Milan Meetarbhan estime qu’il est important que les institutions et les individus qui seront appelés à appliquer la notion de bonne gouvernance soient crédibles et indépendants. Car le risque d’instrumentalisation politique est grand et peut faire du mal aux citoyens et à l’image du pays.
Les ministres des Finances du G20 ont approuvé le plan de l’OCDE (l’organisation pour la coopération et le développement économique) en vue d’empêcher les multinationales de s’engager dans l’évasion fiscale. Qu’en pense l’ancien Chief Executive de la FSC?
Je réagis à deux niveaux. D’abord, la position de deux ministres mauriciens sur la recommandation des ministres des Finances du G20 contraste singulièrement avec la position de nombreux pays par rapport à ce groupe restreint et anti-démocratique. Les États n’ont pas mandaté le G20 de légiférer pour la planète. Ensuite, sur le fond, les deux ministres ont dû se fier à une étude qui démontre que les pratiques et les entités visées par la démarche de l’OCDE soutenue par les ministres du G20 constituent en fait l’essentiel des activités dans le secteur du ‘global business’. Je suis sûr qu’ils ont dû se fier à une telle étude, sinon ils n’auraient pas fait de telles déclarations fracassantes. Je pense qu’ils devraient rendre publique cette étude. D’autre part, il faut éviter toute confusion entre le débat portant sur le Double Non-Taxation et celui qui concerne le Double Taxation.
Vendredi dernier, le Conseil des ministres a donné son aval pour l’introduction du Good Governance and Integrity Reporting Bill à l’Assemblée nationale. Vos commentaires?
Je ne pourrais réagir qu’après avoir pris connaissance du texte de loi. à ce stade, je dois dire qu’a priori tout ce qui peut promouvoir l’intégrité et la bonne gouvernance est positif. Les Mauriciens ont compris que les titres ronflants peuvent être trompeurs. Un cadre légal qui repose sur les normes internationales est nécessaire mais il faut aussi que les institutions et les individus qui les composent soient crédibles et indépendants. Au cas contraire, le risque d’instrumentalisation politique est grand et peut faire du mal aux citoyens et à l’image du pays.
Que voulez-vous dire par ‘instrumentalisation politique’?
Au cas où l’organisme chargé de l’application en premier lieu de mesures concernant la confiscation des biens de nos citoyens est composé de gens nommés par un ministre et que cet organisme fonctionne sous la tutelle du ministre - un politicien - ce sera totalement inacceptable.
Vous avez été notre représentant aux Nations unies de 2011 à 2015. Quelle est la place de Maurice au sein des Nations unies ?
Il faut être réaliste, la place que Maurice occupe au sein d’une telle organisation est en fonction de ses intérêts et priorités. Pour des raisons évidentes, Maurice est plus focalisé sur les questions économiques que politiques. Nous sommes surtout actifs au sein des groupes car la diplomatie multilatérale repose essentiellement sur une dynamique des groupes plutôt qu’au niveau des États individuels. Il y a des dossiers prioritaires auxquels nous portons un intérêt particulier étant donné que nous avons une petite mission par rapport aux autres pays. Il est évident donc que nous devons être sélectifs dans ce que nous faisons. Je pense que ces dernières années nous avons pu suivre de près les dossiers qui sont importants pour nous.
Quelle est votre analyse de la mission du Premier ministre à l’ONU?
Ce qui me frappe surtout, c’est la continuité de l’État. Malgré tout ce qui se passe au niveau local, il est important que Maurice maintienne la ligne adoptée sur le plan international depuis l’Indépendance. Par rapport au dossier Chagos en particulier, tous les gouvernements ont tenu le même langage, de fermeté et de détermination. La souveraineté nationale, c’est une question de dignité. Il est très intéressant de voir que Maurice parle d’une seule voix.
SAJ a déclaré qu’il est grand temps de compléter le processus de décolonisation de l’Afrique. Une phrase qui vous parle?
Effectivement. Quand j’ai commencé une campagne de lobbying sur le dossier Chagos aux états-Unis, j’ai eu l’occasion de rencontrer plusieurs ‘opinion leaders’, les membres du congrès et des ‘think-tanks’ et un des arguments que j’utilisais souvent est que le processus de décolonisation en Afrique ne sera pas complet aussi longtemps qu’une partie du territoire africain restera sous le joug colonial. Cette idée a aussi été utilisée par le PM. J’y vois là une constance. Je suis satisfait que Maurice continue d’utiliser le même discours à l’étranger sur un dossier d’intérêt national, malgré les différences politiques locales, sur un dossier aussi important.
Maurice privilégie la voie diplomatique et cela prend du temps...
Pendant une quarantaine d’années, il y a eu des discussions bilatérales entre Maurice et la Grande-Bretagne. Cela n’ayant rien donné, il y a eu une décision en 2010, après la proclamation du Marine Protected Area, d’internationaliser le dossier plutôt que de privilégier le créneau bilatéral. Et c’est là que Maurice a saisi le Tribunal d’arbitrage des Nations unies sur les droits de la mer. En même temps, on a accentué notre mobilisation au sein d’autres instances internationales afin d’obtenir leur soutien.
Quelles sont les options possibles?
Une des options immédiates est d’essayer d’obtenir une résolution de l’Assemblée générale de l’ONU demandant un avis consultatif à la cour internationale de justice. On ne peut pas avoir un recours directement contre la Grande-Bretagne parce qu’elle ne reconnaît pas la compétence de la cour sur cette question.
Un rapport évoque des options liées à un retour éventuel des Chagossiens sur leurs îles. Qu’en pensez-vous ?
La souveraineté est non négociable. Tout ce qui concerne le ‘future status’ des Chagos n’est pas négociable. Ce qu’on peut négocier avec les autres parties concernées sont les modalités concernant la réaffirmation de notre souveraineté sur les Chagos. Les dispositions de notre Constitution concernant le territoire mauricien ne permet pas la négociation avec un pays étranger sur les droits que ce pays cherche à exercer unilatéralement sur l’utilisation de notre territoire. Toute tentative d’emmener Maurice à reconnaître explicitement ou implicitement l’exercice par une puissance étrangère de droits souverains sur notre territoire, de négocier sur l’utilisation de son territoire ou les droits de son peuple est un ‘non-starter’.
Serons-nous libres d’aller aux Chagos un jour?
La liberté de mouvement sur le territoire mauricien est garantie dans la Constitution mauricienne. Lorsque Maurice retrouvera son ‘effective sovereignty’ sur les Chagos, tout Mauricien, dont ceux d’origine chagossienne, pourra exercer sa liberté constitutionnelle sur le territoire mauricien. Un accord entre Maurice et les états-Unis sur l’utilisation de Diego-Garcia comme base militaire devrait aussi prévoir les conditions d’accès sur cette île. Mais ‘subject to this agreement’, la liberté de mouvement sur les autres îles sera régie par les dispositions de notre Constitution et de la loi.
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