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Patrimoine national : les voleurs de pierres dépouillent l’histoire

Si le vol de pierres taillées gagne du terrain dans le pays, cependant aucun cas n'est rapporté à la police.
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Les pierres taillées qui façonnent certains sites historiques sont pillées et ensuite vendues. Les voleurs feraient irruption sur les sites à la tombée de la nuit et ce sont des entrepreneurs qui commercialiseraient ensuite les pierres en douce, à partir de Rs 150 jusqu’à Rs 5 000 la pièce.

Un trafic de pierres taillées, provenant des lieux historiques, se déroule dans le pays depuis plusieurs années. Acheteurs attitrés, camionneurs, entrepreneurs, artisans (mason ros) et revendeurs sont tous au courant de ce trafic. Si certains se taisent, d’autres avancent qu’ils sont souvent appelés à en acheter ou à agir comme intermédiaires pour la commercialisation des pierres volées. 

Si le vol de pierres taillées gagne du terrain dans le pays, cependant aucun cas n’est rapporté à la police. Des hauts gradés du Central Criminal Investigation Department (CCID) explique que « ce vol peu particulier se déroule dans le Nord, l’Est et l'Ouest du pays ». Les pilleurs, ajoute notre interlocuteur, emploient une ruse propre à eux.

« Les pierres ne sont pas volées tout de suite. Les voleurs ont tendance à surveiller les allées et venues sur le site. Une fois repérées, les pierres sont extraites, mais laissées sur place, afin de ne pas éveiller des soupçons. Ce n’est que le lendemain ou quelques jours plus tard que les voleurs récupèrent les pierres dans un van ou un 4x4 vu qu’ils ne possèdent pas de camions. Afin de ne pas éveiller des soupçons, les voleurs opèrent une fois la nuit tombée. Ils ont tendance à piller de cinq à sept grosses pierres et une dizaine d’autres de taille moyenne, car pour eux, l’importance est de se faire de l’argent le plus vite et le plus facilement possible. La marchandise est ensuite proposée à des acheteurs, des camionneurs et des personnes dont les maisons sont en construction », explique une source policière. Les pierres volées ne se vendent pas par lots, mais par pièce.

Commande de propriétaires

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La majorité des commerçants vendent les pierres sans aucun document. 

Un vendeur de pierre de l’Est du pays avance que les receleurs ont pour habitude de mettre le prix fort lorsqu’ils exposent leurs marchandises. « Certains receleurs sont très rusés. Ils travaillent sur commande. Ils repèrent les maisons en construction bien à l’avance et entament les négociations avec les propriétaires. Ensuite, ils débarquent sur les sites et les pillent », poursuit notre interlocuteur. Dans certains cas, les propriétaires imposent les pierres de leurs choix. « C’est la raison pour laquelle les pierres taillées qui disparaissent des zones historiques sont de diverses tailles, coloris et textures. »

Les pierres volées ne se vendent pas par lots, mais par pièce»

C’est ce que confirme un camionneur basé dans la région de Bois-d’oiseaux. « Parfwa ena dimoun mank inpe ross kot zot pou zot fini enn miray. Zot nek deman enn sofer kamion fer travay la. Li pou amen li pou ou. C’est ainsi que certains camionneurs se retrouvent à extraire des pierres des ponts et autres lieux publics. Mais laissez-moi vous dire une chose : je ne ferai jamais cela ! », raconte-t-il.

Un autre axe redouté par la police est la possible implication de certains entrepreneurs véreux qui travaillent sur des sites du patrimoine national. Ces derniers, poursuit notre source policière, pourraient être de mèche avec des receleurs. « Tout comme il y a des pierres taillées appartenant aux sites historiques qui sont officiellement, commercialisées. Il y a aussi des pierres qui disparaissent sur des chantiers comme par enchantement. À ce jour, nous ne savons toujours pas comment elles disparaissent. C’est la raison pour laquelle nous redoutons une possible implication entrepreneurs-receleurs dans le vol des pierres sur les sites de construction. Si tel n’est pas le cas, comment les receleurs sauront-ils quand et surtout comment faire irruption sur les chantiers en construction ? », fait observer la source policière. 

Des vendeurs de pierres dans les régions de Mare-d’Australia, Brisée-Verdière et Lallmatie sont unanimes. Ils estiment que la commercialisation des pierres taillées doit dorénavant se faire accompagnée d’un papier de vente, afin de lutter contre le trafic qui perdure depuis dès années dans le pays. 

« Seul un papier de vente attestant l’origine des pierres, leurs catégories, les noms du vendeur et de l’acheteur, peut freiner ce commerce illégal qui se déroule au grand jour », proposent-ils. 

Valeur du jour, la livraison d’un papier de vente ou d’un reçu est une pratique courante auprès de certains vendeurs de pierres. Mais la majorité des commerçants vendent les pierres sans aucun document. Des pierres volées, poursuivent nos interlocuteurs, peuvent avoir été mélangées à celles qui ont été achetées sur des établissements sucriers et toute la cargaison est automatiquement blanchie.

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Les receleurs entament les négociations avec les propriétaires bien en avance, ensuite ils débarquent sur les sites et les pillent.

Des peines sévères

Il est prévu dans la National Heritage Fund Act de 2003 que toute personne qui « modifie, endommage, détruit, défigure, déterre, bouge, change, couvre, déplace ou défigure un héritage national », commet une offense. Le contrevenant risque une amende de Rs 100 000 et une peine de prison de deux ans. Mais cela concerne uniquement la dégradation des sites qui sont classés patrimoine national.

Le Code criminel intervient pour les autres biens publics, qu’ils soient des trottoirs, des bâtiments voire des panneaux indicatifs. Une amende pouvant aller jusqu’à Rs 100 000 et une peine maximale de vingt ans de prison sont prévues.


Pourquoi les pierres taillées sont-elles prisées ?

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Les voleurs ont tendance à piller de 5 à 7 grosses pierres et une dizaine d'autres de taille moyenne, car l'importance est de se faire de l'argent le plus et le plus facilement possible.

Les pierres taillées sont très appréciées par les Mauriciens en raison de leurs textures. Si certains sont friands des clôtures en pierres qui s’étendent sur plusieurs dizaines de mètres, d’autres préfèrent réaliser des pavages. Un artisan spécialisé dans la pose des pierres a été approché. Selon notre interlocuteur, le montant de la main-d’œuvre varie uniquement en fonction de la zone et de la superficie de la pose. Une surface de 1 m2 en pierres taillées peut varier entre Rs 3 000 et Rs 4 000. « Il y a deux types de pierres taillées. Il y a celles qui sont grossières et de divers coloris qu’on utilise pour les murs et la réalisation de clôtures et celles qui sont plus fines, provenant de vieux bâtiments communément appelées 'ross demolition', sont utilisées pour le pavage », fait ressortir l’artisan.


Trafic : quand les vieilles pierres valent leur pesant d’or

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Le commerce des vieilles pierres taillées est juteux, très juteux... au point où certains se sont spécialisés dans ce trafic. La valeur d'une pierre peut aller jusqu'à Rs 5 000.

« C’est une catastrophe ! Un drame ! », s’exclame Thierry Le Breton, président de l’association SOS Patrimoine en péril, quand on lui parle du phénomène de vol de vieilles pierres taillées datant de l’époque coloniale. « C’est un business constant qui ne ralentit nullement », déplore-t-il. Et le commerce est juteux, très juteux. Au point où certains se sont spécialisés dans ce trafic.

Lundi dernier, à l’Assemblée nationale, à l’ajournement, le député du Mouvement militant mauricien (MMM), Aadil Ameer Meea, a tiré la sonnette d’alarme. Le patrimoine national est en train d’être pillé. À la demande du Premier ministre, Pravind Jugnauth, le député de l’opposition compile une liste de sites qui, à sa connaissance, ont récemment fait les frais des pilleurs.

« Le sujet dépasse la politique. À Port-Louis, les vieilles pierres, datant de l’ère coloniale, sont pillées un peu partout. Ce n’est pas quelque chose de récent, mais cela s’accentue. Les voleurs ne se soucient pas de leur valeur historique. Ce qui compte pour eux, c’est de se faire de l’argent rapidement », dénonce Aadil Ameer Meea.

La valeur d’une pierre peut aller jusqu’à Rs 5 000 pour les plus belles pièces, selon les personnes interrogées par Le Défi Plus. Selon le député, « avec un peu d’efforts, la police peut facilement mettre la main sur ces voleurs ». Car, ceux-ci seraient facilement retraçables. Notamment en passant par les propriétaires de « yards » et plus particulièrement ceux qui se sont spécialisés par la vente de pierres de démolition. 

Selon Thierry Le Breton, « les ventes se font au noir, dans le dos de la Mauritius Revenue Authority. Non seulement ce trafic détruit le patrimoine et la valeur historique du pays, mais en plus cela représente une perte sèche pour l’économie ».

Degradation du patrimoine national

De plus, « une pierre seule ne vaut plus rien. Elle n’a qu’un usage décoratif. Alors qu’un édifice contribue à l’attractivité du pays et a un impact sur le tourisme », ajoute le président de SOS Patrimoine en péril. Au National Heritage Fund, on constate le problème. « Un business s’est effectivement formé autour du vol de vieilles pierres, etc. Selon nous, il n’y a pas beaucoup de personnes dans ce commerce. Il s’agit d’une poignée de personnes qui revendent ensuite ces pierres », confie un responsable de ce corps parapublic.
Plusieurs monuments inscrits sur la liste du patrimoine national ont ainsi été dégradés. Il y a trois ans, le pont historique de Bain-des-Négresses a été démantelé en partie. La Batterie Dumas, à Port-Louis, a quasiment disparu. Il ne reste plus grand chose du moulin à poudre de Pamplemousses qui servait à préparer de la poudre à canon au 18e siècle.

« Ce moulin à poudre est un des plus grands sites industriels jamais construits par les Français. Il avait une valeur colossale. Aujourd’hui, il ne reste plus que quelques ruines », constate Thierry Le Breton. Hormis les trois bâtiments qui ont servi un temps comme léproserie, le site a été considérablement dégradé.

Les autorités confessent une certaine impuissance. « Nous avons déjà fait des descentes, avec la police, dans des chantiers où ils vendent des pierres taillées, mais les pierres provenant des sites inscrits sur la liste du patrimoine national sont mélangées à d’autres pierres. Il devient impossible de les identifier », fait remarquer un responsable du National Heritage Fund.


Avinash Teeluck, ministre des Arts et du Patrimoine : «C'est un crime de voler de patrimoine»

« Nous sommes très vigilants par rapport à ce phénomène », souligne Avinash Teeluck, ministre des Arts et du Patrimoine. « Voler le patrimoine est un crime », ajoute-t-il. « S’il faut une loi spécifique sur la question, nous le ferons », envisage-t-il. Il est important aujourd’hui de redonner de la valeur au patrimoine. « Nous sommes déjà en train de travailler sur une stratégie pour revaloriser notre histoire. On prend cela très au sérieux. Cela comprendra notamment une réactualisation des sites classés patrimoine national. » La sensibilisation a son importance dans le combat contre le vol de vieilles pierres. Avinash Teeluck explique que la nouvelle stratégie vise à « reconnecter les Mauriciens avec leur patrimoine et de créer un lien sentimental avec les sites historiques ».

 

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