L’ancien président du Bar Council, Me Antoine Domingue, Senior Counsel, jette un regard critique sur les explications sur les « Missie Moustass Leaks », soit des bandes sonores de conversations téléphoniques en circulation. Il demande à voir les preuves de manipulation au moyen de l’intelligence artificielle.
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Kursley ThanayLors d’un point de presse le 23 octobre 2024, le commissaire de police (CP), Anil Kumar Dip, a qualifié les « Missie Moustass Leaks » de « manipulation à travers l’usage de l’intelligence artificielle ». La police peut-elle enquêter en toute indépendance, sachant que c’est le chef de la police qui est au centre des allégations ?
Je ne crois pas qu’elle le puisse. Je veux bien accorder le bénéfice du doute au CP, mais il y a comme un flou ambiant. Il a tenu à démentir les allégations de manière générale. Je ne l’ai pas entendu, jusqu’ici, dire nommément qu’il n’a pas tenu les propos qui lui sont attribués dans les enregistrements téléphoniques.
En revanche, j’ai entendu Me Shakeel Mohamed confirmer ses propos dans une bande sonore qui a fuité et dont la voix lui a été attribuée. Cela laisse donc un doute dans mon esprit.
Les « Missie Moustass Leaks » sont inquiétantes en elles-mêmes. Elles tendent à suggérer que des officiers de police, des juges, des politiciens de la majorité et de l’opposition, des journalistes et des avocats ont été placés et sont probablement encore sur écoute téléphonique.
Comment faire pour s’assurer de l’authenticité de ces conversations téléphoniques et, le cas échéant, établir qu’il s’agit de voix manipulées ?
Il est nécessaire de recueillir un échantillon de la voix du CP et des autres protagonistes, ou de les obtenir de manière indépendante, pour ensuite procéder à l’authentification.
Toutefois, l’affaire ayant atteint la place publique, le fardeau de la preuve repose sur les épaules d’Anil Kumar Dip. Il doit prouver, à notre satisfaction, que ce sont des conversations manipulées. Aussi longtemps qu’il ne le prouve pas, il reste suspect.
Quand j’écoute certaines explications sur les fuites des bandes sonores, je me dis que certaines personnes nous prennent vraiment pour des imbéciles"
La question que je me pose est celle-ci : a-t-on saisi les portables du CP et de l’assistant CP, Dunraz Gungadin, pour enquête ? Je ne pense pas que la police ignore comment enquêter dans ce genre d’affaires. Ce n’est pas à moi d’indiquer la marche à suivre.
Maintenant que l’Independent Police Complaints Commission (IPCC) a été saisie de plaintes, à quoi peut-on s’attendre ?
Ce qui est intéressant avec l’IPCC, c’est que le public peut désormais porter plainte en ligne, en remplissant un formulaire disponible sur son site web. Il faut savoir qu’une plainte contre n’importe quel officier de police doit être acheminée vers l’IPCC, et le CP devra alors se dessaisir du dossier et l’expédier à l’IPCC dans un délai de deux jours. Cela s’applique à toute plainte contre la police. Toutefois, s’il s’avère qu’il y a des délits au niveau pénal, le Central Criminal Investigation Department (CCID) de la police devra s’en charger.
Maintenant, il y a aussi un côté disciplinaire à cette affaire. Seules la Disciplined Forces Service Commission (DFSC) et le Secretary for Home Affairs (SHA) peuvent recommander au président de la République d’entamer des procédures pour le removal du CP pour misbehaviour et sa suspension, en attendant que le Tribunal constitutionel prévu par l’article 93 de la Constitution se prononce sur son cas.
L’affaire ayant atteint la place publique, le fardeau de la preuve repose sur les épaules d’Anil Kumar Dip"
Dans le cas de l’ancien CP, feu Raj Dayal, il ne faut pas oublier qu’il a fait face à une enquête disciplinaire. Il y a donc un précédent et la DFSC peut donc, après examen du dossier, recommander au président de la République d’entamer la procédure de destitution du CP « in his own deliberate judgment ».
S’il est destitué, rien n’empêcherait le CP d’avoir recours à une demande de révision judiciaire, qui est un recours ultime.
Les écoutes téléphoniques sont bel et bien réglementées par la loi à Maurice. Dans quel cas de figure sont-elles autorisées ?
La police ou toute autre Law Enforcement Agency, telle que la Financial Crimes Commission peut demander de placer une personne sur écoute, si celle-ci fait l’objet d’une enquête pour des crimes graves, tels que le trafic de drogue, le terrorisme, le blanchiment d’argent, ou d’autres délits graves prévus par la loi.
Les écoutes téléphoniques ne peuvent être autorisées que sur ordre d’un juge de la Cour suprême pour une durée ne dépassant pas 60 jours. Celui-ci doit être satisfait que la demande est justifiée.
Les écoutes téléphoniques peuvent être autorisées sous les dispositions de l’Information and Communication Technologies Act de 2001, le Cybersecurity and Cybercrime Act et le Prevention of Terrorism Act (POTA) de 2002. Elles sont d’une durée limitée.
Raj Dayal avait été destitué de ses fonctions pour bien moins que cela"
Sur au moins trois bandes audios du fameux « Missie Moustass », il est question de conversations avec un ministre sortant et d’allégations d’ingérence contre le CP lui-même dans l’affaire concernant son fils, Chandra Prakash Dip. Ceci semblait viser à éviter à ce dernier la prison dans une affaire de fraude, dont on connaît certains aspects. Quelle est votre opinion sur cette situation ?
Raj Dayal, que j’ai représenté par le passé, avait été destitué de ses fonctions pour bien moins que cela. Le CP a lui-même déclaré avoir pris des mesures disciplinaires contre des policiers coupables de manquements à leurs devoirs. Or, je me demande ce que font la DFSC et le SHA. Ce sont les deux instances compétentes pour l’initiation de toute procédure disciplinaire à l’encontre du CP. Espérons que nous verrons plus clair dans cette affaire après le 11 novembre 2024.
La question n’est pas de savoir si la police est apolitique, mais bien si ce CP-là l’est réellement. Le CP est un poste protégé par la Constitution. Il se doit de fonctionner de manière indépendante du pouvoir politique.
Et s’il ne le fait pas ?
Écoutez, cette histoire d’institutions manipulées existe depuis longtemps. Il ne faut pas faire croire que cela ne date que de 2014. Sous le régime de Navin Ramgoolam aussi, on a entendu parler de cela. D’ailleurs, on peut se poser la question de savoir si, en 2014, cela n’a pas été sanctionné par l’électorat. Donc, ce n’est rien de nouveau. Comme le dit cette expression, « dilo swiv kanal » !
Quand j’écoute certaines explications sur les fuites des bandes sonores, je me dis que certaines personnes nous prennent vraiment pour des imbéciles ! J’ai eu l’occasion de côtoyer plusieurs politiciens, je sais de quoi ils sont capables. Il faut savoir résister à leurs appels du pied et préserver son indépendance à leur égard. C’est pourquoi le CP a été constitutionnellement « insulated from the sphere of political influence ». S’il est convaincu de misbehaviour, il sera purement et simplement removed from office, comme ce fut le cas pour feu Raj Dayal.
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