Maurice, étant une économie ouverte et étroitement connectée à l’échelle internationale, ne devrait pas être épargné par les conséquences du conflit armé au Proche-Orient. C’est l’avis de l’économiste Rajeev Hasnah qui s’attend à une éventuelle hausse de l’inflation et un ralentissement de la croissance.
La guerre entre Israël et le Hamas plonge le Proche-Orient dans un climat de terreur. Outre les pertes malheureuses de vies humaines des deux côtés, quelles sont les conséquences possibles de ce conflit armé pour l’économie mondiale et, par ricochet, pour Maurice ?
La guerre entre Israël et le Hamas engendre une instabilité macroéconomique sur le plan global résultant ainsi en une augmentation dans la volatilité des marchés tels que le taux de change et le pétrole. Malheureusement, on vit dans une ère où les crises économiques, sociales et climatiques sont devenues presque permanentes. Les experts parlent maintenant du phénomène de « permacrise ». Celle-ci est définie comme étant une période qui semble interminable de difficulté, de confusion, de crise ou de souffrance.
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L’étendue des effets sur l’économie globale ainsi qu’à l’île Maurice va aussi dépendre de la durée de cette guerre, des risques géopolitiques additionnels dans la région ainsi que les ramifications de cette guerre sur toutes les autres activités. Maurice, étant une économie ouverte et étroitement connectée à l’échelle internationale, ne sera pas épargné et ressentira très probablement les contrecoups économiques de ce conflit en guise d’augmentation d’inflation des prix ainsi qu’un potentiel ralentissement de notre croissance.
Si la situation se dégénère, l’inflation risque de resurgir voire de s’aggraver dans de nombreux pays. Déjà, les prix du baril de pétrole et du gaz ont flambé dans le sillage de l’attaque surprise du Hamas contre Israël. Quels sont les risques à ce niveau pour Maurice ?
Au vu de notre politique de fixation des prix de carburant, cette hausse à l’échelle mondiale se transmettra très probablement à une augmentation du prix à la pompe, sauf intervention du gouvernement pour essayer de temporiser l’impact sur la population. En effet, les variations des prix du pétrole et des taux de change influencent considérablement notre taux d’inflation. Une augmentation considérable des prix du baril de pétrole et une dépréciation additionnelle de notre monnaie devraient accentuer les pressions inflationnistes, impactant davantage notre pouvoir d’achat. Ajouter à cela, les effets indirects et dits « second-round » d’une augmentation du taux d’inflation sur les prix des autres commodités et services dans le pays et les pressions inflationnistes vont davantage impacter le pouvoir d’achat de tout un chacun.
Au niveau local, les craintes que l’inflation ne reparte à la hausse dominent depuis que le prix du diesel a été revu à deux reprises en l’espace d’une semaine. Vos commentaires ?
Il est regrettable qu’on semble favoriser une hausse de l’inflation pour augmenter les revenus à travers le phénomène dit « inflation tax » avec des collectes record sur la TVA. Je pense que c’est assez clair pour tout le monde que la hausse du prix du diesel se traduira par une hausse des coûts de production et des activités économiques ; des coûts qui finiront inévitablement par être répercutés sur les consommateurs, exacerbant ainsi encore plus les pressions inflationnistes. C’est bon de noter que la collecte des impôts sur les biens et services (majoritairement provenant de la TVA) a augmenté de Rs 72 milliards pour l’année financière 2018/19 à Rs 87 milliards pour l’année financière 2022/23. On compare ces deux périodes afin de faire abstraction de la période impactée par la pandémie et aussi parce que ces deux périodes sont similaires en termes du produit intérieur brut réel.
La question de taxation trop lourde sur le carburant est une nouvelle fois évoquée. D’ailleurs, l’économiste Pierre Dinan souligne que c’est l’utilisateur de la route qui paie certains projets du gouvernement. Cette stratégie comporte-t-elle des failles ?
Si le but principal de cette politique vise surtout à équilibrer les revenus et les dépenses, alors, cette approche va soutenir cet objectif.
Par contre si l’objectif est de maîtriser l’inflation à la source afin que le pouvoir d’achat du Mauricien ne soit pas grandement impacté, ce genre de taxation ainsi que la poussée inflationniste qui en résultera sont contre-productifs et au détriment du portefeuille de tout un chacun.
Si les perspectives sur l’inflation s’assombrissent, au niveau de la croissance, les prévisions ont été revues à la hausse. Statistics Mauritius table sur 6,8 % cette année et le Fonds monétaire international anticipe un taux de 5,1 % contre des prévisions initiales de 4,6 %. Compte tenu de la conjoncture actuelle, quel devrait être le taux de croissance ?
Dans le contexte économique, où le pays est toujours en train de retourner au niveau prépandémie, il est crucial d’atteindre ces taux de croissance (réels) ainsi projetés. Tout ralentissement de cette croissance anticipée prolongera davantage la période de rattrapage, qui s’étend déjà sur trois ans. Il est donc essentiel que la croissance atteigne ces objectifs pour qu’on ait une reprise économique solide, sur laquelle on pourra alors mieux bâtir notre avenir économique.
Vous avez déclaré dans une interview au mois de mai qu’il est « peu probable » qu’une « croissance robuste » et un « développement économique » soient une réalité. Qu’est-ce qui vous pousse à cette conclusion ?
La majorité de nos fondamentaux macroéconomiques ont détérioré ces dernières années, comme en témoignent les dotations de crédit de notre pays (comparé à la période prépandémie), ce qui aujourd’hui, nous rend vulnérables face à aux chocs et aux crises économiques majeurs à venir. Nous avons bien puisé dans nos réserves et ressources sans les avoir consolidés en même temps durant ces dernières années. De plus, nous n’avons pas constaté une évolution significative dans nos activités économiques principales. Il faut aussi compter avec une migration assez conséquente de nos compatriotes, une baisse de notre population active et un recul de la productivité. Ce qui fait que notre potentiel de croissance est assez limité. Après qu’on aura rattrapé notre retard en termes de croissance réelle de notre produit intérieur brut en 2023 (en comparaison à 2019) avec des taux de croissance élevés depuis 2021, les économistes anticipent que notre croissance réelle redescendra dans la fourchette de 3 % à 4 %. Ce qui est bien en deçà des taux de croissance souhaités, afin qu’on puisse rentrer de manière permanente dans la catégorie des pays à revenu élevé.
La Banque de Maurice intervient ces dernières semaines de façon assez agressive sur le marché des changes, avec 100 millions de dollars vendus en septembre et 50 millions de dollars depuis le début d’octobre à ce jour. Quel en est l’impact sur le taux de change ? Doit-elle poursuivre avec cette stratégie ?
L’intervention vise manifestement à empêcher la dépréciation de la roupie. On est malheureusement en train de « lean against the wind » dans la gestion de notre taux de change au vu des actions prises par les Banques centrales des grandes puissances économiques (États-Unis, Europe et Grande-Bretagne, entre autres). C’est aussi connu que la dépréciation de la roupie mauricienne depuis la pandémie a été le résultat des actions entreprises par rapport à l’impression des billets à hauteur de Rs 140 milliards.
Aujourd’hui, avec un rendement relativement faible de la roupie vis-à-vis du dollar et de l’euro, on note aussi un manque persistant de devises dans le pays ; une situation qui oblige la Banque de Maurice à intervenir de manière assez massive et régulière. Est-ce que cette situation est le résultat d’un manque de confiance dans la roupie mauricienne ? Ce serait bien si les autorités pouvaient s’attaquer à cette situation dans le fond. Au cas contraire, cette situation pourrait avoir des effets néfastes sur notre potentiel de croissance.
Dans quelle mesure le taux de change de la roupie influence-t-elle l’inflation ?
Le taux de change de la roupie a un impact direct et significatif sur l’inflation à Maurice. De 2019 à août 2023, nous observons que le taux d’inflation cumulé est aux alentours de 30 %. Parallèlement, la roupie s’est dépréciée de 25 % pendant cette période. Ces chiffres montrent une corrélation étroite entre la dépréciation de la monnaie et le taux d’inflation. De ce fait, 83 % de la perte de pouvoir d’achat pendant cette période peut être attribuée à la dépréciation de la roupie. Cela souligne l’importance cruciale d’une politique monétaire indépendante et fiable et d’une gestion efficace du taux de change pour maîtriser le mal économique qu’est l’inflation.
À un peu plus de deux mois de la fin de l’année, quel bilan faites-vous de l’année écoulée sur le plan économique ?
Le bilan économique de cette année en termes de croissance réel montre des signes positifs d’une reprise économique après les récents défis sans précédent. Toutefois, malgré ces progrès, il est clair que beaucoup reste à faire. Les fondations sont en place, mais il y a encore de nombreux chantiers ouverts pour assurer une croissance durable et robuste pour l’avenir.
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