission électorale. Pourtant, la loi prévoit que chaque bulletin de vote porte un seau de la commission électorale. Si ce n’est pas le cas, le bulletin ne peut pas être comptabilisé. La question est de savoir si ces bulletins avaient été comptabilisés lors du dépouillement du 8 novembre 2019.
3. Un bulletin de vote du n° 1 trouvé dans une urne
Une autre étrangeté, un bulletin de vote de la circonscription n° 1 (GRNO/Port-Louis-Ouest) a été trouvé parmi les bulletins de la circonscription n° 19 (Stanley/Rose Hill). Aucune explication n’a pu être fournie par rapport à cette anomalie majeure. Ce bulletin qui était valide a-t-il été comptabilisé au n° 1 ?
Pour l’avocat constitutionnaliste Milan Meetarbhan, il est important de tenir en compte le processus électoral. « Il faut examiner quelles institutions supervisent les élections, si elles ont une certaine indépendance et si les gens leur font confiance. Il faut également déterminer si les élections ont été ‘free and fair’ », explique-t-il.
Il indique que si le parti au pouvoir a un certain avantage sur les autres partis alors on ne peut pas dire que les élections aient été ‘fair’. Selon lui, on parle de système électoral qui est important, mais on ne valorise pas assez le processus électoral.
Est-ce que la commission électorale a le pouvoir sur tout lors d’une élection ?
Selon Milan Meetarbhan il faut déterminer le pouvoir de la commission électorale, les compétences de ses membres et leur indépendance. Il avance que la commission électorale est responsable de deux choses : l’enregistrement des électeurs et la tenue des élections.
« On se demande si la commission électorale a le pouvoir sur tout ce qui se passe avant, pendant, et après une élection notamment le comptage. Le jour du vote et le comptage vont de pair. »
Il se demande s’il ne faut pas élargir les pouvoirs de la commission électorale. « Faut-il un amendement constitutionnel ? Le gouvernement aura-t-il la volonté politique pour élargir les attributions de la commission ? Il y a aussi la possibilité de donner des pouvoirs additionnels à la commission électorale sans un amendement de la constitution, mais en passant par des amendements ordinaires. »
De quels dispositifs de sécurité la commission dispose-t-elle ? « Avec ce qui vient de se passer, il y a eu une prise de conscience des failles du système. Ainsi, il est important qu’il y ait un débat national sur le système électoral et son processus. »
Un autre avocat constitutionnaliste Parvèz Dookhy explique que le résultat de 2019 a été confirmé, mais qu’il y a eu des irrégularités. « 73 bulletins sont portés manquants. Ainsi on se demande si on peut continuer à organiser les élections générales de la même manière. Le commissaire électoral Irfan Rahman dit que l’erreur est humaine, mais c’est bien plus grave. On a trouvé toutes ces erreurs dans une seule circonscription. Il est possible que dans les autres circonscriptions, ce soit la même chose », dit-il.
On ne peut pas organiser des élections de la même manière
Selon lui, un des principes d’une élection est l’inviolabilité des urnes. « Une fois les bulletins dans les urnes personne ne peut les manipuler jusqu’au dépouillement. Mais lors de la dernière élection générale, il y a eu cette histoire de règle même si cela a été fait de bonne foi, c’est illégal », souligne-t-il. Ce dernier indique qu’il y a eu un dysfonctionnement quelque part, car on a trouvé le bulletin d’une autre circonscription dans la circonscription n° 19. « C’est peut-être un manque de professionnalisme ou une faute du personnel. Il se peut également que les boîtes n’aient pas été scellées. Et une personne a pu ramasser ce bulletin et le mettre dans la boîte de la circonscription n° 19. Ainsi, ce sont des fautes et pas des erreurs. Il se peut aussi que ce soit un manque de professionnalisme. »
Les boîtes doivent être scellées
Selon lui, les boîtes qui contenaient les bulletins auraient dû être sous scellés, afin que personne ne puisse les manipuler. « Irfan Rahman a dit qu’il y a trois cadenas et trois clés différentes. Mais un serrurier peut ouvrir une porte sans avoir de clé. Les boîtes qui contenaient les bulletins auraient dû être sous scellés. »
« Irfan Rahman a proposé un non-sens. Il demande à la police d’enquêter sur la police. Il faut une autre autorité plus responsable. »
Le constitutionnaliste va encore plus loin et estime que la faute revient également aux partis politiques. « Des agents sont envoyés dans chaque salle de classe pour veiller au bon déroulement du comptage. Ces personnes doivent être formées. »
Il explique qu’il faut avoir des représentants de la communauté internationale lors de la tenue des élections. « Ce sont souvent des gens des pays africains qui viennent au pays pour faire un rapport. Dans le futur, il faut penser à faire venir des personnes des pays occidentaux comme l’Amérique, le Canada, la France et l’Angleterre. Il y aura alors un plus grand contrôle. »
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