La célébration de Noël à Maurice évolue sous l’influence croissante de la mondialisation. Entre adoption de pratiques culturelles variées, transformations familiales et avancées technologiques, l’esprit de Noël résiste tout en s’adaptant aux dynamiques contemporaines. Mais attention à ne pas faire de laissés-pour-compte.
Quelles que soient les traditions et pratiques à la fois religieuses et laïques observées, Noël est la fête la plus universelle au monde. Faire plaisir à un enfant est probablement la première priorité de tout parent, soutient le Dr Oomandra Nath Varma, sociologue, qui évoque son enfance et l’attente du matin de Noël. « Les coutumes populaires d’aujourd’hui incluent l’échange de cadeaux, la décoration des arbres de Noël, la fréquentation de l’église, le partage de repas avec la famille et les amis et, bien sûr, l’arrivée du Père Noël », dit-il.
Remontant le fil du temps, le sociologue explique que lorsque Oliver Cromwell prit le contrôle de l’Angleterre en 1645, il jura de débarrasser l’Angleterre de la décadence, y compris à Noël. À la demande générale, Charles II fut rétabli sur le trône et, avec lui, le retour de la fête populaire. Aux États-Unis, après la Révolution américaine, les coutumes anglaises sont tombées en disgrâce, y compris Noël. En fait, Noël n’a été déclaré jour férié fédéral que le 26 juin 1870.
L’image emblématique du Père Noël a traversé les décennies, poursuit le sociologue. La version emblématique du Père Noël en homme joyeux en rouge avec une barbe blanche et un sac de jouets a été immortalisée en 1881, lorsque le caricaturiste politique Thomas Nast s’est inspiré du poème de Moore pour créer l’image du vieux Saint Nick que nous connaissons aujourd’hui, dit-il.
Avec le temps, Noël est devenu une fête familiale pour l’unité. « Après 1800, la famille devenait également moins disciplinaire et plus sensible aux besoins émotionnels des enfants. Aujourd’hui, nous sommes conscients qu’il est très important de répondre aux besoins émotionnels des enfants pour les garder heureux et en bonne santé. »
Noël, fait remarquer Oomandra Nath Varma, a une qualité unique : celle de rassembler les gens. Même si Maurice est un pays très diversifié en termes de culture et de traditions, les célébrations de Noël ont gardé leur importance. « Il n’a jamais été question d’ignorer Noël comme période de joie et de bonheur. Il s’agit probablement d’une fête qui rassemble tous les segments de la population. Chaque personne a une raison différente de célébrer, mais la fin reste la même. Lorsque cela se produit dans un pays aussi diversifié que le nôtre, où des personnes de confessions différentes s’engagent, c’est véritablement une démonstration d’unité », souligne le sociologue.
Nouvelles façons de faire
Cette unité, à Noël, change l’ambiance du pays. « Nous souhaiterions que cette ambiance demeure tout au long de l’année », ajoute-t-il. « C’est une fête qui rassemble les membres de la famille, petits et grands. C’est une manière de réaffirmer les liens familiaux pour beaucoup. À Maurice, nous avons aussi la nouvelle année qui renforce les liens au-delà du foyer, mais cela commence dès le jour de Noël. »
Néanmoins, il reconnaît que ces célébrations ont connu une évolution. Notamment « avec de nouvelles attractions, de nouvelles opportunités en dehors de la famille immédiate ». Selon le Dr Oomandra Nath Varma, « de plus en plus de personnes profitent des divertissements et des loisirs en dehors de la maison. Si pour certains il s’agit d’une affaire de famille, notamment pour ceux qui célèbrent les aspects religieux de Noël, pour beaucoup c’est une période de festivités sans rapport avec la connotation religieuse ». Il n’en demeure pas moins que nous connaissons tous au moins un chant de Noël, et que nous nous souhaitons tous un joyeux Noël.
Ce qui séduit les gens aujourd’hui est différent du passé, poursuit le sociologue. « Le changement apporte de nouvelles façons de faire qui profitent à un certain nombre de personnes. Chaque nouvelle génération se démarque des anciennes à certains égards. Nous ne pouvons pas nous attendre à ce que Noël soit le même. Mais ce qui n’a pas changé, c’est la joie, l’unité, le partage et le sentiment d’être aimé. »
La tradition
La mondialisation a également eu un effet important sur les festivités de Noël à Maurice, observe le sociologue. « Nous sommes probablement désormais plus exposés à ce qui se passe ailleurs et nous disposons de nouvelles façons de célébrer grâce à l’exposition aux célébrations dans d’autres sociétés. »
Cette période de festivités stimule également la consommation. « Les fortes campagnes de publicité pour acheter plus et profiter de nouveaux loisirs ont un impact. La tradition d’offrir des cadeaux à ses proches est très forte à Maurice. De telles attentes perdureront. »
D’un point de vue purement économique, cette période génère également des affaires, du travail et une vie meilleure pour des milliers de personnes, commente le Dr Oomandra Nath Varma. « Si Noël apporte de meilleures affaires et aide l’économie à générer plus de prospérité, c’est sans aucun doute une bonne chose. Mais c’est à chacun d’être prudent, en fonction de ses moyens et dans la limite du tolérable. »
Ceci dit, confie-t-il, souhaiter un joyeux Noël du fond du cœur ne coûte rien, mais apporte beaucoup de plaisir.
Rosemay Louise, 66 ans
« Le 25 décembre ne se résume pas aux échanges de cadeaux »
« Les fêtes de Noël ne sont plus comme autrefois. Auparavant, c’était davantage des célébrations familiales et la messe de minuit était une coutume bien ancrée dans la famille », dit Rosemay Louise. « Nous passons aujourd’hui à côté de l’essentiel et accordons beaucoup d’importance aux choses matérielles », regrette la responsable du groupe 3ème âge Amitié Icery de Curepipe.
Si au sein de sa famille, la coutume de participer à la messe du réveillon conserve son importance, elle observe que cette tradition semble s’effacer progressivement. « J’ai grandi dans cette habitude d’aller à la messe. Je l’ai transmise à mes enfants et petits-enfants et nous perpétuons la tradition », confie-t-elle.
Ainsi, pour elle, il n’y a pas de célébration de Noël sans messe ni sans vivre le temps de l’Avent. « Notre maman nous a enseigné que Noël, c’est avant tout la naissance de Jésus, le sauveur de l’humanité. Dès la première semaine du temps de l’Avent, la maison est préparée avec la couronne sur laquelle nous plaçons une bougie de couleur différente chaque semaine, autour de laquelle la famille se réunit pour méditer sur l’évangile de chaque dimanche de l’Avent », explique-t-elle.
Rosemay Louise est catégorique : toute chose demande une préparation. « Comme on a des préparatifs pour célébrer son anniversaire, il faut aussi se préparer pour célébrer la commémoration de la naissance de Jésus », souligne-t-elle. De ce fait, elle trouve dommage que ce temps de l’Avent soit négligé.
De plus, selon la responsable du groupe 3ème âge Amitié Icery, installer un sapin naturel dans la maison revêt également une grande importance. « Avec le parfum que dégage le sapin naturel, cela donne une autre dimension à la fête et à toutes les décorations. Et la crèche avec les figurines symbolisant la naissance de Jésus doit impérativement être placée sous le sapin », insiste-t-elle.
Rosemay Louise fait remarquer qu’elle n’est pas issue d’une famille aisée, mais que leur richesse reposait sur les liens familiaux solides vécus durant son enfance. Ainsi, pour les fêtes de Noël, la famille se réunissait autour d’un plat de « macaroni au saumon » accompagné d’une salade. Ce repas était également partagé avec les voisins, indépendamment de leur culture.
Maurice s’est développé trop rapidement, entraînant la perte de certaines valeurs qui n’ont pas été transmises de génération en génération, souligne Rosemay Louise. Elle observe également que la magie de Noël et la visite du Père Noël semblent avoir disparu avec les enfants accompagnant les parents pour l’achat de leurs cadeaux.
Au train où vont les choses, Rosemay Louise se demande à quoi ressembleront les fêtes de Noël à l’avenir et si les traditions perdureront. Elle craint que l’aspect religieux de cette fête chrétienne ne s’effrite davantage. La responsable du groupe 3ème âge Amitié Icery espère donc que dès maintenant, l’accent sera mis sur le symbolisme de la fête de Noël et que ces valeurs seront transmises aux plus jeunes pour perpétuer la tradition.
« Je ne dis pas qu’il ne faut pas faire de grandes célébrations, mais nous devons retourner à l’essentiel et célébrer Noël avec modération, sinon dans 20 ou 30 ans, le 25 décembre ne sera plus que des échanges de cadeaux », conclut-elle.
Daniella Bastien, anthropologue : « Noël est un moment où nous retrouvons notre humanité »
La société mauricienne est souvent influencée par ce qui se passe à l’étranger. Comment la mondialisation pourrait-elle influencer les célébrations de Noël, en particulier en ce qui concerne l’adoption de pratiques et de symboles provenant de différentes cultures ?
La mondialisation n’est pas seulement économique mais aussi culturelle. Il est évident que les sociétés changent avec l’avènement de la mondialisation. D’un point de vue des rituels religieux, il est intéressant de comprendre quels sont les rituels qui ont changé avec les mutations sociétales.
Les célébrations de Noël, parce que partagées par tout le monde, indistinctement, sont sujettes à des modifications. Il en est de même pour la fête de Divali. Ainsi, nous pouvons prévoir que ces fêtes ayant une dimension transnationale seront modelées au gré des transformations économiques, culturelles et sociales.
Mais l’essence de Noël perdurera tant que l’aspect religieux est maintenu.
Comment pensez-vous que les changements culturels influenceront les rituels associés à la célébration de Noël dans les prochaines décennies ?
En ce qui me concerne, l’adoption de pratiques et de symboles provenant de différentes cultures, n’est pas une donnée valable parce que d’un point de vue de doctrine, Noël reste la célébration de la naissance du Christ. Maintenant, que d’autres y ajoutent des symboles ou de pratiques, libres à eux car l’essence et la magie de Noël sont immuables.
Dans un contexte de transformations sociales, comment les dynamiques familiales pourraient-elles affecter la manière dont les gens célèbrent Noël ?
Noël est un moment de rencontres et de partage qui rassemble les familles. Dans tous les pays où il y a une forte présence chrétienne, les valeurs associées à la fête de Noël, même si celles-ci restent traditionnelles, sont encore fortement ancrées dans ces cultures. Si l’on ne voit la famille qu’une seule fois par an, ce sera certainement pour Noël.
Nous vivons à l’ère de la technologie. Quel impact peuvent avoir les avancées technologiques sur les festivités de Noël, par exemple, l’utilisation de la réalité virtuelle ou d’autres innovations ?
Il y a certes ces cartes virtuelles que l’on envoie via WhatsApp (surtout!) à Noël. Personne ne se plaint qu’aujourd’hui l’on ne reçoit plus de cartes physiques. Donc, il ne faut pas se tracasser de l’espace que la technologie a dans nos vies, surtout concernant une période aussi festive que Noël.
Avec la frénésie des achats et autres, les fêtes de Noël ne sont plus ce qu’elles étaient, et le sens religieux de la Noël semble s’être atténué. Pensez-vous que l’importance accordée à la spiritualité et à la religion dans les célébrations de Noël évoluera davantage dans le futur ?
Comme je le disais plus haut, comme Noël est une célébration transnationale, l’aspect économique prend le dessus sur l’aspect religieux. Mais, à l’origine, cette date du 25 décembre est elle-même un construit. On ne commence à la célébrer qu’en l’an 300 AD, pour transformer le rituel de Yule (solstice d’hiver).
En quoi les célébrations de Noël pourraient-elles devenir des événements plus communautaires, encourageant la participation sociale et le soutien mutuel ?
L’esprit de Noël est vif à Maurice, célébrant la solidarité, la compassion et la générosité. Beaucoup de Mauriciens s’y attellent en collectant et distribuant des repas et des cadeaux aux plus démunis. Mais cet esprit devrait nous animer toute l’année. Les célébrations de Noël restent quand même ce moment où nous retrouvons et valorisons notre humanité.
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