Interview

Neil Pillay, avocat : «Les Britanniques ne peuvent changer les règles maintenant»

Neil Pillay

L’avocat Neil Pillay se dit étonné que les Britanniques refusent de reconnaître l’avis consultatif de la Cour internationale de justice (CIJ) sur les Chagos, alors qu’ils sont en train de forcer les députés à adopter le Brexit, qui est également un avis consultatif.

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Sur le fond, que représente l’avis de la Cour internationale de justice (CIJ) sur le dossier des Chagos ?
C’est un avis consultatif, ce n’est pas un jugement contraignant. C’est-à-dire que cela a une force morale très forte. Il y a aussi le fait que c’est un avis majoritaire à 13 contre 1, avec le seul juge de nationalité américaine a avoir voté contre. Ce qui n’est pas étonnant, compte tenu des enjeux politiques internationaux. Il engage aussi la responsabilité, non seulement des pays concernés directement par l’affaire elle-même, mais aussi ceux des pays membres des Nations unies.

Cet avis revêt-il une si grande importance pour Maurice ?
C’est le juge en chef, un Somalien, qui a pris la peine de souligner que c’est un jugement qui concerne tous les pays membres. D’où l’importance de cet avis. Donc, tous les pays membres doivent assister Maurice dans son combat et il y a aussi ceux concernés par des problématiques similaires qui nous rejoindront.

Avec cet avis de la CIJ, est-ce que les Chagossiens peuvent débarquer dans leurs îles du jour au lendemain ?
Ce litige concerne deux pays souverains, Maurice et la Grande-Bretagne. Les Chagossiens ne peuvent débarquer aux Chagos dans l’immédiat. Il y a tout un processus diplomatique qu’il nous reste à engager, avant d’espérer un jour le retour des Chagossiens sur leurs îles d’origine et voir Maurice assurer sa souveraineté sur les Chagos de manière définitive.

L’avis de la CIJ est très critique. Peut-on exiger des Américains de ‘lev pake ale’ ?
Comme je l’ai dit, Il y a tout un exercice diplomatique qui doit être fait afin de positionner Maurice comme le « propriétaire » des Chagos. Les Britanniques se déclarent et se présentent comme étant de fervents défenseurs des droits de l’homme et respectueux du Rule of Law. Donc, on leur demande d’agir selon leurs dires et de put your money where your mouth is. Les Américains sont les occupants/locataires de l’emplacement. Il nous faut assurer notre souveraineté et, ensuite ou en parallèle, discuter avec les Américains. Nous sommes donc dans une période excitante, voire cruciale et à un tournant dans l’avenir des Chagos, mais aussi pour Maurice dans la globalité des choses. 

La CIJ parle de « décolonisation » et non de « souveraineté ». Y a-t-il nuance ou n’est-ce qu’un jeu de mots ?
L’excision des Chagos est un vestige de la colonisation anglaise. L’avis de la CIJ veut achever ce dernier vestige de la colonisation. On pourrait penser que de ne pas parler de la souveraineté pourrait revenir à dire que la CIJ estimerait que la souveraineté de Maurice sur les Chagos ne se pose même pas. Je m’appuie d’ailleurs sur l’avis qui demande la fin de l’administration anglaise des Chagos dans les plus bref délais.

Est-ce que cet avis de la CIJ a une valeur légale et obligatoire pour les Britanniques ?
Cet avis a une valeur légale qui engage deux pays. On constate le vif intérêt que porte cette opinion pour d’autres pays qui revendiquent leurs droits suite à des faits similaires que les nôtres. Par exemple, Chypre, qui manifeste son intérêt, car selon ce pays, la moitié de son territoire est occupé illégalement.

Mais les Britanniques, dans un communiqué officiel, avancent que ce n’est qu’un avis, sans plus…
Ce que la CIJ a donné, c’est un avis consultatif, mais il n’est pas contraignant. Si les Britanniques refusent de s’y soumettre ? Ils ne reconnaissent pas cet avis consultatif ? Mais, dites-moi, le Brexit n’était-il pas aussi un avis consultatif ? Est-ce que l’Angleterre n’a pas dû se plier à cette consultation populaire avec toute les cascades de conséquences que nous voyons en ce moment et surtout, son isolement progressif de l’Europe et du reste du monde ? Le gouvernement britannique veut que tous les députés se plient à cet avis consultatif du Brexit, pourquoi pas celui sur les Chagos ?

La CIJ, dans son avis, exige que les Britanniques n’administrent plus les Chagos. C’est osé…
La CIJ n’a pas pris cette décision à la légère. Cela démontre toute l’importance de cet avis consultatif. C’est un avis fort et lourd de symbolisme et de sens, surtout dans ses conclusions sur la demande de la fin de l’administration anglaise.

Le verdict du Privy Council est un coup de pouce énorme pour le PM»

Les Britanniques, dans un communiqué, avancent que ce n’est qu’une opinion de la CIJ et que l’assemblée générale n’avait aucune légitimité de référer le cas des Chagos à la CIJ. Votre opinion ?
Si tel est le cas, la CIJ n’aurait, selon moi, certainement pas poursuivi ses délibérations sur la question des Britanniques, de leur souveraineté sur les Chagos. D’ailleurs, si les Britanniques ne reconnaissent pas la légitimité de cette motion, ils avaient d’autres recours. Cependant, ils sont venus devant la CIJ et ils ont défendu leur position. Ils ne peuvent pas, maintenant qu’ils ont perdu, venir changer les règles. Comme Pravind Jugnauth l’a dit, les Britanniques sont un pays ami, donc asseyons-nous et négocions et trouvons une solution à l’amiable. En sus du retour des Chagossiens sur leurs îles natales, qu’on rassure les Britanniques que leurs craintes pour la stabilité mondiale, la lutte contre le terrorisme et autres nous sont tout aussi chers. Les Britanniques savent au fond d’eux-mêmes que cette opinion de la CIJ a une valeur morale puissante, même si elle n’a pas de force contraignante.

Certains pensent qu’il faut arrêter de leurrer les Chagossiens en leur faisant croire qu’ils retourneront un jour sur leurs terres natales, surtout avec les Américains qui nous offrent l’Agoa pour notre textile…
Les Chagossiens ont un droit de retour dans leur pays d’origine. C’est un droit humain et fondamental avec, pour toile de fond, la déclaration des droits de l’homme. Votre question équivaut à jeter aux oubliettes nos principes et nos valeurs fondamentaux au profit de l’argent. Toutefois, cette question relève plus de nos décideurs politiques.

Le retour n’est pas pour demain…
Il n’est pas question de leurrer les Chagossiens. La lutte sera longue encore, avant qu’ils ne puissent rentrer chez eux. Le changement n’est, en fait, pas dur en lui-même, c’est la résistance au changement qui l’est.

Mais avec un Donald Trump aux commandes à la Maison Blanche, cela devrait être plus ardu…
Les États-Unis sont une puissance mondiale ; ils font ce qu’ils veulent, surtout sous la présente administration de Donald Trump. Francis Scott Key, un éminent avocat américain, disait : « We claim to be the land of the free because men are free here to do whatever they wish. ... We are the home of the brave, because we feel that Americans are courageous, as shown by the history of our pioneers who settled vast open lands ». D’ailleurs, ses principes de liberté et de bravoure résonnent constamment dans l’hymne nationale américain. Les menaces sur l’Agoa seraient une trahison de ces mêmes idéaux.

Et si Maurice choisit la voie facile en bradant Diego et en acceptant de n’occuper que les autres îles de l’archipel ?
La souveraineté des Chagos doit être reconnue sur l’ensemble de l’archipel. Mais c’est une question épineuse d’ordre politique. La souveraineté n’est pas divisible. Cependant, n’agissons pas comme nos ex-colons.

Il y a différentes écoles de pensée : négocier avec les États-Unis en leur demandant une location annuelle pour Diego, ou avec les Britanniques en oubliant Diego, mais en demandant de restituer les autres îles et un retour des Chagossiens ?
Cela pourrait, en effet, être une solution, tout en ayant notre souveraineté sur Diego Garcia reconnue. Mais je le redis, il y a toute une problématique humaine, mais aussi politique en jeu.

Et le jugement MedPoint, est-ce un « blessing in disguise » pour une meilleure lecture de la section 13 de la Poca ?
Je dirais surtout un blessing tout court. Il vient remettre les points sur les i et réaffirme que la charge de la preuve demeure pour la poursuite, tout en clarifiant ce qui s’apparente à participer dans un processus, et statue aussi sur la question d’intérêt personnel et de conflits d’intérêts.

L’échiquier politique va bouillonner. Votre avis ?
Sans doute ! Cela donne un énorme coup de pouce à Pravind Jugnauth, encore plus de légitimité dans son action au sein du gouvernement. à lui de ride the wave et de remettre un peu d’ordre afin de regarder sereinement venir les prochaines élections générales.

Avec les deux jugements (CIJ et Privy Council), est-ce que le PTr et Navin Ramgoolam vont pouvoir mater le MSM ?
Je ne peux répondre à cette question. Je ne suis pas politicien. Mais à mon avis, il y a toujours trop de « casseroles » qui traînent.

 

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