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Me Noren Seeburn, avocat et ancien magistrat : «Le détournement de fonds publics est devenu aussi grave que le trafic de drogue à Maurice»

Dans un entretien sans détour, Me Noren Seeburn, avocat et ancien magistrat, dresse un constat sévère sur l’absence de cadre légal régissant l’action des ministres. Il revient sur les enjeux de transparence, l’affaire Renganaden Padayachy, les conflits d’intérêts et l’urgence d’adopter des lois comme la Freedom of Information Act. 

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Quelles lois encadrent le comportement d’un ministre vis-à-vis des institutions publiques ?
À côté de quelques provisions du Code criminel, il existe la Prevention of Corruption Act de 2002 (PoCA), qui traite spécifiquement de la corruption par les officiers publics en général, dans l’exercice de leurs travaux. Cette loi, qui s’applique aux institutions privées également, couvre aussi les ministres, c’est-à-dire les politiciens.

C’est quoi le délit de corruption ?
La PoCA énumère une série de circonstances qui constituent le délit de corruption. En deux mots, c’est utiliser ses fonctions pour obtenir des gains (gratifications). Parmi les « public officials », terme qu’utilise la PoCA, figurent les hommes politiques. Mais en réalité, ceux-ci ne sont pas dans la même situation. Ce qui les différencie des autres « public officials », c’est la question de recevoir une gratification pour l’exercice de leurs fonctions publiques. La loi condamne celui qui reçoit personnellement une gratification. Or comme on sait, les politiciens exercent leur influence, accordent des faveurs, entre autres, et l’argent de la corruption est souvent versé non pas à eux personnellement, mais dans la caisse du parti, c’est-à-dire, la caisse noire. Alors là, les influences exercées ou les faveurs rendues indûment dans l’exercice de leurs fonctions publiques ne rentrent pas dans la définition légale de corruption. Ainsi, ils échappent à la condamnation. Le nouvel organisateur des courses, qui avait remplacé la Mauritius Turf Club (MTC), avait versé Rs 10 millions, selon ses dires, dans la caisse du parti et non entre les mains du politicien qui lui a fait obtenir sa position. Donc, il n’y a pas techniquement d’acte de corruption selon la PoCA.

Malheureusement, il n’existe pas de loi spécifique pour encadrer les activités du politicien, c’est-à-dire le ministre. C’est là une grande lacune de notre système. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles, depuis l’indépendance, nous n’avons eu « quasiment » aucune condamnation de politiciens. L’ironie, c’est que ce sont justement les parlementaires qui votent les lois. Ils se retrouvent à gérer l’argent public, sans véritable mécanisme de contrôle.

Peut-on parler de conflit d’intérêts dans le cas de Renganaden Padayachy ? Sur quelle base ?
Je ne connais pas ce que contient le dossier des enquêteurs, mais je peux vous donner quelques principes qui s’appliquent de façon générale. L’achat des actions, suivi de la revente immédiate, pourra être considéré comme un acte de corruption s’il en découle un gain qu’il s’est approprié. Son intérêt personnel serait entré en conflit avec l’intérêt de sa fonction.

Prenons l’autre cas de l’ancien ministre. Il aurait téléphoné au gouverneur de la Banque de Maurice pour lui donner des instructions jugées irrégulières.

Or, cela aurait dû être consigné dans un procès-verbal. Toute instruction reçue dans un dossier impliquant des fonds publics doit être formalisée. Ici encore, c’est une grosse lacune qu’exploitent les ministres et nominés politiques. Rappelez-vous les affaires Molnupiravir et Pack & Blister.

La tentative de soudoyer un cadre pour Rs 5 millions relève-t-elle de la corruption active ? Que dit le droit mauricien ?
Voilà ce que dit une des provisions de la POCA : « (v) any conduct whereby a person accepts or obtains, or agrees to accept or attempts to obtain, from any person, for himself or for any other person, any gratification for inducing a public official, by corrupt or illegal means, or by the exercise of personal influence, to do or abstain from doing an act in the exercise of his duties to show favour or disfavour to any person (…) »

Dans une démocratie saine, que risque un ministre qui outrepasse ses fonctions ?
Sur le plan administratif, sa décision pourra être annulée. Mais si sa décision constitue un acte criminel sous le droit pénal ou un acte de corruption sous la PoCA, là, le ministre s’expose à la condamnation pénale prévue par le délit en question.

Qu’est-ce qu’il faut pour remédier à la question de détournement de fonds publics par les politiciens ?
On ne peut pas poursuivre quelqu’un pour une infraction donnée si la loi appropriée n’existe pas. Donc, si l’on veut en finir avec le détournement de fonds publics, il faut une loi spécifique encadrant l’action des politiciens, notamment quant à la manière dont ils exercent leurs pouvoirs et prennent leurs décisions. Le détournement de fonds publics est, à mon avis, devenu aussi grave que le trafic de drogue à Maurice. Il risque de mener le pays à la faillite. Ce sont là deux fléaux qu’il est urgent de traiter. »

La nomination de proches ou d’alliés dans des institutions sensibles est-elle une faute en soi ?
Oui, si on est à la tête d’une institution et qu’on favorise sa famille, par exemple, dans les postes ou les contrats, entre autres. Il faut légiférer non seulement pour les parlementaires, mais aussi pour les nominés politiques et les hauts fonctionnaires de l’État, car eux aussi exercent un pouvoir décisionnel. Cela devient d’autant plus indispensable qu’il n’existe aucune loi garantissant la transparence de leurs actions. 
 

 

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