
Dans l’ensemble de la capitale, les huit centres de dépôt ont vu défiler une faune électorale aussi diverse que contrastée. Si certains se sont montrés confiants, d’autres avancent à tâtons, misant sur la proximité et une campagne de terrain loin des grandes manœuvres politiciennes.
Le soleil n’a pas attendu. Samedi matin, dès les premiers instants du Nomination Day, il cognait fort sur le bitume brûlant de Bell-Village, comme pour rappeler que la politique se joue parfois à la dure, à la sueur du front et sous le poids des regards. Sur le parvis du collège d’État Dr. James Burty David, les premières silhouettes émergent à 9 heures pétantes, entre nervosité, posture calculée et ferveur militante.
Dans la lumière crue de cette matinée d’avril, une femme marche, fière, vers les bureaux de l’administration électorale. Elle s’appelle Angélique Ravina, 52 ans, mère de famille, et première à déposer sa candidature sous la bannière des Verts Fraternels, intégrés à Linion Moris. Le pas déterminé, elle salue brièvement les journalistes avant de disparaître dans l’enceinte du collège. À ses côtés, pas de cortège tapageur ni de fanfare improvisée, juste quelques sympathisants qui l’accompagnent comme on soutient une cause plus qu’une personne.
Rapidement, le rythme s’intensifie. Les figures politiques s’enchaînent, la plupart bien rodées à l’exercice. Osman Mahomed, ministre du Transport terrestre, serre des mains, multiplie les poses. À ses côtés, Reza Uteem, ministre du Travail, et Farhad Aumeer, affichent un calme de façade. En retrait mais tout aussi présent : le Junior Minister à l’Agro-industrie Fabrice David. Une présence coordonnée, presque chorégraphiée. « Après dix ans d’attente et trois reports, ces municipales sont plus qu’un scrutin : elles sont une respiration démocratique », lâche Reza Uteem à Le Dimanche/L’Hebdo, d’un ton presque solennel.

Non loin de là, dans le Ward 2, l’ambiance est plus feutrée. Au collège d’État Frank Richard, quelques candidats indépendants, visiblement moins entourés mais pas moins motivés, sortent l’un après l’autre du bâtiment. Les candidats de l’Alliance du Changement, à savoir Manuella Sharlie Legentil, Giovani Laclé, Michel Chiffonne et Homavadee Mootoosamy, fraîchement enregistrés, évoquent à voix haute leur volonté de « changer les choses », de « travailler pour leur quartier ». Les mots sont attendus, presque convenus, mais le ton, lui, trahit une sincérité difficile à ignorer.

Fait notable : certains visages bien connus se présentent en électron libre. Daniel Augustin, conseiller sortant, et Ruben Grenade, époux de l’ex-députée MSM Sheila Grenade, prennent le pari de l’indépendance. Une décision à double tranchant, mais qui témoigne du désenchantement grandissant envers les grandes formations traditionnelles.
Au Ward 3, l’école primaire Raoul Rivet est en effervescence. Ici, la politique prend des airs de fête populaire. On se prend en selfie… On affiche une joie presque enfantine… Mais à la sortie, l’excitation monte d’un cran : les quatre candidates de l’Alliance du Changement, qui viennent d’achever la procédure, sont acclamées comme des stars locales. Les pétarades qui suivent ne laissent aucun doute : pour leurs partisans, l’instant est historique.

Mais le contraste est saisissant au collège d’État Renganaden Seeneevassen. Quatorze candidatures enregistrées, dont trois indépendants. Christian Bernard, qui se présente sous l’étiquette des Verts Fraternels mais avec le soutien de l’Alliance du Changement. Dans une déclaration au Dimanche/L’Hebdo, il brandit un engagement fort. « Je me battrai pour éradiquer le fléau de la drogue dans notre arrondissement. C’est une promesse, pas un slogan », affirme-t-il.
Pour lui, ce Nomination Day est chargé de sens. En 2019, il s’était déjà frotté aux élections générales, mais c’est sa première tentative dans le cadre municipal. Son regard se durcit quand il évoque les jeunes pris dans l’engrenage des drogues de synthèse. Une lutte de terrain, presque personnelle.
15 heures sonnent. Et comme dans un roman d’Orwell, la porte se ferme, sans émotion, sans appel. La police referme les grilles du collège Renganaden Seeneevassen. Un homme arrive en courant, dossier en main, souffle court. Il est trop tard. Le règlement est clair : aucune tolérance au retard.
Devant les grilles, il hésite, tente un échange, puis se ravise. La déception se lit dans chaque pli de son visage. Il tourne les talons, rejoint sa voiture, refuse poliment les micros tendus. Son silence, plus éloquent que n’importe quel discours...
Ingénieur de profession, ancien lord-maire et candidat : Jenito Seedoo, retour en mairie et mémoire de Tranquebar
Sous les grands arbres du collège Renganaden Seeneevassen, Jenito Seedoo serre les mains, sourit, observe. Ingénieur de formation, ancien Lord-maire – un fauteuil qu’il occupa brièvement entre décembre 2014 et juin 2015 – le voilà de retour dans l’arène municipale. Cette fois, avec une conviction renforcée par les années. « C’est une responsabilité qu’on m’a confiée. La démocratie est restaurée. Après le 60-0 des élections générales, la population a exprimé un besoin de changement profond. Le travail est énorme », confie-t-il, entre deux salutations. Ce dernier est candidat du MMM sous la bannière de l’Alliance du Changement.
Marié, père d’un garçon de six ans, Jenito Seedoo ne cache pas son attachement à ses racines. « Je viens d’une famille modeste de Tranquebar. J’ai grandi avec des valeurs fortes : solidarité, honnêteté, service. Ce parcours politique, c’est le fruit de cet héritage », dit-il. « Être candidat, ce n’est pas glamour. C’est une responsabilité : celle de servir. »
Face aux fléaux urbains, de la drogue aux déchets, des inégalités aux incivilités, le candidat estime que la mairie a un rôle clé à jouer. « Il faut redonner à Port-Louis l’image qu’elle mérite. Pas une vitrine vide, mais une ville vivante, respectée, portée par ses habitants », fait ressortir l’ancien Lord-maire.
Slogans et sourires tendus
Dans les Wards 5 à 8 de Port-Louis, l’air vibrait de slogans et de sourires tendus. L’Alliance du Changement, visiblement galvanisée, affichait un front uni. Aslam Hossenally, ancien Lord-maire, fendait la foule, appelant à un « sursaut démocratique » et dénonçant une gestion municipale à bout de souffle. À ses côtés, Sakinah Ramjane, voix montante du collectif, insistait sur la nécessité d’une politique centrée sur les femmes et les jeunes, affirmant : « Il faut une mairie qui nous ressemble ».
Mais l’Alliance n’était pas seule sur le terrain. Le Reform Party, emmené par un Abeedeen Seenath tout en assurance, tentait de bousculer le duel attendu. Drapé dans une posture d’outsider déterminé, il promettait une alternative « crédible et responsable ».
Dans cette journée tendue, chacun semblait jouer gros : l’image, le territoire, et surtout, une place dans le futur de Port-Louis.
Le constable Caramben : l’uniforme discret, le geste juste
Il n’était ni candidat, ni chef de file. Pourtant, en ce samedi électoral, le constable Sivaraj Caramben ne passait pas inaperçu. Affecté au poste de police de Pailles, il assurait calmement la sécurité au James Burty David State Secondary School, à Bell-Village, dans le cadre du Nomination Day. Droit, attentif, effacé — un visage parmi d’autres, pourrait-on croire.
Mais ceux qui l’ont reconnu savaient qu’il portait plus qu’un uniforme ce jour-là. Quelques jours auparavant, un geste simple et fort avait suffi à faire parler de lui. Confronté à une situation délicate, dans un bus le constable avait choisi la voie de la discrétion et de la finesse : quelques mots écrits sur un bout de papier pour rassurer une passagère en détresse, sans bruit, sans badge exhibé.
Relayée sur les réseaux sociaux, cette initiative a touché par sa justesse. Dans un contexte où les tensions entre citoyens et forces de l’ordre peuvent parfois altérer la confiance, Sivaraj Caramben a rappelé que l’uniforme peut aussi porter des valeurs d’écoute, de respect et de solidarité.
Quatre femmes au Ward 3
Quatre femmes et un même étendard : l’Alliance du Changement. À l’école Raoul Rivet, dans le Ward 3 de Port-Louis, la candidature groupée de Mehzabeen Ayesha Caramtali (MMM), Shamima Khatib (PTr), Marie Cristelle Pondard (PTr) et Marie Esther Kathy Rosalba (MMM) a donné un visage résolument féminin à une campagne souvent dominée par les voix masculines. Rassemblées sous la bannière de l’Alliance du Changement, elles rappellent que la diversité politique peut aussi rimer avec sororité stratégique. Dans un Ward souvent relégué aux marges du discours politique, elles viennent réaffirmer que le changement commence souvent là où on ne l’attend pas. Et que parfois, l’alternance prend le visage d’une alliance féminine.


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