Constitutionnaliste et ancien représentant de Maurice auprès des Nations unies, Me Milan Meetarbhan craint qu’une solution pacifique au conflit israélo-palestinien ne soit pas trouvée de sitôt et anticipe que les événements de ces derniers jours radicaliseront davantage les positions entre pays pro-israéliens et pro-palestiniens. Il n’exclut pas que la question puisse avoir un effet sur les négociations en cours entre le Royaume-Uni et Maurice par rapport à l’archipel des Chagos.
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« Pour les petits États, la prise de position sur de grandes questions internationales relève davantage d’une question de principe et a une portée limitée »
Il y a un peu plus d’une semaine, le Hamas lançait une attaque sans précédent sur Israël. Aujourd’hui, c’est la guerre. Pensez-vous que c’est parti pour durer ?
Cela fait déjà plus de 75 ans que dure le conflit israélo-palestinien et à ce stade, il n’y que très peu d’espoir qu’une solution pacifique soit trouvée de sitôt. Au contraire, les positions de part et d’autre risquent de se radicaliser.
À mon avis, il n’y a pas vraiment de chances à l’horizon pour des négociations en vue de créer les conditions nécessaires pour que la paix règne au Moyen-Orient dans un proche avenir. En fait, je ne suis pas sûr que la volonté politique des gouvernements qui sont en mesure de contribuer à une paix durable existe réellement actuellement.
Dans un communiqué émis le 8 octobre dernier, le ministère des Affaires étrangères indique que le gouvernement mauricien est « deeply concerned » par les « attaques sans précédent perpétrées en Israël le samedi le 7 octobre ». Le gouvernement a « réitéré sa condamnation de tous les actes de terrorisme sous toutes ses formes » et a demandé à toutes les parties concernées d’éviter de prendre des actions pouvant entraîner davantage de violence. Il a aussi réaffirmé son soutien à une solution à deux États. Cette position a-t-elle toujours été adoptée par Maurice ?
Oui, je pense que c’est bien le cas. Maurice a toujours soutenu les Palestiniens à l’ONU et a voté pour l’admission de la Palestine comme état-observateur au sein des Nations unies. Maurice a toujours soutenu la « two-state solution ».
Est-ce, politiquement parlant, la bonne position à adopter ?
Pour les petits États, la prise de position sur de grandes questions internationales relève davantage d’une question de principe et a une portée limitée. Cela ne veut pas dire que les petits États ne doivent pas se prononcer sur ces questions. Mais, chaque prise de position peut influer sur les décisions qui sont prises par la suite par des blocs régionaux ou autres sur la question. Le poids de ces blocs peut être plus important que celle des petits États individuellement.
Quelles conséquences pourraient avoir ce nouvel embrasement sur le monde et par ricochet sur Maurice ?
Tout conflit peut avoir des conséquences à travers le monde, comme on l’a vu récemment avec la pénurie de certaines denrées alimentaires, telles que les céréales, sur le marché mondial en raison de la guerre en Ukraine. Cette pénurie a eu des conséquences sérieuses sur l’alimentation dans plusieurs pays pauvres.
Un conflit dans une région où se trouvent plusieurs pays producteurs de pétrole risque d’avoir des répercussions sur le prix du pétrole, car la demande s’accroît sur le marché mondial par mesure de précaution et les prix grimpent.
« Ce conflit est tellement complexe et a duré si longtemps que la reconnaissance de deux États, comme évoqué déjà dans la résolution des Nations unies en 1947, ne sera pas nécessairement suffisante pour garantir la paix »
Après la covid-19 et la guerre en Ukraine, pensez-vous que la guerre en Israël pourrait avoir des conséquences sur l’inflation ? Quelles pourraient être les conséquences pour Maurice ?
À un moment où le taux d’inflation est un souci majeur pour les autorités à travers le monde, de nouvelles menaces d’instabilité pourront effectivement avoir des incidences sur les prix. Dans une économie globalisée, tout est interconnecté et les conflits dans une région affectent tout le monde. Maurice n’est donc pas épargné.
Quelles conséquences pourraient avoir ce conflit en Israël sur les discussions entre le Royaume-Uni et Maurice par rapport à la rétrocession de l’archipel des Chagos à Maurice ? Rappelons que l’archipel abrite la base militaire américaine de Diego Garcia. Celle-ci est considérée comme étant « le fer de lance » de l’armée américaine pour la région du Proche et Moyen-Orient.
Je ne suis pas sûr, à ce stade, que le conflit au Moyen-Orient puisse avoir des conséquences sur le déroulement des négociations avec la Grande-Bretagne sur la souveraineté mauricienne sur les Chagos. Je pense que les obstacles que doivent surmonter les parties prenantes à ces négociations sont déjà suffisamment complexes. Mais comme vous le soulignez, certains éléments conservateurs pourraient invoquer les nouvelles menaces à la paix pour réclamer le statu quo par rapport aux Chagos.
Pensez-vous qu’une solution pourra être trouvée un jour pour mettre un terme à ce conflit entre Israël et la Palestine ? Qu’est-ce qui pourrait amener une paix durable ?
Depuis des années, la proposition d’une « Two-State solution », un État israélien et un État palestinien, a été considérée comme une solution possible. Ce conflit est tellement complexe et a duré si longtemps que la reconnaissance de deux États, comme évoqué déjà dans la résolution des Nations unies en 1947, ne sera pas nécessairement suffisante pour garantir la paix. Mais cette solution devra être accompagnée de garanties quant à la sécurité des deux États et le respect des frontières.
Toutefois, la création de nouveaux « settlements » juifs dans les régions sous occupation risque de rendre très difficile la délimitation des frontières entre les deux États et continuera à être une source de tension même après l’établissement des deux États.
« Ce n’est pas nécessairement un mécanisme qui doit amener un gouvernement à se montrer transparent sur une question de souveraineté. Il s’agit d’un devoir qu’imposent la décence, la culture démocratique et le respect de son peuple »
Est-ce que cette guerre peut avoir des conséquences sur le bras de fer entre la Chine et l’Inde dans l’océan Indien ?
Au cas où la situation actuelle, et notamment la prise de position américaine par rapport aux récents événements et le backlash que cela pourrait provoquer au niveau de l’opinion publique arabe, vienne brouiller davantage les cartes au Moyen-Orient, et avec de nouveaux acteurs accroissant leur influence dans la région, cela pourrait effectivement changer la donne au niveau de l’océan indien.
Quand on parle de bras de fer entre ces deux grandes puissances, on ne peut pas ne pas parler d’Agaléga. Le nouveau port et aéroport, que le gouvernement mauricien refuse d’appeler facilités militaires indiennes contrairement à la grande presse de l’Inde, sera prêt en décembre. Votre avis sur la question ?
La question d’accorder ou non des facilités militaires sur le territoire mauricien à un pays riverain de l’océan indien et celle concernant le manque de transparence des autorités mauriciennes sur ce qui se passe sur notre territoire donnent lieu à des débats différents. Même si les Mauriciens soutiennent l’octroi des facilités à un pays ami, ils peuvent s’interroger sur la véracité des déclarations publiques des autorités mauriciennes à ce sujet. Ces interrogations ne veulent pas forcément dire que les Mauriciens s’opposent à l’octroi de ces facilités, mais qu’en présence de tout ce qui a été dit dans la presse indienne et ailleurs, ils n’arrivent pas à comprendre pourquoi le gouvernement affirme le contraire.
Si Maurice, qui s’est engagé à laisser opérer la base militaire de Diego Garcia, récupère l’archipel des Chagos et si Agaléga abrite aussi des facilités militaires indiennes, est-ce que cela pourrait mettre en péril nos bonnes relations avec la Chine ?
Que ce soit par rapport à Agaléga ou les Chagos, les choses se font en absence de toute transparence. Et c’est fort dommage.
Faudrait-il un mécanisme obligeant le gouvernement à plus de transparence lorsqu’il s’agit d’affaires touchant des questions de souveraineté ?
Ce n’est pas nécessairement un mécanisme qui doit amener un gouvernement à se montrer transparent sur une question de souveraineté. Il s’agit d’un devoir qu’imposent la décence, la culture démocratique et le respect de son peuple.
L’autre grosse actualité du moment, c’est le jugement du Privy council sur les allégations de corruption électorale au n° 8 pour les élections générales de novembre 2019 formulées par le candidat travailliste battu Suren Dayal. Le jugement sera rendu ce lundi. Quelles pourraient en être les implications ?
Il ne serait pas correct de spéculer sur un jugement ou les conséquences de ce jugement avant même que le jugement ne soit rendu par le Privy Council. Je m’abstiendrai donc de tout commentaire à ce stade.
« Il faut que les pouvoirs soient mieux définis, mais également que les mesures de contrôle et d’‘accountability’ d’un Premier ministre soient clairement définies dans le cadre de la mise à jour de notre Constitution »
Est-ce que ce jugement pourrait précipiter la tenue de nouvelles élections générales ?
Comme je viens de le dire, pour des raisons d’éthique, je ne peux faire de déclaration à ce sujet avant que le jugement ne soit rendu public.
Rezistans ek Alternativ prévoit d’organiser une conférence constitution-nelle en novembre. Êtes-vous de ceux qui pensent qu’il faudrait dépoussiérer la Constitution ? Si oui, à quoi faudrait-il accorder le plus d’attention ?
On a une expérience constitutionnelle qui date de plus de 55 années. Il nous faut maintenant examiner, à la lumière de cette expérience, ce qu’il faut perfectionner dans notre régime constitutionnel. D’autre part, il y a eu une évolution importante à travers le monde sur le fonctionnement démocratique des États et la protection des droits humains. Donc, notre Constitution doit être réactualisée en tenant compte des changements intervenus au niveau mondial.
Pour ces deux raisons, internes et internationales, il est temps de revoir notre constitution et de démarrer l’exercice de la révision constitutionnelle afin que le pays puisse se donner une Constitution qui renforce notre démocratie en protégeant davantage les droits fondamentaux et corrige les lacunes ou les faiblesses dont on s’est rendu compte pendant les cinq dernières décennies.
Pensez-vous aussi que la Constitution confère trop de pouvoirs au Premier ministre ? Quels pouvoirs devraient lui être enlevés ?
Ce n’est pas forcément la Constitution qui confère autant de pouvoirs à un Premier ministre. C’est plutôt notre système politique et la qualité de notre personnel politique qui peut permettre à un Premier ministre de s’octroyer tous les pouvoirs. La culture de celui qui occupe le poste de Premier ministre contribue également à la façon dont le titulaire de ce poste se conduit.
Il faut que les pouvoirs soient mieux définis, mais également que les mesures de contrôle et d’accountability d’un Premier ministre soient clairement définies dans le cadre de la mise à jour de notre Constitution.
Rezistans ek Alternativ, ainsi que plusieurs autres partis de l’opposition non-parlementaire, souhaitent la non-application de la clause obligeant les candidats aux élections générales de déclarer leur appartenance ethnique. Est-ce que c’est légalement possible ? Et si oui, est-ce que ce serait une bonne chose de ne pas appliquer cette clause ?
La déclaration sur l’appartenance éthique est, selon la Commission électorale, requise aussi longtemps que notre Constitution prévoit la nomination de best losers. Aussi longtemps que des sièges additionnels sont allouées en fonction de sous-représentation de certaines communautés, il faut connaître l’appartenance ethnique de députés élus au suffrage universel pour la mise en application des dispositions concernant la nomination de ces best losers.
Donc, si cette analyse est correcte, il faudra d’abord décider de maintenir ou non le système de best loser avant de décider de la révocation des dispositions actuelles qui requièrent la déclaration d’appartenance ethnique de tout candidat à une élection.
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