Le ministre de l’Agro-industrie annonce que le gouvernement continuera à aider l’industrie cannière à progresser à travers de nouvelles mesures dans le Budget. D’autant plus que l’année prochaine, l’Union européenne va ouvrir le marché du sucre en abolissant le système de quota.
Quel est votre état des lieux de notre industrie cannière ?
La réforme est en marche. Avec la canne, on produit non seulement du sucre, mais aussi de l’énergie, de l’alcool et de l’éthanol. La diversification comprend également la raffinerie, en l’occurrence la transformation du sucre roux en sucre blanc. Ce qui fait que ce que nous appelions par le passé des sous-produits ont aujourd’hui toute leur importance et contribuent à la viabilité de cette industrie.
[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"19273","attributes":{"class":"media-image alignleft wp-image-33131","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"300","height":"360","alt":"Mahen Seeruttun"}}]]Comment voyez-vous l’avenir de cette industrie ?
Le filet de protection, dont nous jouissions par le passé auprès du marché européen — notamment une part de marché ainsi qu’un prix garanti — n’existe plus. Le prix du sucre a connu une baisse qui a provoqué justement cette réforme sur laquelle Maurice s’est embarquée depuis les années 2000, comprenant notamment le Voluntary Retirement Scheme (VRS), la centralisation et des projets qui se sont développés autour.
L’année prochaine, on s’attend à un autre changement important dans ce marché. L’Union européenne (UE) va ouvrir son marché à tous, sans aucun quota. Le risque que le prix du sucre chute à nouveau est bel et bien présent.
Comment peut-on contrer l’impact de ces prochains changements ?
Au niveau du ministère, nous venons avec certaines mesures de soutien destinées aux planteurs. Le but étant de leur permettre de faire face aux changements qu’on s’attend et les soutenir jusqu’à ce qu’on parvienne à redresser la situation. D’ailleurs, l’année dernière, les petits planteurs ont eu droit à une compensation de Rs 3 400 et les autres planteurs ont obtenu Rs 2 000. Nous avons revu de façon substantielle le prix de la bagasse, passant de Rs 125 à Rs 1 250, soit une hausse de plus de 1 000 %. Et dans le prochain Budget, nous allons proposer de nouvelles mesures.
Peut-on avoir une idée de ces nouvelles mesures ?
Non. Le ministre des Finances Pravind Jugnauth va les annoncer en primeur à la présentation du Budget.
Quels sont les points forts de notre industrie cannière ?
Notre point fort, c’est que nous avons su, justement, diversifier notre industrie cannière et les mesures de diversification ne s’arrêtent pas en si bon chemin. Nous avons un projet pour produire de l’énergie à partir de la paille, ce que nous appelons la biomasse. Le projet qui était au stade de recherche est désormais un projet pilote. Le blending éthanol-essence comme carburant pour les véhicules, notamment E5 et E10, est un autre projet important. Cela va dans le sens d’une économie verte, soit l’utilisation de l’énergie renouvelable. Cela occasionnera une baisse de nos importations des produits pétroliers. Il y a aussi l’aspect environnemental, car la canne empêche l’érosion et protège ainsi nos lagons. Sans oublier le landscaping.
Et nos faiblesses ?
Nous avons un coût de production assez élevé qui nous rend moins compétitifs par rapport à d’autres pays producteurs. D’où la nécessité de proposer cette reforme, afin que nous puissions rester dans la course.
Que préconisez-vous ?
L’innovation. Par exemple, présenter de nouvelles variétés de la canne et l’utilisation optimale de toutes les parties de la canne, afin de pouvoir générer des revenus additionnels. L’utilisation de fertilisants bio est aussi encouragée qui non seulement ne sont pas chers, mais offrent un meilleur rendement, soit une hausse de production. Tout cela permettra aux planteurs de persévérer dans cette industrie.
Comment s’annonce la production du sucre cette année ?
Nous estimons que cette année nous allons avoir une meilleure production que celle de l’année précédente. Le climat est favorable et tout porte à croire que le prix en sera de même. Nous estimons que le prix tournera autour de Rs 15 000 la tonne.
Khalill Elahee: les trois défis à relever
Les 3 E — énergie, équité et environnement — sont les trois défis à relever dans le secteur cannier. C’est l’opinion du Dr Khalill Elahee, spécialiste en matière énergétique à l’Université de Maurice (UoM). « Jamais sans doute depuis l’élaboration de la Multi-Annual Adaptation Strategy (MAAS) qui a conduit aux VRS et autres développements comme la cybercité et les IRS, il y a plus d’une décennie déjà, ne s’est-on retrouvé dans un moment aussi critique pour le secteur canne. Plus largement, ce qui est en jeu, c’est aussi, peut-être, les contours de notre avenir socio-économique tout court. »[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"19274","attributes":{"class":"media-image alignright wp-image-33132","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"300","height":"360","alt":"Khalill Elahee"}}]]Énergie
Le spécialiste en matière énergétique à l’UoM note qu’en 2015, à partir de la bagasse, le pays produit plus de 500 GWh, soit une hausse d’environ 10 % par rapport à 2014. La quantité de bagasse a augmenté de plus de 16 % pendant la même période. Or, la production du sucre est tombée de 400 000 à 366 000 tonnes pendant la même période. « Qu’on le veuille ou non, même avec une réduction de la superficie sous culture, le potentiel de production d’électricité propre à partir de la bagasse est toujours bien vivant. » Trois observations:- Il faut aussi compter sur la production du bioéthanol que nous exportons au lieu d’en utiliser à Maurice comme un mélange avec de l’essence sans aucune modification requise aux moteurs des véhicules sur nos routes.
- Toute la bagasse n’est pas brûlée efficacement, certaines centrales produisant presque deux fois plus d’électricité que d’autres pour chaque tonne de bagasse.
- Cela fait des années que nous parlons de résidus de la canne, les feuilles de canne surtout, qui ont une valeur énergétique qui demande à être exploitée.
Équité
L’idée a été proposée de promouvoir Maurice comme sugar hub. Est-ce-que cela implique qu’il faut faire de notre pays une plaque-tournante pour la raffinerie et la distillerie des produits de la canne venant d’ici et d’ailleurs ? « Nous en avons la capacité, mais cette idée ne peut être au détriment de la culture de la canne localement, surtout des intérêts des petits planteurs. Il faut repenser plus équitablement ce que nous donnons à ces derniers comme incitations à ne pas abandonner leurs cultures. Il faut de manière holistique les lier à des initiatives d’agriculture durable pour une meilleure sécurité alimentaire et aussi à la production d’énergie solaire, comme avec des mini-fermes photovoltaïques. L’industrie cannière peut être plus inclusive tant stratégiquement que socialement. C’est une évolution logique à partir de la MAAS qui est sollicitée aujourd’hui », répond le spécialiste en matière énergétique à l’UoM.Environnement
Même si certains refusent toujours à l’admettre, la réalité du changement climatique doit, selon le Dr Khalill Elahee, transformer nos priorités par rapport à des secteurs comme l’énergie, l’agriculture, le transport ou encore l’aménagement du territoire. « Tout est étroitement lié. C’est bien de développer de nouveaux piliers économiques, mais quid des secteurs où mondialement nous avons un ‘edge’. Nos flexi-factories à l’image d’Omnicane peuvent être reproduites en Afrique. Du point de vue environnemental, c’est une aubaine. » Mieux, en éliminant le charbon dans les centrales prétendument « bagasse-charbon », on peut, selon le Dr Khalill Elahee, développer de vraies bio-raffineries qui ne prennent et ne produisent que ce qui est en harmonie avec la nature. « Ce n’est plus un rêve, mais une opportunité économique nouvelle par rapport à une industrie, comme la canne qui fait notre histoire et notre identité. Si cela aide à protéger la planète et à promouvoir un monde plus équitable, nous n’avons pas le droit de laisser mourir l’industrie cannière. Espérons que le Budget apportera cette lueur d’espoir. »Kreepalloo Sunghoon: « L’État doit aider les petits planteurs »
L’avenir semble prometteur pour les petits planteurs dans l’industrie cannière. Mais encore faut-il que le gouvernement vienne avec des cadres légaux et créer des opportunités pour les aider à progresser dans cette nouvelle voie. Tel est l’avis de Kreepalloo Sunghoon, secrétaire de la Small Planters Association (SPA). [[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"19275","attributes":{"class":"media-image alignleft wp-image-33133","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"300","height":"360","alt":"Kreepalloo Sunghoon"}}]]Le problème des petits planteurs, explique Kreepalloo Sunghoon, est à deux niveaux. D’abord, le prix du sucre en Europe, notre principal marché, a dégringolé et l’Europe est en passe de devenir autosuffisante. Ensuite, la réforme initiée par l’Union européenne a affecté les pays producteurs ACP, notamment une baisse dans l’accès et les prix préférentiels du sucre de même que l’abolition des quotas à partir de 2017. « Si les petits planteurs ont tenté, vainement, de réduire de 20 % leur coût de production, tout en augmentant la productivité par le même pourcentage, ils se sont résolus à faire un ‘shift’ de l’industrie sucrière à l’industrie cannière, en proposant la bagasse pour la production de l’électricité et la mélasse pour l’éthanol », fait ressortir le secrétaire de la SPA. Mais Kreepalloo Sunghoon estime qu’il y a d’autres moyens de tirer profit de la canne, notamment à travers de Carbon Credit et de Landscaping. « La canne est un excellent ‘séquestrateur’ de dioxyde de carbone (CO2). Ce qui fait qu’elle aide à assainir notre atmosphère de ce gaz carbonique relâché dans l’air par certaines activités industrielles. Elle contribue aussi à l’embellissement de notre paysage qui constitue un attrait touristique pour le pays. » Et là où la plantation de la canne ne sera plus rentable, pas question d’abandonner les terres. « On peut les utiliser pour la plantation des fruits et légumes, contribuant ainsi à la volonté du gouvernement de nous rendre autonome au niveau alimentaire. On peut aussi créer une ‘Land Bank’, où seront répertoriés les terrains, dont les propriétaires ne souhaitent plus s’en occuper. On pourrait mettre ces terrains à la disposition de ceux qui souhaitent les cultiver ou faire de l’élevage, contre une certaine somme. Cela permettra aux propriétaires d’avoir une allocation », déclare le secrétaire de la SPA. Autant d’opportunités à saisir, selon Kreepalloo Sunghoon, pour rendre plus rentable cette industrie.Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !