Mandat de cinq ans : le Speaker recordman des expulsions et suspensions 

Sooroojdev Phokeer quitte son poste de Speaker de l’Assemblée nationale après près de cinq ans, marquant l’histoire par un nombre record d’expulsions et de suspensions. Il a également réinterprété les Standing Orders de manière controversée. 

Si l’Histoire retiendra quelque chose de ses quasi-cinq ans comme Speaker, ce sera ses sorties virulentes et sans ambages contre l’opposition. De très loin, Sooroojdev Phokeer est le recordman local des expulsions et suspensions de députés de l’opposition. Alors que ses prédécesseurs ont utilisé ces outils de dernier recours avec énormément de parcimonie, Sooroojdev Phokeer en a fait un usage intensif. 

Parmi les deux derniers suspendus, on retrouve Joanna Bérenger, députée du Mouvement militant mauricien (MMM), suspendue le 12 juillet dernier pour trois séances, et le député travailliste Ehsan Juman qui a écopé, il y a une semaine, de six séances de suspension. 

Il laissera aussi sa marque comme un Speaker qui a réinterprété un certain nombre de Standing Orders. Le 5 juillet dernier, Sooroojdev Phokeer aura ainsi décidé de ne plus permettre aux députés de poser des questions parlementaires ayant trait aux administrations régionales, estimant que c’est plus du devoir des conseillers municipaux et de district. 

Avocat du barreau de la Honourable Society of Lincoln’s Inn, à Londres, Sooroojdev Phokeer avait été élu par la majorité à l’Assemblée nationale au poste de Speaker le 21 novembre 2019, après avoir mené campagne pour le Mouvement socialiste militant (MSM) dans les circonscriptions n°8 (Quartier-Militaire/Moka) et n°10 (Montagne-Blanche/GRSE). 

Dès le départ, sa nomination était contestée par l’opposition, notamment par Paul Bérenger. Lorsqu’il était Premier ministre, le leader du MMM avait rappelé Sooroojdev Phokeer du Caire en tant que haut-commissaire de Maurice en Égypte en 2004 à la suite d’informations troublantes à son sujet. 

Mais faisant déjà partie de la garde rapprochée de Pravind Jugnauth, il avait été nommé conseiller spécial auprès du ministère de l’Agro-Industrie jusqu’en 2005. Ce retour forcé depuis Le Caire pourrait expliquer la ligne dure adoptée par Sooroojdev Phokeer envers Paul Bérenger, voire Joanna Bérenger, qui ont été confrontés à de multiples expulsions et suspensions quand il était à la barre de l’Assemblée nationale. 

Sooroojdev Phokeer a la particularité d’avoir toujours été de couleur orange, et cela dès la création du parti par sir Anerood Jugnauth en 1983. Cette année-là, il avait d’ailleurs été élu pour la première fois président du conseil de district de Rivière-Noire. En 1991, il avait été élu membre de l’Assemblée législative en tant que troisième député de la circonscription n°14 (Savanne/Rivière-Noire) dans une alliance MSM/MMM, pour devenir Parliamentary Private Secretary en 1994. 

Ses colistiers Alan Ganoo et feu Germain Comarmond le précédaient. Aux élections générales du 20 décembre 1995, il avait cependant terminé à la cinquième position dans la circonscription n°15 (La Caverne/Phœnix). Aux élections de 2000, il n’avait pas été candidat, mais il restait régulièrement dans l’entourage direct de Pravind Jugnauth. En retrait et parlant peu, l’ancien enseignant en économie devenu avocat traînait cependant une réputation d’agent politique redoutable sur le terrain. 

En 2001, il avait été récompensé par un poste d’ambassadeur en Égypte avec accréditation auprès de plusieurs pays arabes. En 2005, il n’avait, encore une fois, pas été candidat, mais il restait actif sur le terrain. En 2010, lorsque le MSM était revenu au pouvoir en alliance avec le Parti travailliste (PTr) et le PMSD, Sooroojdev Phokeer avait été désigné représentant permanent de Maurice auprès de l’Union africaine. 

En juillet 2011, lorsque Pravind Jugnauth avait décidé de claquer la porte du gouvernement à la suite du départ forcé de Maya Hanoomanjee comme ministre de la Santé dans le sillage de l’affaire MedPoint, Sooroojdev Phokeer avait été de ceux qui quittaient aussi le navire gouvernemental alors que d’autres avaient préféré rester. 

En décembre 2014, lorsque le MSM était retourné aux manettes, Sooroojdev Phokeer était devenu ambassadeur de Maurice aux États-Unis d’Amérique avec accréditation au Brésil, au Mexique, à Trinité-et-Tobago et au Guyana, avant d’être nommé haut-commissaire de Maurice au Canada avec résidence aux États-Unis d’Amérique.

Preuve de l’appréciation que lui portent les Jugnauth, il avait été élevé au rang de Grand Officer of the Star and Key of the Indian Ocean (GOSK), seconde plus haute distinction d’État, en 2016 pour sa « contribution au développement du pays ». Après les élections de novembre 2019, Pravind Jugnauth avait décidé d’en faire le Speaker. 

Rapidement contesté pour ses méthodes qualifiées de brutales et sa tendance à être particulièrement sévère envers l’opposition, il continuait cependant d’être fortement apprécié par le Premier ministre. La preuve étant qu’en 2021, il avait été élevé au rang de Grand Commander of the Order of the Star and Key of the Indian Ocean (GCSK), plus haute distinction d’État, pour sa contribution au service public ainsi que dans les domaines politique et social. 

Certains de ses collaborateurs évoquent son côté très peu conventionnel ayant d’ailleurs mené à plusieurs démissions. Pas plus tard que vendredi dernier, Shyam Persand, ancien producteur à la Mauritius Broadcasting Corporation (MBC), a démissionné de son poste de conseiller technique à l’Assemblée nationale. En avril 2023, Safeena Lotun avait démissionné de son poste de Clerk de l’Assemblée nationale. Cependant, il faut mettre à l’actif de Sooroojdev Phokeer une modernisation conséquente du site Web de l’Assemblée nationale, devenu plus informatif et accessible au grand public.