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Prisheela Mottee - fondatrice de l’Association Raise Brave Girls : « Donner une allocation sans une planification adéquate ne changera pas la situation »

Prisheela Mottee, fondatrice de l’Association Raise Brave Girls, œuvre pour l’autonomisation des femmes et l’égalité des genres. Elle propose des politiques de budgétisation sensible au genre. À Le Dimanche/L’Hebdo, elle commente l’allocation de Rs 2 000 pour les femmes au foyer proposée par l’Alliance Lepep.

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Comment définir une « femme au foyer » ?

Les Nations unies ne proposent pas de définition formelle de la femme au foyer. Cependant, l’Organisation internationale du travail (OIT) et la Banque mondiale la définissent généralement comme une personne, souvent une femme, dont le rôle principal est de gérer le foyer. Cela inclut des tâches telles que la cuisine, le ménage, la garde des enfants et la gestion des besoins familiaux, qui sont des travaux non rémunérés mais essentiels au bon fonctionnement de la famille et de la société.

Ces aides sont un outil politique clé pour relever les défis financiers et sociaux auxquels sont confrontées les femmes au foyer"

Qu’en est-il à Maurice ?

Dans le contexte mauricien, une femme au foyer est souvent considérée comme le pilier principal du foyer, veillant au bien-être de toute la famille. De plus, dans notre société multiculturelle, c’est souvent elle qui joue un rôle primordial dans la transmission de valeurs comme la tolérance, le savoir-vivre et le respect.

Est-ce uniquement une question de tâches ménagères ?

C’est une perception traditionnelle. Son rôle s’étend à l’éducation des enfants et l’engagement dans les activités scolaires. 

Dans les familles élargies, la femme au foyer s’occupe des personnes âgées. Elle est également responsable de l’organisation logistique des événements familiaux et des rassemblements communautaires ou religieux. Ainsi, la femme au foyer joue un rôle important non seulement au sein de la famille, mais aussi dans la société.

Quelles sont les différentes catégories de femmes au foyer ?

Il existe en effet différentes catégories de femmes au foyer, en fonction de leur environnement, du statut social de la famille, du niveau d’éducation et des compétences en gestion. 

On distingue la femme au foyer traditionnelle qui se consacre exclusivement à la gestion du foyer et de la famille. Puis, il y a la femme au foyer moderne qui combine cette gestion avec des emplois à temps partiel ou informels/formels. Ensuite, il y a la femme au foyer volontaire, qui a choisi ce rôle par préférence personnelle. 

Cette mesure devrait être soutenue par des services tels que des crèches gratuites, une éducation financière de base et bien d’autres initiatives"

La liste est plus longue, mais ces trois catégories sont les plus courantes.

Quelles sont les raisons pour lesquelles elles sont « femmes au foyer » ?

Il existe plusieurs raisons pour lesquelles une femme peut choisir de devenir femme au foyer. Cela peut être une décision volontaire, que ce soit par conviction personnelle ou pour des raisons religieuses. Cependant, dans les sociétés patriarcales, le rôle principal de la femme est souvent de devenir femme au foyer et de gérer exclusivement la maison. Dans de nombreux cas, la femme trouve cela normal car elle a été préparée pour ce rôle.

La maternité est une autre raison ?

Certaines femmes choisissent de devenir femmes au foyer pour renforcer le lien avec leurs enfants, poussées par leur instinct maternel. Après une grossesse, certaines peuvent rencontrer des problèmes de santé et décider de se retirer temporairement du monde du travail.

Les difficultés économiques jouent aussi un rôle ?

Dans certains cas, le coût de la garde d’enfants est trop élevé, surtout avec la cherté de la vie. Certaines femmes choisissent alors de s’occuper de leur foyer, quel que soit leur niveau d’éducation. Enfin, la difficulté à trouver un emploi peut également être une raison pour certaines femmes de rester au foyer.

Les femmes au foyer font des activités génératrices de revenus informelles ? 

Au fil des siècles, les femmes au foyer ont mené diverses activités pour obtenir un revenu supplémentaire afin de couvrir les dépenses du foyer. Elles ont contribué de manière informelle à presque tous les secteurs, participant au développement économique de la société tout en renforçant la base économique et financière du ménage. 

Pendant la Première Guerre mondiale, les femmes au foyer ont été sollicitées pour participer à des activités agricoles, coudre des vêtements pour les soldats et bien plus encore. À Maurice, pendant l’ère industrielle avec le secteur de la Zone franche, les femmes au foyer s’engageaient dans des travaux à la pièce pour la couture à domicile, rémunérées selon la quantité produite. 

Au fil des années, les autorités ont encouragé un secteur coopératif pour les femmes dans tous les domaines, de l’agriculture aux petits métiers artisanaux. Des centres de bien-être social pour les femmes ont fleuri, offrant des cours variés : crochet, mehendi, broderie, etc.

Des études menées dans divers pays ont évalué le travail non rémunéré des femmes au foyer à entre 10 % et 60 % du PIB, selon le pays"

Et à l’ère moderne ?

Avec la technologie, on voit maintenant des femmes vendre leurs produits sur les réseaux sociaux, avec des livraisons par la poste et des paiements via des applications mobiles. Il fut un temps où les femmes au foyer allaient de porte en porte pour vendre des produits variés tels que ustensiles de cuisine et produits de beauté entre autres. Les femmes au foyer ont su s’adapter à chaque époque, accompagnant ainsi l’évolution de la société.

Quels sont les défis les plus fréquents que rencontrent des femmes au foyer ?

Le principal défi pour ces femmes est souvent le manque d’éducation, la pauvreté et un accès limité aux services publics. Leur priorité devient la survie quotidienne de la famille.

Il est essentiel que les autorités se rapprochent des zones identifiées et offrent toutes les aides nécessaires pour soutenir ces femmes. Par exemple, la mise en place de crèches gratuites, et plus précisément de crèches qui ne ferment pas à 16 heures, mais plutôt plus tard dans la soirée pour permettre aux femmes de rentrer du travail. 

Il serait aussi utile de proposer des activités pour les enfants après les heures de classe jusqu’au retour de la mère. 

Les femmes pourraient bénéficier de divers soutiens comme des cours éducatifs, des formations courtes et des ateliers sur la gestion financière, proposés pendant les week-ends, dans le but de les autonomiser.

Quelle est la valeur économique et sociale du travail non rémunéré des femmes au foyer ?

Selon les Nations unies et l’OIT, les femmes contribuent de manière significative à l’économie du « Care », souvent appelée travail domestique et englobant toutes les activités qui leur sont associées. À l’échelle mondiale, les femmes effectuent environ 76 % du travail de « Care » non rémunéré, consacrant en moyenne 4,5 heures par jour à ces tâches. Si ce travail non rémunéré était monétisé, il représenterait environ 9 % du Produit intérieur brut (PIB) mondial, soit environ 11 billions de dollars par an. 

Des pays comme le Canada et le Royaume-Uni ont tenté d’incorporer le travail non rémunéré dans leurs comptes nationaux, estimant que le travail domestique non rémunéré contribue entre 20 % et 30 % du PIB lorsqu’il est mesuré. Des études menées dans divers pays ont évalué le travail non rémunéré des femmes au foyer à entre 10 % et 60 % du PIB, selon le pays. 

Il existe également un coût d’opportunité pour la femme (si elle était employée) qui n’intègre pas le marché du travail. Dans le contexte mauricien, nous croyons que l’Office des statistiques devrait mener une enquête afin d’obtenir ces chiffres.

Il existe différentes catégories de femmes au foyer, en fonction de leur environnement, du statut social de la famille, du niveau d’éducation et des compétences en gestion"

Que pensez-vous de la proposition de Rs 2 000 pour les femmes au foyer par l’Alliance Lepep ? 

L’association Raise Brave Girls (RBG) considère que la proposition de Rs 2 000 aidera sans aucun doute les femmes au foyer qui ont besoin d’un coup de pouce pour développer une petite entreprise grâce à des économies. Il faut reconnaître que toutes les femmes au foyer ne vivent pas dans la stabilité financière. Donc, nous croyons que les autorités, quelle que soit leur couleur politique, devraient soutenir cette initiative dans le meilleur intérêt des femmes.

Pourquoi dites-vous cela ?

Dans le monde, divers gouvernements ont mis en place des politiques similaires à la proposition des Rs 2 000. Au Royaume-Uni, des crédits de pension sont offerts aux femmes au foyer par le biais du système de crédits de l’Assurance nationale (NI). Si une femme au foyer est la principale responsable des soins d’enfants ou d’adultes dépendants, elle peut bénéficier de ces crédits, qui comptent pour sa pension d’État, garantissant qu’elle ne soit pas désavantagée pour avoir quitté le marché du travail rémunéré. 

Au Japon, les femmes au foyer sont incluses dans le plan de pension du conjoint, et le gouvernement fournit des allocations pour l’éducation des enfants, ce qui bénéficie directement aux femmes au foyer. De plus, divers gouvernements locaux accordent des subventions ou des allocations pour les personnes qui s’occupent de leur foyer, notamment dans les zones rurales. 

La France accorde des prestations familiales, y compris des allocations pour les femmes au foyer et les parents au foyer. Cela inclut l’« Allocation de parent isolé » pour les mères célibataires et des prestations supplémentaires pour les familles nombreuses. De plus, les femmes au foyer ont droit à une couverture santé sous l’assurance de leur conjoint et peuvent bénéficier d’autres protections sociales.

Comment cette somme de Rs 2 000 pourrait-elle aider une femme au foyer vivant dans la précarité ?

Cette allocation, soumise à une révision en termes d’augmentation, aidera les femmes en situation de pauvreté à ne pas terminer le mois sans argent. Cela constituera un point de départ au début de chaque mois. 

Selon l’UNDP, de nombreuses femmes au foyer, notamment dans les ménages à revenu unique, font face à une vulnérabilité économique. Les allocations servent de forme de sécurité financière, garantissant qu’elles disposent d’un certain niveau de protection en cas de divorce, de décès ou de chômage de leur conjoint. En offrant une indépendance financière, en réduisant la vulnérabilité économique et en soutenant les rôles de soin, de telles allocations contribuent à promouvoir l’égalité des genres et à améliorer le bien-être des familles et de la société dans son ensemble. 

Ces aides sont un outil politique clé pour relever les défis financiers et sociaux auxquels sont confrontées les femmes au foyer. De plus, de telles allocations renforceront le pouvoir psychologique des femmes et réduiront le stress financier.

Quelles seraient les limites de cette aide sociale ?

Distribuer l’allocation est un moyen facile pour les autorités de se débarrasser du fardeau sans effectuer un travail en profondeur de suivi de l’amélioration de la situation financière et socio-économique des bénéficiaires. Il est crucial d’accomplir un travail complémentaire, sinon cela risque de compromettre son efficacité. Par exemple, cette mesure devrait être soutenue par des services tels que des crèches gratuites, une éducation financière de base et bien d’autres initiatives.

Quels types de programmes auraient un impact plus durable pour améliorer la vie des femmes au foyer ?

À RBG, nous croyons que les autorités ne devraient pas limiter les femmes au foyer aux cours traditionnels comme la broderie et la préparation d’« achards » etc. Il est grand temps d’engager les femmes au foyer dans des formations telles que la programmation informatique, l’éducation financière ou l’investissement en Bourse. En 2024, les autorités devraient proposer des formations qui sortent des sentiers battus.

Comment évaluer l’impact de cette mesure sur l’autonomisation des femmes au foyer ?

Sans aucun doute, l’impact sera positif, car les femmes seront autonomisées sur le plan économique. Cependant, pour évaluer cet impact, une enquête devra être réalisée concernant les opportunités des femmes qui n’ont pas intégré formellement le marché du travail.

Cela encouragera-t-il la dépendance (nation assistée) ou offrira-t-il une opportunité de changement ?

Pour moi, cette mesure constituera une opportunité de changement, car pour les femmes vivant dans la pauvreté, ce sera une chance de repartir à zéro en bénéficiant d’un soutien financier et en avançant vers l’indépendance financière. Cependant, pour que cette proposition soit réussie, un suivi est nécessaire en ce qui concerne la planification de l’utilisation de l’allocation. Sinon, l’ensemble du projet sera vain en matière d’autonomisation financière.

Comment répondre aux besoins des femmes au foyer ?

Les autorités doivent accompagner les femmes au foyer vivant dans des conditions difficiles. Cela devrait aller bien au-delà du simple versement d’allocations ou de discussions superficielles. Nous proposons plutôt que chaque famille soit accompagnée par un travailleur social avec un dossier de famille, afin de suivre l’amélioration de la situation familiale étape par étape en termes de bilan financier, d’employabilité, d’éducation de l’ensemble de la famille, etc. Donner une allocation sans une planification adéquate ne changera pas la situation.

Au-delà de ces Rs 2 000, comment améliorer l’« environnement de travail » des femmes au foyer ?

En 2024, RBG propose aux autorités d’initier des cours de santé et de sécurité, d’auto-défense pour nos femmes au foyer, ainsi que des formations sur l’utilisation des plateformes technologiques afin de les aider à évoluer aux côtés de leurs enfants et à les protéger des dangers liés à la technologie. Améliorer l’environnement domestique des femmes au foyer nécessite une approche multifacette qui inclut un soutien financier, l’accès à des services sociaux, le développement de compétences, le soutien communautaire et la promotion de l’égalité des sexes. 

RBG insiste également sur l’importance d’accorder du temps aux femmes au foyer pour leur bien-être mental, ce qui ne devrait plus être un tabou.

Selon vous, comment une femme au foyer issue d’un milieu aisé percevrait-elle l’allocation de Rs 2000 proposée ?

Hypothétiquement, si les femmes au foyer estiment que le ménage n’a pas besoin d’une telle allocation, RBG les encouragera à créer un fonds avec cette allocation afin d’aider les personnes dans le besoin.

Pour conclure cet entretien, un message ?

Les femmes au foyer ont fait preuve de résilience au fil des siècles et elles ne devraient plus être considérées comme des héroïnes oubliées.

 

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