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Port-Louis: les raisons des inondations à répétition

Nul besoin de noyer le poisson ! Ce n’est pas qu’en période de pluies torrentielles que nombre de rues de Port-Louis sont inondées. À la moindre averse, piétons et motocyclistes éprouvent d’énormes difficultés à circuler dans la capitale, surtout au centre. Gros plan sur les raisons de ces inondations à répétition. Qui est responsable des inondations récurrentes qui font d’énormes dégâts matériels ? Il n’y a pas lieu de jeter de la boue au visage de Dame Nature en brandissant le taux de pluviosité. Sur les hauts plateaux, par exemple, il pleut fréquemment – et souvent des cordes – mais les rues y sont rarement inondées. La raison est simple : le système de canalisation d’eau de pluie de cette région est plus efficace que celui dont est dotée la capitale. À Port-Louis, les inondations sont principalement dues aux erreurs humaines qui remontent à la fin des années 80. Au fil du temps, ces erreurs se sont accumulées et ont pris des proportions alarmantes. La première, et non des moindres, a été commise par des décideurs politiques et l’administration municipale qui ont recouvert les principaux caniveaux de la capitale, les rétrécissant dans la foulée.

Drains couverts de béton

[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"10364","attributes":{"class":"media-image alignleft size-full wp-image-18013","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"1280","height":"1059","alt":"Obstruction de Caniveaux"}}]] « Les colonisateurs français et anglais avaient légué aux Portlouisiens un système d’évacuation d’eau ayant fait ses preuves », explique Serge Laurent, ancien employé de la mairie de Port-Louis. Ainsi, poursuit-il, jusqu’à la fin des années 80, les rues au centre de la capitale ainsi que les principales artères des faubourgs étaient bordées de drains larges et non couverts. « Ce qui permettait l’évacuation rapide de l’eaux pluviale, ainsi que des feuilles, des branches et autres détritus. Ce n’est que durant les périodes cycloniques que l’eau s’accumulait sur les routes. » Toutefois, à la fin des années 80, la mairie de Port-Louis s’est lancée dans un vaste programme visant à recouvrir les drains. Dans certains cas, les travaux ont été désastreux pour deux raisons principales. Primo, la largeur des drains a diminué lorsqu’ils ont été recouverts, car il a fallu couler du béton des deux côtés pour pouvoir encastrer les bétons préfabriqués (slabs). Secundo, dans de nombreux cas, rien n’a été prévu pour que l’eau de pluie soit évacuée des routes jusqu’aux drains. Cette évacuation se fait à travers des ouvertures dans les parois des drains. C’est justement là que le bât blesse. En raison de cette faille, les ronds-points se transforment en véritables bassins lors des averses. Et pour couronner le tout, les drains ne sont pas régulièrement nettoyés. Ce sont autant de raisons qui expliquent pourquoi l’eaux de pluie envahit les rues à chaque averse. Des ingénieurs civils, contactés par Le Défi Plus, sont convaincus que les drains recouverts n’auraient posé aucun problème si certaines conditions élémentaires avaient été respectées. « C’est évident que les drains perdent de leur largeur lorsqu’ils sont recouverts de béton. On aurait dû compenser cette étroitesse en gagnant en profondeur et en inclinant la pente davantage. À coup sûr, eau, boue et détritus auraient été évacués sans anicroche », s’accordent-ils à dire. La deuxième erreur n’est autre que la politique de l’Autruche pratiquée par les autorités. Qu’il soit élu municipal, député de la capitale, fonctionnaire de la mairie ou du ministère des Collectivités locales, tout le monde semble être aveugle devant l’obstruction grandissante des drains par des structures en béton construites pour permettre l’entrée de voitures dans les cours et garages. Ces structures réduisent non seulement la largeur des drains, mais elles occasionnent aussi l’accumulation de déchets. Résultat : l’eau de pluie reflue sur la chaussée. Ainsi, il n’y a pas lieu de jeter de l’argent dans les caniveaux en commanditant de nouvelles études dont les rapports finissent, très souvent, au fond d’un tiroir. Nombre des recommandations vitales des rapports Gibb et Domah, entre autres, ont été tout simplement ignorées. L’heure est à l’action.

Gibb évoque plus de 300 endroits à risques

Pas moins de 326 régions sont vulnérables aux inondations. Ce chiffre évolue avec le développement foncier. À la lumière du rapport du consultant Gibb, il ressort que c’est le district de Grand-Port/Savanne qui est le plus menacé, avec 107 endroits à risques. S’en suivent Curepipe (56), Rivière-Noire (30), Beau-Bassin/Rose-Hill (25), Pamplemousses/Rivière-du-Rempart (25), Port-Louis (23), Vacoas Phœnix (21), Moka/ Flacq (18) et Quatre-Bornes (10).

Port-Louis

  1. Roche-Bois – Les environs du cimetière
  2. Roche-Bois – Jonction des Carrières et des Pierres
  3. Sainte-Croix – Rue Pontrée
  4. Sainte-Croix – Rue Mère Térésa et morcellement Lamadie
  5. Sainte-Croix – Ruisseau Lataniers donnant sur la rue S. Peer J. Shah
  6. Cité-La-Cure
  7. Cité-La-Cure – Ruisseau Lataniers donnant sur la rue Reverand Snepp
  8. Plaine-Verte – Les environs de l’école Dr I. Goomany
  9. Vallée-Pitot – Boulevard Hugon
  10. Place Taxi du Victoria Square et rue Monneron
  11. Grande-Rivière-Nord-Ouest – aux alentours du temple
  12. Grande-Rivière-Nord-Ouest – Ruisseau St-Louis
  13. Plaine-Lauzun – Zone industrielle et Canal Dayot
  14. Rue Maupin – à hauteur de la route nationale
  15. China Town – Rue Joseph Rivière
  16. Plaine-Verte – Rue Ail Dorée
  17. Plaine-Verte – Rue Canal Bathurst
  18. Vallée-Pitot – Rue Alma
  19. Vallée-Pitot – Cité Guy Rozemont
  20. Plaine-Verte – Route des Pamplemousses (Seriyan Ltd)
  21. Vallée-des-Prêtres – Route royale (Sipay Brûlé)
  22. Lower Vallée-des-Prêtres – à hauteur du Sewumber Market
  23. Sainte-Croix – Rue Sir Seewoosagur Ramgoolam

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Rapport 13 facteurs humains relevés

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[row custom_class=""][/row] Dans un rapport sur les inondations, le consultant Gibb et la Water and Power Consultancy Services (India) Ltd ont relevé pas moins de 13 facteurs humains.
  • Dans certains endroits, les drains ont été mal conçus, tandis que dans d’autres, il n’y en a pas suffisamment. Sans compter des régions qui sont privées de drains.
  • Des tuyaux sont installés dans le cours d’eau des drains et des caniveaux.
  • Des drains sont complètement obstrués en raison d’un piètre entretien.
  • Des maisons sont construites sur des terrains en contrebas du niveau normal.
  • Le réseau de canalisation d’eau des nouveaux complexes résidentiels est abouché au réseau existant qui ne dispose pas d’une capacité adéquate.
  • Les drains naturels sont obstrués par des détritus.
  • La construction des maisons sur la berge ou en dessous de la flood line des rivières et d’autres cours d’eau.
  • Les cours d’eau sont bloqués par des déchets ménagers.
  • Aucune étude appropriée n’a été menée sur la dimension des drains à être construits.
  • Des maisons ont été construites au pied des montagnes et des collines sans tenir compte de la canalisation des eaux.
  • Le nombre de surfaces où il y a un trop-plein d’eau augmente sans que le système d’évacuation d’eau n’accroisse réciproquement.
  • Des constructions sont effectuées sur des terrains marécageux.
  • Il n’y a pas suffisamment de moyens d’écoulement du trop-plein d’eau pour une bonne évacuation.

Les principales suggestions de Gibb

  • Mise sur pied d’une Land Drainage Unit et d’un Land Drainage Coordination Committee.
  • Formation du personnel qui travaillera sur le terrain.
  • Réorganisation de la Water Resources Unit pour séparer les higher level functions des day-to-day functions.
  • Adoption des normes hydrologiques par rapport à la construction d’infrastructures d’évacuation d’eau.
  • L’évacuation d’eau doit occuper une place importante dans tout projet de développement foncier.
  • Implantation à travers le pays de huit stations pour pouvoir évaluer le volume de boue et de cailloux entraîné par les eaux durant les averses.
  • Élaboration d’un plan d’action sur la gestion des accumulations d’eau (Watershed Management).

 

Les recommandations du comité Domah

À la suite des inondations de mars 2008, qui ont fait quatre victimes, un Fact-Finding Committee a été mis sur pied, présidé par le juge Bushan Domah. Il était assisté de Ranjitrai Vaghjee et Jacques Rosalie. Ce comité a fait une série de recommandations comme :
  • Indemniser les proches des victimes.
  • Mettre sur pied un Disaster Management Centre en vertu d’une législation. Il aura pour mission d’évaluer les risques de chaque calamité naturelle qui peut frapper Maurice, de compiler et d’analyser des données et de décider de l’alerte sur l’ensemble du pays ou par région.
  • Préparer une Integrated Flood Management Strategy qui intégrera un land resource management with water resource management en vue de minimiser les risques de perte de vie et de dégâts matériels.
  • Construire un réseau national de drains pour canaliser les eaux dans des bassins et autres lacs au lieu qu’elles finissent dans l’océan.
  • Préparer un Flood Risk Map qui répertorie constamment les endroits à risques.
  • Le service météorologique doit être mieux équipé et reconfigurer son site Web. Il doit aussi nommé un PRO.
  • La National Development Unit doit redéfinir ses rôles par rapport à la gestion intégrée des inondations.
  • Le ministère des Administrations régionales doit mener un audit du système de drainage et de la gestion des déchets de chaque collectivité locale.

 
   

Controverse autour des travaux de la NDU

Des conseils du State Law Office ignorés, les conditions de certains contrats non respectées, la Public Procurement Act enfreinte, des contrats non approuvés alloués… Autant de zones d’ombre entourent les contrats de la National Development Unit (NDU) concernant la construction de drains au coût de Rs 3 milliards et qui ont débouché sur l’arrestation de son ancien responsable, Hurrydeo Bholah. Après les inondations de février et mars 2013, des contrats portant sur des travaux d’urgence sans appel d’offres n’ont été accordés qu’à quatre firmes ayant l’habitude de décrocher les contrats de la NDU. Safety Construction Co Ltd en a obtenu neuf en 2010, deux en 2011, 15 en 2012 et 29 en 2013. Best Construct Co Ltd a décroché 49 contrats en 2011, 17 en 2012 et 41 en 2013. Et Super Builders Co. Ltd en a reçu deux en 2010, 14 en 2011, 35 en 2012 et 32 en 2013. Les anomalies notées reposent sur trois aspects. Primo, la NDU avait fait fi de l’avis du State Law Office portant sur un exercice d’appel d’offres restreint dans un souci de transparence et de compétition. Alors qu’en 2011, des contrats pour des travaux d’urgence avaient été alloués à la suite d’un appel d’offres restreint. Secundo, il est reproché à la NDU d’avoir enfreint la Public Procurement Act (PPA) and Regulation 44(3) des Public Procurement Regulations (PPR) qui stipule que la limite des travaux additionnels « through unforeseeable circumstances » est de 30 % de la valeur initiale du contrat. Or, dans certains cas, les travaux additionnels ont atteint jusqu’à 60 % de la valeur initiale. Tertio, dans certains cas, la NDU ne s’est pas assurée que les conditions de contrats sont respectées. À titre d’exemple, elle a accepté des Performance Securities émises par une compagnie d’assurance, alors que le General Conditions of Contract (GCC) stipulent qu’elles doivent l’être par une banque locale. Pour quelques contrats, le délai des Performance Securities n’avait pas été étendu alors que les travaux avaient pris du retard. Dans d’autres cas, les Performance Securities n’avaient pas été ajustés aux travaux supplémentaires.  
   

Les carences de la CWA et la WMA

Les gros tuyaux de la Central Water Authority (CWA) et des structures de la Wastewater Management Authority (WMA) contribuent à obstruer des cours d’eau et autres ruisseaux. C’est ce qui ressort d’une enquête menée par Le Défi Plus. À titre d’exemple, le ruisseau qui traverse Terre-Rouge et Sainte-Croix est enjambé par plusieurs ponts et routes. Les tuyaux de la CWA, placés sous certains d’entre eux, peuvent constituer un problème en cas d’inondations car au lieu d’être fixés aux parois, ils sont placés à quelques pieds en dessous de ces structures. Du coup, en cas de débordement, la voie n’est pas libre pour les branches, bois et vieux électroménagers qui dévalent ces cours d’eau. De ce fait, l’eau déborde sur les rues et dans les cours avoisinantes. Dans certains cas, les tuyaux de la WMA font également obstruction dans des cours d’eau. Dans le ruisseau de Terre-Rouge, à un point donné, elle a construit une structure qui bloque un passage à moitié. Pis, le tuyau qui relie cette structure à une autre, construite en retrait du ruisseau, est à quelques pieds du lit de ce cours d’eau.
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