L’économiste Pierre Dinan dresse un tableau de l’économie mauricienne à la veille de la présentation du Budget 2017-18. Il souhaite un budget équilibré pour favoriser l’économie et donner un nouveau souffle au secteur agricole, tout en se souciant de réduire les inégalités.
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■ Pour commencer, dressez-nous un état des lieux de l’économie mauricienne à la veille de la présentation du Budget 2017-18?
C’est une économie qui a besoin d’être reprise en main, compte tenu des défis auxquels elle est confrontée. C’est une économie qui, depuis quelques années, enregistre une croissance plutôt faible. L’année dernière, nous avons enregistré une baisse des exportations manufacturières.
C’est une économie qui n’arrive pas à se hisser au niveau des pays à hauts revenus. Il faut donc se demander pourquoi ? Et je me demande si la raison principale n’est pas un manque de direction, de leadership et aussi d’engagement. Il faut vraiment prendre les choses en main avec sérieux et dans le respect des valeurs réelles.
■ Quelles sont nos principales faiblesses ?
Disons qu’il y a une faiblesse inhérente du fait que nous sommes un petit pays avec des ressources limitées. Nous devrions pouvoir faire de ces faiblesses une force. Quelles sont les ressources économiques de Maurice ? Des plages ensoleillées, ainsi que 1,9 million de kilomètres carrés de mer (notre zone économique exclusive). Notre deuxième ressource, c’est la population multiculturelle. Mettons-nous vraiment ces ressources à profit ? La mer et la merveilleuse nature que nous avons attire les touristes. Quid de la pêche, qui reste un parent pauvre de notre économie ? La pêche hauturière manque de finances et de formation.
■ Y a-t-il des formations pour les divers métiers ?
Nous avons besoin de tout le monde pour faire rouler notre économie. N’est-il pas navrant que nous devions faire appel à des étrangers à divers niveaux : management ou menus travaux ? Ce sont des questions qu’il faut se poser, surtout dans le contexte du chômage des jeunes.
■ Quels sont les défis à relever à court terme ?
Que le gouvernement fasse une utilisation judicieuse de chaque roupie perçue de la taxe et mène une lutte sans merci contre le gaspillage et la corruption. Et que tout cela se traduise par une bonne gestion de la dette publique.
Par rapport à l’économie en général, un effort particulier est nécessaire pour faciliter et encourager la mise en place des projets, afin que soient réalisés des investissements aussi bien par les Mauriciens que les étrangers. De manière plus spécifique, je souhaite un nouveau souffle pour le secteur agricole. Il n’y a plus de place pour l’agriculture de grand-père. Il faut une agriculture moderne, dans laquelle évoluent des personnes formées dans les divers métiers qui y sont associés.
«Que le gouvernement fasse une utilisation judicieuse de chaque roupie perçue de la taxe et mène une lutte sans merci contre le gaspillage et la corruption. Et que tout cela se traduise par une bonne gestion de la dette publique.»
■ Et à moyen et long termes ?
À moyen et long termes, l’accent doit être mis sur l’entrepreneuriat et l’innovation. Il faut renverser cette tendance consistant à ne rechercher qu’un emploi salarié. Il faut que le gouvernement mette en place des structures pour aider les jeunes à entreprendre, innover et se former à des métiers nouveaux.
Un autre défi à long terme, c’est l’éducation civique. Celle-ci doit commencer à l’école. Nous, Mauriciens, sommes trop souvent des trianger. On cherche son profit au détriment des autres. Je me rends compte de plus en plus que notre économie n’atteindra pas le pallier de hauts revenus, comme le souhaite notre gouvernement, tant que le Mauricien restera indiscipliné et agira de manière égocentrique.
Il y a deux autres défis. L’état de nos villes n’est pas beau à voir, surtout quand on les compare aux beaux hôtels et nouvelles résidences ERS. Il me semble que la gestion de nos villes doit être revue. Il serait souhaitable qu’une taxe soit imposée sur les bâtiments inoccupés. De même, une taxe devrait être imposée sur les terres abandonnées ou en friche en dehors des villes. Le capital inutilisé est au détriment de l’économie.
Et finalement, la démo-graphie. L’une des rares ressources, c’est la population. Or, les naissances sont en baisse et le nombre de vieux augmente. Qui va constituer la force de travail ? Nous avons un choix à faire. Pour ma part, je pense que le gouvernement doit avoir un plan démographique favorisant la fertilité, notamment en accordant de plus longs congés de maternité, car autrement, dans les années à venir, nous devrons avoir recours à l’immigration avec les risques que cela comporte. Les pays européens souffrant de déficience démographique et accueillant de plus en plus d’immigrants en sont des exemples.
■ Quelles devaient être la priorité des priorités du Premier ministre et ministre des Finances dans le Budget qu’il présentera ce jeudi ?
Un budget où le déficit budgétaire sera maîtrisé. C’est-à-dire, où les dépenses de fonctionnement seront raisonnables et où une place importante sera accordée aux dépenses d’investissement pour l’amélioration des infrastructures. Il serait aussi souhaitable que le ministre se penche sur la question de la pension et qu’il ait le courage de revoir la pension universelle à 60 ans. Celle-ci deviendra de plus en plus onéreuse pour les finances budgétaires. Par contre, il est souhaitable que des mesures soient prises pour aider les familles en difficulté dans les cités et les villages côtiers. Je me réfère au plan Marshall, dont on voudrait savoir ce qui a réalisé jusqu’ici ? Dans ce contexte, je souhaite – mais il est probable que je rêve – que le ministre des Finances revienne sur sa décision de l’année dernière de nationaliser le plan de Corporate Social Responsibility. Aurait-il le courage de permettre à nouveau aux entreprises de gérer à 100 % leurs contributions aux oganisations non gouvernementales ?
■ Pravind Jugnauth dispose-t-il d’une bonne marge de manœuvre ?
C’est une question qui est posée chaque année. Par définition, établir un budget veut dire qu’on ne peut pas tout faire et qu’il faut savoir établir ses priorités.
■ Le vieillissement de la population est-il un handicap pour lui ?
La baisse de fertilité fait que le bas de la pyramide se rapetisse et le vieillissement de la population fait que le haut de la pyramide s’élargit. Il y a donc des conséquences budgétaires. Il faut payer les hausses de la pension plus longtemps. Il y a aussi les soins médicaux et les maisons de retraite pour les personnes âgées. Si l’on ne se projette pas dans l’avenir et qu’une politique démographique n’est pas rapidement définie, les dépenses budgétaires seront de plus en plus alourdies par les pensions. Cela, avec de forts risques d’une augmentation des taxes. Une telle situation pourrait engendrer des conflits intergénérationnels. Les contribuables, qui constituent la force de travail, se voyant davantage pénalisés en payant pour les pensions des personnes âgées.
■ Business Mauritius souhaite une réforme fiscale. Quels devraient en être les principaux contours ?
La réforme fiscale de 2008 autour d’un taux de 15 %, aussi bien pour les entreprises que pour les individus, avait été une excellente mesure. On peut concevoir qu’après neuf ans, il faille revoir le système, compte tenu des évolutions dans le Global Business. Je ne me hasarderai pas à faire des propositions, car je ne connais pas le dossier. Toutefois, je souhaite que le principe d’un taux unique soit maintenu sinon dans tous les cas, mais certainement dans la plupart des cas. Par ailleurs, j’espère que le ministre ne se hasardera pas à augmenter le taux de la TVA.
«Avec la ligne de crédit de Rs 18 milliards, il est évident qu’une garantie doit être offerte à l’Inde. Si ce n’est pas l’État mauricien, est-ce que ce sera la SBM ?»
■ Peut-on connaître vos attentes ?
Je souhaiterais un budget démontrant une gestion efficace des finances gouvernementales. Un budget qui ouvre la voie à la promotion efficace des investissements en vue de la création d’emplois. Un budget qui annonce des mesures en faveur d’une politique démographique sérieuse. Un budget qui se soucie de notre environnement, notamment l’utilisation des terres abandonnées et le visage de nos villes. Un budget, enfin, qui ouvre la voie aux numériques à travers la formation et l’éducation pour la population toute entière. Je veux un budget équilibré, qui favorise l’économie tout en se souciant de réduire les inégalités.
■ Plus d’un ont l’impression que la présentation du budget est plus un show annuel car, sous tous les gouvernements, peu d’annonces se matériali-sent. Partagez-vous cet avis ?
Oui, je partage cette impression. À ce moment-là, c’est au citoyen de savoir exprimer son insatisfaction.
■ Pour l’année financière en cours, les revenus sont estimés à Rs 102,4 milliards alors que les dépenses dépassent les Rs 117 milliards. Ce qui résulte en un déficit budgétaire de Rs 15 milliards, représentant 3,3 % du Produit intérieur brut (PIB). Comment l’empêcher de se creuser davantage ?
À travers une gestion efficace des dépenses de fonctionnement accompagnée de dépenses d’infrastructures selon des projets bien préparés. Il faut surtout éviter des catastrophes du style Terre-Rouge-Verdun. On est toujours en train d’y refaire des travaux.
■ Faut-il forcément une hausse de la croissance économique pour la création d’emplois ?
Oui, il faut une hausse de la croissance pour la création d’emplois. Cependant, il faut savoir comment cette croissance est obtenue et de quels emplois il s’agit. Il faut avoir une croissance basée sur des dépenses d’infrastructures. Ce qui entraînera des emplois, notamment dans le domaine de la construction. Toutefois, par définition, ces emplois ne dureront pas. On se retrouvera ensuite toujours avec le problème du chômage. Prenons par exemple, les emplois qu’engendrera le Metro Express, ils ne dureront que quelques années.
Ce qu’il faut, c’est une croissance soutenable qui provient des projets dans plusieurs secteurs comme l’agriculture, la finance, le tourisme… Ces projets consistent à offrir des biens, de la marchandise ou des services pour les exporter. C’est ainsi qu’on stimulera la création d’emplois.
Notre pays est petit et nous sommes en concurrence avec les autres nations. Or, Maurice souffre d’un manque de productivité. Par productivité, j’entends une utilisation efficace de nos ressources économiques qui sont la main-d’œuvre, le capital et les ressources naturelles. Et c’est dans ce sens que je disais qu’on doit pénaliser les propriétaires de terres abandonnées, en friche et les bâtiments à l’abandon. Chaque Mauricien doit faire au mieux ce qui est attendu de lui. Et enfin, que les propriétaires de capitaux investissent au mieux les fonds dont ils disposent. C’est de cette manière que la productivité sera améliorée. Il n’y a pas de place pour le triangaz.
■ Qu’en est-il des ‘white collar jobs’ avec le nombre en croissance de jeunes diplômés ?
Il est dommage que tant de jeunes diplômés ne trouvent pas d’emploi. À qui la faute ? Nous avons un besoin d’un programme de Career’s guidance performant. D’autre part, il n’y a pas d’autres choix que d’avoir une politique qui favorise la croissance et les projets d’investissements pour créer des emplois.
■ La Chambre de commerce et d’industrie propose la baisse de la Corporate Tax comme l’une des mesures pour relancer la croissance. Êtes-vous de cet avis ?
Ce n’est pas une baisse de la Corporate Tax qu’il faut, mais davantage d’incitations fiscales à ceux qui réalisent des investissements.
■ C’est un fait que la croissance est dopée également par la consommation. Les Mauriciens ont-ils les moyens de dépenser plus ?
En principe, une hausse de la consommation peut favoriser la hausse de la croissance. Mais est-ce que c’est cela que nous voulons à Maurice ? Nous sommes une petite nation qui doit importer pratiquement tout ce dont elle ax besoin. Généralement, la relance d’une économie par la consommation est plus à la portée des grosses économies. Malheureusement, nous avons cette particularité que lorsque nous consommons davantage, cela a un impact sur notre balance commerciale et sur notre utilisation de devises étrangères, car ce faisant, nous sommes en train d’accroître nos importations. Il nous faut chercher cette croissance à travers l’investissement et la productivité.
■ La situation économique est-elle critique, avec un niveau d’endettement public de 55 % du PIB ?
Nous avons constaté durant les derniers exercices budgétaires que la dette publique a tendance à augmenter. Le niveau lui-même n’est pas encore dramatique comparé aux pays où la dette publique est à 100 % du PIB. Ce qui est dangereux, c’est la tendance de la dette publique à augmenter. Et avec le crédit de l’Inde, il y aura une hausse importante. D’où le fait qu’il faut utiliser de façon efficace ce fonds pour des projets qui créeront des emplois.
■ Le gouvernement n’a pas voulu plomber l’endettement public en passant la nouvelle ligne de crédit de Rs 18 milliards de l’Inde par une compagnie privée, la SBM Infrastructure Development Ltd. Est-ce un subterfuge qui aura des conséquences ou une pratique acceptable ?
Je note que les fonds obtenus de l’Inde seront prêtés à une compagnie nouvellement créée et qui ne possède rien. Le gouvernement indien est-il devenu à ce point généreux qu’il prête Rs 18 milliards à une telle compagnie ? Il est évident qu’une garantie doit être offerte à l’Inde. Si ce n’est pas l’État mauricien, est-ce que ce sera la SBM ? Si c’est le gouvernement mauricien, cela sera compté au titre d’un accroissement de la dette publique. Si c’est la SBM, a-t-on considéré le fait que c’est une banque cotée à la Bourse de Port-Louis et que les actionnaires devraient avoir leurs mots à dire ?
■ Maurice est-il condamné à s’endetter ?
Certainement pas. Le niveau de l’endettement dépendra de notre manière d’agir. Il n’y a rien de mauvais à s’endetter pour des développements. Il faut simplement que le fonds obtenu soit utilisé à bon escient.
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