Un projet utile mais dont le succès dépendra des personnes qui y sont à la tête. Tel est l’avis de l’avocat Ashok Radhakissoon, ancien président de l’ICTA, eu égard au projet Safe City. Dans l’entretien qui suit, il s’épanche sur les forces mais aussi les dangers de ces caméras dites intelligentes.
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Le projet Safe City avance à grands pas avec le lancement de son centre de contrôle, lundi. Est-ce indispensable pour la société mauricienne ?
Indispensable ? Je ne sais pas trop. Mais utile, oui. L’ampleur de l’urbanisation et les problèmes grandissants que connaissent les villes aujourd’hui nécessitent un système de gestion de données que ce soit pour le trafic routier, le tri des déchets ou le contrôle des aires de stationnement. Il faut réfléchir comment atténuer ces problèmes sur le quotidien des citoyens. Par exemple, Séoul en Corée du Sud – considérée comme étant la ville la plus connectée au monde – a su investir dans les nouvelles technologies pour aider les citoyens dans l’accomplissement des tâches quotidiennes.
Mais Maurice n’est pas Séoul…
La numérisation exige que les Smart ou Safe Cities mettent en place des infrastructures numériques ainsi que des applications – toutes connectées à des serveurs – capables d’offrir des services. Avec la présence de caméras partout, il ne faudrait pas que les problèmes restent les mêmes. À mon humble avis, le projet Safe City a sa raison d’être en anticipation de ce qui va venir après, c’est-à-dire utiliser les données collectées pour essayer de trouver des solutions aux problèmes existants.
Le Premier ministre avance que le projet aidera à combattre la criminalité. Un cas a d’ailleurs été élucidé. Est-ce une première étape vers une société plus sûre ?
Je pense qu’on doit essayer de créer cette société plus sûre. Avec la technologie qui va venir et les infrastructures qui seront mises en place, un des résultats positifs est le fait qu’il y aura, et j’hésite à utiliser le mot, une surveillance de tout ce qui se passe dans une cité ou une ville. Qu’on le veuille ou pas, ce sera ainsi. Les actions négatives, criminelles ou autres seront surveillées et cela va certainement aider à faire diminuer la criminalité à Maurice. Ce projet découragera également les personnes malintentionnées à l’égard de leurs concitoyens.
Certaines personnes craignent que ces caméras portent atteinte à leur vie privée. Votre avis ?
Jusqu’à présent, les gens vivent dans le confort que leur vie privée. Ils n’ont rien à craindre lorsqu’ils sont dans leur petite bulle privée. Mais partir de cette zone de confort et ayant en tête que toute l’infrastructure mise en place pour le projet Safe City est articulée autour de la collecte de données en vrac, il ne faudrait pas que des informations personnelles d’un citoyen atterrissent dans le domaine public sans le consentement de celui-ci. Mais je pense que les initiateurs du projet l’ont pris en compte dans le cadre de la loi.
Le danger viendra surtout au niveau de la gestion des données qui doit être faite dans le cadre de la loi.»
Le député Osman Mohamed a même évoqué au Parlement qu’une des caméras est braquée sur sa fenêtre. De quel recours dispose-t-il pour contester cela ?
Tout d’abord, c’est illégal si la caméra est braquée directement sur sa fenêtre. Quelles autres données va pouvoir récupérer cette caméra dont le champ visuel est centré uniquement sur le périmètre d’une maison privée si ce ne sont que les données personnelles de cette famille ? Dans le souci de la collecte de données, il faudrait également prendre en considération la protection des citoyens. Si cette personne pense que l’omniprésence de cette caméra porte atteinte à sa vie privée, elle pourra saisir le Data Protection Office.
Et justement, que dit la loi à ce propos ?
La Data Protection Act est claire et explicite sur ce sujet. Elle stipule que toute donnée personnelle d’une personne ne peut être divulguée ou communiquée à un tiers sans le consentement exprès et sans équivoque de celle-ci. Toute action qui vient contrevenir cette disposition de la loi est, à mon avis, punissable. Eu égard au projet Safe City, sans les garde-fous nécessaires, le risque que des données personnelles des gens atterrissent dans le domaine public est bien réel.
Où s’arrête la vie publique ?
Il faut faire la distinction entre les hommes publics et ceux qui ne le sont pas. Le domaine du droit privé des personnes publiques est plus restreint qu’il ne l’est pour le citoyen lambda. L’homme public s’expose. Il a pour vocation d’être le mandataire d’une mission publique en étant député, ministre, conseiller, etc. En toute logique, il s’explose plus et a fortiori on communique bien des choses sur sa vie privée. Mais là aussi, il y a des limites à ne pas franchir. Par exemple, on ne peut communiquer sur ce qu’il fait chez lui et sur ce qui n’a rien à voir avec sa mission d’ordre public. Concernant la vie privée des autres citoyens, il y a la loi. La Constitution nous garantit un droit à la vie privée, à notre image et à nos données personnelles.
Et où débute la vie privée d’une personne ?
Pour les personnes publiques, c’est une fois qu’elles se sont enfermées entre les quatre murs de leur maison. N’empêche que certains politiciens reçoivent des gens chez eux. Ce faisant, ils réduisent volontairement leur domaine de vie privée. Pour le citoyen lambda, c’est plus vaste. Aussi longtemps qu’il n’enfreigne pas les droits d’une autre personne, il peut jouir d’un plus grand domaine de vie privée. Et plus important encore, à l’intérieur de cette vie privée, les données personnelles de ce citoyen sont sacrosaintes. Personne n’a le droit d’y toucher sans son consentement.
Entre la lutte contre la criminalité et le respect de la vie privée, où mettre un trait ?
Je pense avant tout que c’est pour cette raison que nous avons des institutions spécialisées. Par exemple, si la police est en train de traquer un récidiviste – qui n’est pourtant pas un homme public mais qui n’est non plus pas considéré comme un citoyen normal – les caméras du projet Safe City vont grandement aider à avoir des données sur cette personne dont le comportement nuit à la société. Les systèmes de surveillance modernes et numériques demeurent l’arme idéale dans la lutte contre la criminalité. Mais de l’autre côté, il faut se demander s’il y a eu suffisamment de campagnes d’information auprès du public pour qu’il se sente partie prenante de ce projet. Au cas contraire, il aura toujours une crainte. Il ne faut en aucun cas que les citoyens ont l’impression de vivre en liberté surveillée.
Quels sont, selon vous, les avantages d’un tel projet ?
Outre la lutte contre la criminalité, si le réseau numérique est bien rodé et que nous ayons des serveurs à la pointe des dernières technologies, ce projet va grandement aider à décongestionner nos routes, à gérer le trafic aérien ainsi que le port et veiller au bon comportement des gens lors des rassemblements politiques, sportifs ou autres.
Quid des dangers de ces caméras dites intelligentes ?
Le danger viendra surtout au niveau de la gestion des données qui doit être faite dans le cadre de la loi. L’homme, l’humain, est susceptible d’avoir des écarts de conduite à tout moment. C’est pourquoi le succès du projet Safe City va dépendre grandement du choix des personnes qui seront à la tête de ces cellules où des masses de données seront stockées, archivées ou désarchivées. Durcir la loi serait un moyen de prévenir tout cas d’abus ou d’usage malintentionné des données.
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