Interview

Rambassun Sewpal, architecte : «C’est un paradoxe que l’État a dû payer pour des terres qui lui appartiennent»

L’opposition récente de certains habitants de La Butte et de Résidence Barkly au projet du Metro Express, illustre la problématique de la planification urbaine à Maurice.

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L’architecte Rambassun Sewpal explique que la politique de régularisation des squatters n’a pas été réalisée en tenant compte des projets envisageables dans les villes.

« Pour construire toute nouvelle ville, il faut raser ce qui existe. À Paris, des architectes l’ont fait. »

Quels sont les enseignements que l'on peut tirer du conflit qui a opposé l’État aux personnes qui refusaient l’offre d’être relocalisées ailleurs ?
C’est un paradoxe que l’État a dû payer fort pour des terres qui lui appartiennent, donc à la population. On paye le prix d’une politique politicienne de la gestion du squatting des terres de l’État, qui est une pratique illégale. Il existe, certes, un problème de logement social à Maurice, mais régulariser le squatting sans tenir compte des lieux où il compromet les chances de tout développement futur dans nos villes, c’est faire preuve de démagogie au nom des intérêts politiques.

On l’a vu dans le cas du Ring Road dont une partie longe la pente de Vallée Pitot, qui fait partie des Réserves de l’État. Celui-ci aurait dû designer des espaces spécifiques pour le relogement des squatters, avec l’aménagement d’un espace de vivre décent, dont les infrastructures de base que sont l’accès à l’eau, l’électricité, une école maternelle et primaire, un centre récréatif et des espaces sociaux afin de jeter les bases d’une vie communautaire. Cela se fait ailleurs là où se pose la problématique des réfugiés.

Est-ce que ce problème se pose uniquement en zone urbaine ?
Si le gouvernement s’embarque d’aventure dans l’extension du tramway – c’est le terme qui convient, comme le Docklands Light Railway anglais-  en milieu rural, il rencontrera le même problème, car – il convient de le rappeler – le train desservait Maurice de part et d’autre, totalisant un parcours de 250 km de voie ferrée. Et dans le milieu rural, on a aussi construit sur cet ancien tracé. On peut aisément imaginer qu’un jour, un gouvernement décide de se servir de ce tracé pour implanter le tramway en milieu rural afin d’y booster le développement.

Est-ce que l’État possède beaucoup de terres à Maurice ?
Rien que 10 %, les Franco-Mauriciens au sein de leurs sociétés, entre autres, possédant quelque 36 %, et 54 % sont détenus par le reste de la population.

Quel sera l’impact direct du Metro Express dans le milieu urbain ?
On va assister à une hausse du coût de l’immobilier résidentiel et celui des espaces bureaux dans les villes. Mais, je n’écarte pas non plus l’idée que certains citadins choisissent de posséder une résidence secondaire hors des villes afin d’être loin du tramway, surtout du côté du littoral. Du coup, on peut penser que là-aussi le coût des terrains risque de flamber. D’une manière générale, on peut penser, qu’il y aura des activités tous azimuts autour du tramway.

Cela signifie-t-il que le milieu urbain se valorisera davantage, au détriment du milieu rural, créant deux catégories de citoyens ?
Cela peut arriver, car ce projet est sans le doute le plus coûteux dans l’île Maurice contemporaine. Ce tramway impactera profondément sur le style de vie des habitants des villes. Le rapport avec le tramway, qui sera flambant neuf et moderne, ne sera pas le même que nous avons avec certains autobus. Mais, il ne faut pas tirer des conclusions hâtives. À Sodnac, où vivent des familles huppées, je ne crois pas que l'on va abandonner les belles limousines pour monter à bord du tramway. Et comme celui-ci traversera la route St-Jean pour rejoindre l’Avenue Victoria, on ne sait pas encore comment les voitures venant de Sodnac voisineront avec le tramway.

À la lumière des problèmes survenus autour du tracé de ce tramway, est-ce que d’autres projets d’aménagements risquent de connaître le même problème ?
Seule la ville de Port-Louis a été bâtie selon une véritable planification, l’administration française sous Decaen et Labourdonnais étant conscients du rôle administratif et commercial, surtout, de ce port. Mais Quatre-Bornes n’est qu’une agglomération des villages, de morcellements résidentiels, à l’instar de Sodnac, vendu par la Société de Trianon. Les autres villes ont la même configuration, ce qui rend difficile tout projet de réaménagement. Or, à Port-Louis, grâce à ce qui a été réalisé à l’ère coloniale, on peut retoucher certains immeubles.

On a des chemins assez grands. En revanche, à Rose-Hill, des rues comme Boundary ou Hugnin ne permettent pas que l'on y mette des trottoirs. Dans le milieu rural, presque toutes les routes, qui sont de 3,66 mètres de large, ont des virages à contours étroits, car elles avaient été conçues pour le passage des charrues à bœuf qui transportaient la canne à sucre. Pour construire toute nouvelle ville, il faut raser ce qui existe. À Paris, des architectes l’ont fait.  

Le secteur privé semble posséder tous les moyens pour leurs projets immobiliers…
Oui, parce que l’État leur a facilité la tâche en enlevant toutes les entraves qui auraient pu gêner leurs projets de diversification foncière, alors que la fin des quotas sucriers arrive dans quelques jours. Toutes les taxes – la Land Transfert Tax, le Registration Duty, la Land Conversation Tax, entre autres, - et autorisations liées à l’importation des matériaux de construction et à la reconversion ne s’appliquent pas à leurs projets immobiliers. Enfin, elles possèdent les green fields. Résultat : ce sont des milliards de roupies qui n’entrent pas dans les caisses de l’État, grâce à ces exemptions et qui auraient pu servir au financement des dépenses publiques.

Mais ce sont des projets porteurs d’emplois…
Aucun engagement concret, donc, chiffré en termes de roupies, en termes de soutien social, économique et culturelle ne fait partie du plan de Médine, le projet très médiatisé en ce moment. Je ne vois pas concrètement la place de la population mauricienne dans toutes ses composantes dans ce projet. C’est avant tout un grand projet, et ce n'est pas après que le privé doit débourser des fonds pour les projets d’aide sociale.

 

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