Le spectre de la privatisation de la CHCL ressurgit. Dans un rapport publié récemment, la Competition Commission plaide pour une restructuration du secteur portuaire. Ces recommandations visent à faire du port un pilier plus performant, mais elles soulèvent des interrogations sur les enjeux de souveraineté.
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La question brûlante de la privatisation du port refait surface. Dans un rapport publié récemment (voir plus loin), la Competition Commission prône une refonte profonde de la Cargo Handling Corporation Ltd (CHCL). Au cœur de ce rapport, une suggestion qui ne passe pas inaperçue : introduire un Global Terminal Operator (GTO), un acteur privé mondial, pour prendre en charge les opérations portuaires. La Competition Commission va jusqu’à envisager une prise de contrôle total de la CHCL par ce partenaire stratégique, avec une participation pouvant atteindre 100 %. La Commission estime qu’un tel partenariat offrirait à l’opérateur la liberté nécessaire pour investir dans des infrastructures modernes tout en lui imposant des objectifs de performance stricts.
Cette privatisation partielle ou totale serait, selon le rapport, la clé pour attirer des capitaux et hisser Maurice au rang des hubs maritimes compétitifs dans l’océan Indien. Pour un ancien haut cadre de la Mauritius Ports Authority (MPA), s’exprimant sous le couvert de l’anonymat, « la question de la privatisation de la Cargo Handling Corporation Ltd remonte à 1995 ». Il rappelle que « ce projet a figuré à l’agenda de tous les gouvernements depuis cette date, mais il a systématiquement été abandonné sous la pression des syndicats ». D’après cet ex-responsable, les syndicats auraient « refusé toute ouverture vers le privé pour protéger leurs intérêts ». Il déplore d’ailleurs que « certaines catégories d’employés exercent une influence disproportionnée au sein de la CHCL, ce qui complique davantage les réformes nécessaires ».
Cet ancien haut cadre abonde toutefois dans le sens des recommandations récentes de la Competition Commission, selon lesquelles « les représentants de la MPA devraient se retirer du conseil d’administration de la CHCL pour assurer une meilleure gestion de l’organisme ». Pour lui, le rôle de la MPA, tel que défini par le Ports Act, est celui d’un régulateur, et non d’un acteur opérationnel. « Il faut à tout prix privatiser la CHCL. Pour qu’un opérateur puisse contribuer efficacement, il doit participer à tous les niveaux de gestion », souligne-t-il.
Il plaide également pour une approche basée sur la transparence dans le cadre de cette éventuelle privatisation. « Un processus d’appel d’offres international est essentiel pour garantir l’équité et permettre une évaluation rigoureuse des propositions. L’objectif doit être clair : le pays doit sortir gagnant de cette opération », insiste-t-il.
Les recommandations figurant dans le rapport relancent par ailleurs un autre débat complexe. Céder une part importante de la gestion portuaire au secteur privé pourrait accroître l’efficacité et attirer des investissements, mais au prix d’un contrôle amoindri sur un levier stratégique pour l’économie mauricienne ? La Port-Louis Maritime Employees Association (PLMEA) était en conférence de presse à Port-Louis lundi matin. Dans une déclaration, le négociateur de la PLMEA, Gerard Bertrand, a souligné qu’il est hors de question de songer à la privatisation de la CHCL. « La CHCL est un bijou et pour rien au monde nous n’allons accepter que le secteur privé mette les pieds dans le port », déclare-t-il.
Coup de main du privé
Maurice est un pays dont le port joue un rôle crucial dans l’approvisionnement ainsi que dans les exportations et l’idée de le soumettre à une gestion étrangère pourrait être perçue comme un risque pour la souveraineté nationale. Le gouvernement osera-t-il franchir ce pas, au risque de s’attirer les foudres des syndicats et des employés du port ?
Le ministre de l’Économie bleue et de la pêche, Arvin Boolell, a fait comprendre qu’il faut « investir dans le port ». Il s’exprimait lors d’une conférence de presse, jeudi dernier, 28 novembre, à Mer Rouge, à l’occasion de la Journée internationale de la pêche. Arvin Boolell a exhorté le secteur privé à s’impliquer davantage dans le développement du secteur portuaire. Selon lui, cet investissement permettrait de moderniser le port mauricien et d’améliorer sa compétitivité.
Entre les impératifs de modernisation, les exigences de compétitivité et les préoccupations liées à l’indépendance économique, la privatisation du port de Maurice semble bien plus qu’une simple question de gestion : elle cristallise les enjeux d’un modèle de développement en mutation. Le ministre du Commerce, Michael Sik Yuen, a été sollicité pour une déclaration. Le gouvernement, dit-il, est conscient des divers problèmes auxquels le port fait face. « Mais nous allons tout entreprendre afin de redresser la barre au plus vite », a-t-il assuré.
Menon Munien, ex-président de la CHCL : «Je préfère rester en dehors de tout cela…»
Interrogé autour de la privatisation de la Cargo Handling Corporation Ltd (CHCL), Menon Munien, l’ex-président du conseil d’administration de la CHCL, a opté pour la réserve. Peu loquace, il s’est contenté de déclarer ceci : « Je n’ai pas envie de donner mon opinion. Je préfère rester en dehors de tout cela pour le moment ».
Maurice secoué par l’Indice 2023 de la Banque mondiale
Le port de Maurice accuse un sérieux recul sur la scène internationale. Selon le Container Port Performance Index 2023, publié par la Banque mondiale et S&P Global Market Intelligence, il se classe désormais à la 369e position sur 405 ports évalués, enregistrant une dégringolade de 39 places par rapport à l’année précédente. Ce classement peu flatteur met en lumière les difficultés de compétitivité du port mauricien face à ses voisins de l’océan Indien. Port Réunion, Toamasina à Madagascar et Mayotte, respectivement classés 320e, 300e et 307e, se positionnent mieux, accentuant la pression sur Maurice pour moderniser ses infrastructures et améliorer ses performances.
Les grandes lignes du rapport
- La Competition Commission recommande au gouvernement de chercher un partenaire privé (Global Terminal Operator) afin de prendre le contrôle opérationnel de la CHCL.
- Le rapport propose également une réforme en profondeur de la MPA, afin que l’organisme « puisse agir en tant que régulateur fort, capable de faire respecter cette structure ».
- Le rapport recommande qu’un « grand opérateur privé intervient dans la gestion du fret ». Cela, afin de stimuler l’efficacité et l’investissement. Un régulateur solide est nécessaire pour prévenir les abus de toute situation de monopole et garantir que les objectifs d’intérêt public et de développement économique général du gouvernement soient respectés.
- La MPA est appelée à revoir ses relations avec le gouvernement et de maintenir sa politique d’ouverture à de nouveaux opérateurs, notamment dans les domaines de l’avitaillement, des opérations sous-marines et de tous les services auxiliaires. Objectif : accroître la transparence lors de la mise en place de nouvelles licences et de prévoir davantage de consultations publiques et d’établir un processus compétitif pour nommer des concessionnaires avec des durées fixes.
- La mise en place d’un mécanisme pour les opérateurs de services portuaires potentiels confrontés à des processus lents ou non transparents, des conditions discriminatoires favorisant les opérateurs en place, ou des exigences réglementaires qui restreignent la concurrence sans raison valable.
- Augmenter l’utilisation du port par les grandes compagnies maritimes. Le but : stimuler le transbordement afin de permettre à la MPA d’atteindre des économies d’échelle et réduire les coûts de fret ainsi que les prix des marchandises pour les consommateurs mauriciens.
Le projet avorté de Dubai Ports World
En 2016, la société Dubai Ports (DP) World avait des ambitions majeures pour Maurice. L’entreprise envisageait d’investir environ Rs 31 milliards pour transformer Port-Louis en un hub maritime stratégique dans l’océan Indien. Ce projet d’envergure promettait de propulser le port mauricien parmi les acteurs clés de la région. Mais cette vision s’est heurtée à une opposition féroce.
Les employés portuaires, soutenus par des représentants syndicaux, ont manifesté leur désaccord, dénonçant des menaces potentielles sur leurs conditions de travail et sur la souveraineté économique. Ashok Subron, animateur syndical de la General Workers Federation (GWF) et tout récemment devenu ministre de la Sécurité sociale à la suite de la victoire de l’Alliance du Changement, était de ceux qui s’opposaient farouchement au projet. Celui-ci a été sollicité à maintes reprises pour une déclaration sur l’éventualité d’une privatisation de la CHCL, mais il est resté injoignable au téléphone.
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