Comme d’autres professions touchées par la Covid-19, les experts-comptables, dans une certaine mesure, ne sont pas à l’abri de la tentation de la mobilité, tandis que le « burn-out » est une préoccupation réelle au sein de ce métier. Cependant, il y a également des raisons de se rassurer, selon Madhavi Ramdin-Clark, responsable d’ACCA Maurice et des nouveaux marchés. Elle souligne que lors des examens de 2020, 2021 et 2022, la plupart des candidats mauriciens, hommes et femmes, ont été performants, certains étant même classés dans le Top 20 ou le Top 15 mondial dans divers papiers parmi des milliers de candidats.
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Après deux années de pandémie qui ont eu un impact sur le monde de l’éducation à Maurice et ailleurs, comment analysez-vous les résultats aux examens de l’ACCA de 2020 à 2022 ?
Nous avons récemment honoré les meilleurs étudiants ACCA de Maurice ayant réussi les examens des années 2020, 2021 et 2022. Cette cérémonie a été une belle occasion de saluer la persévérance de ces étudiants, surtout que ces études et examens sont de haut niveau et exigent beaucoup d’efforts, d’autant plus qu’ils ont eu lieu en grande partie durant les années marquées par les restrictions et les difficultés causées par la Covid-19.
C’est rassurant de voir que la plupart des candidats mauriciens, hommes et femmes, ont pu être à la hauteur, certains atteignant même des classements de Top 20 ou Top 15 mondial dans divers papiers sur des milliers de candidats. Cela confirme la capacité d’adaptation de nos étudiants. Le cursus de l’ACCA ne se limite d’ailleurs pas à des connaissances techniques en comptabilité. Nous développons les capacités d’analyse, de réflexion, de management, de stratégie et d’utilisation des outils informatiques à travers le contenu des cours et les examens. Cela a certainement aidé certains étudiants pendant cette période difficile.
L’ACCA avait aussi accéléré son programme de formation en ligne utilisé par les centres agréés durant la pandémie. De même pour le projet de « remote invigilation » qui permet de passer les épreuves sans avoir à se déplacer dans un centre d’évaluation. Il convient de rappeler que tous les examens de l’ACCA sont dispensés en ligne, par l’intermédiaire de centres d’évaluation autorisés.
Pensez-vous qu’il y ait une reprise économique réelle et durable à Maurice et à l’échelle internationale, qui permettrait aux nouveaux arrivants dans ce secteur d’espérer une carrière à long terme ?
Les perspectives d’emploi et de carrière grâce à la qualification ACCA et le statut d’expert-comptable ACCA ont toujours été présentes et le resteront sans doute. Les perspectives de carrière de ces nouveaux venus sont encore présentes, s’ils ont toutefois les qualités de base qui peuvent leur permettre d’évoluer même si la reprise est faible : connaissance, qualification, sens d’analyse et d’adaptation, curiosité, sens élevé de l’éthique, capacité à suivre les évolutions économiques, environnementales, sociales et technologiques qui influent sur le monde d’aujourd’hui et de demain…
En fait, le cursus et les valeurs de l’ACCA donnent l’occasion d’acquérir et de développer ces qualités chez celles et ceux qui souhaitent faire l’effort nécessaire pour cela. La qualification professionnelle de l’ACCA est équivalente à un Masters britannique et permet à ceux qui réussissent à tous ses examens de postuler par la suite pour des postes d’expert-comptable certifié par l’ACCA (Chartered Certified Accountant), aussi appelé Membre de l’ACCA, grâce à une expérience prouvée et une compréhension du respect des règles d’éthique. Cette formation ACCA et le statut de Membre ACCA sont très demandés, notamment pour les compétences et les perspectives de carrière qu’ils apportent, aussi bien localement qu’internationalement. L’offre de l’ACCA est également attrayante grâce aux possibilités d’évolution constante de connaissances et de développement de polyvalence. Ces qualités sont des atouts certains dans le monde professionnel.
(…) la plupart des candidats mauriciens, hommes et femmes, ont été performants, certains étant même classés dans le Top 20 ou le Top 15 mondial.»
La question liée aux salaires offerts, la mobilité et le « burn-out » sont les trois problématiques soulevées durant l’ACCA Talent Trends Survey. Comment le monde de l’entreprise touchée de plein fouet par la Covid-19 et le conflit en Ukraine compte-t-il traiter ces enjeux ?
Je ne peux répondre pour les entreprises, d’autant plus que chacune d’entre elles, en fonction de son secteur d’activité, sa taille, sa mission, ses objectifs et ses capacités, aura sans doute une réponse différente à ces problématiques. Je peux, toutefois, partager quelques réflexions…
L’ACCA a, en effet, réalisé une étude mondiale auprès de 8 500 comptables qui a mis en lumière, entre autres éléments, les trois que vous citez. L’inflation entraîne effectivement une pression supplémentaire et des attentes et besoins plus forts au sein du personnel, y compris pour des salaires plus élevés. Cette étude montre que l’effet de l’inflation sur le revenu net est la première préoccupation des employés, devant le bien-être physique et mental et la baisse des opportunités d’emploi à cause du ralentissement économique mondial. Ce constat est valable dans presque toutes les catégories d’entreprises et d’organisations auxquelles appartiennent les participants. N’oublions pas que la directrice générale du Fonds Monétaire International (FMI), Kristalina Georgieva a souligné en janvier dernier que l’année 2023 risque d’être économiquement plus difficile que 2022.
Dans une telle situation, il n’est pas étonnant que cette même étude relève un fort taux de stress et une crainte de « burn-out ». 88 % des plus jeunes participants au niveau mondial disent qu’ils souhaitent un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Il n’est pas surprenant que de nombreuses personnes apprécient le travail en mobilité et en mode « hybride », tandis que les employeurs sont généralement plus favorables à la présence traditionnelle au bureau. 70 % des participants au niveau mondial disent se sentir plus productifs en travaillant à distance, même si cette formule ne favorise pas le travail en équipe selon 47 % des sondés, la même proportion pensant toutefois le contraire.
Il est également intéressant de noter les chiffres suivants : à Maurice, 71 % des comptables interrogés travaillent à 100 % au bureau, tandis que 27 % adoptent un mode de travail hybride entre le bureau et la maison, et seulement 2 % travaillent totalement en télétravail. Ce constat peut éventuellement mener à une réflexion qui peut se résumer en un mot et qui a été évoquée plus tôt : adaptation. Les entreprises doivent s’adapter aux attentes actuelles et savoir déceler les tendances qui influeront encore sur ces attentes. Toute entreprise ou organisation doit être capable de s’adapter aux changements qui surviennent à court et à long terme pour assurer sa pérennité. La pandémie de Covid-19 et le conflit en Ukraine ont été deux facteurs inattendus qui ont eu des conséquences importantes à la fois en termes d’ampleur et de profondeur, dont l’impact précis reste encore à déterminer.
Pourquoi – comme vous le faites ressortir -, le mode de travail hybride a du mal à faire son chemin au sein de la profession ?
Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette tendance. La culture du travail de chaque entreprise, les habitudes opérationnelles et les procédés ainsi que les préférences des employés peuvent tous avoir une influence. D’un côté, les employés recherchent un meilleur équilibre entre leur vie professionnelle et personnelle, ce qui implique de passer moins de temps dans les transports et au bureau. Cependant, certains cherchent également une interaction sociale en face à face dans leur environnement professionnel, qui peut offrir ses propres avantages.
Des obligations opérationnelles sont aussi une réalité. Les cabinets d’experts-comptables, les firmes de conseil financier et les gestionnaires de projets d’investissement traitent souvent des informations confidentielles et qui dépassent les frontières mauriciennes. Certaines activités peuvent donc demander l’utilisation de systèmes informatiques et de moyens de communication (même internes) ultra-sécurisés, qui ne peuvent qu’être hébergés dans les locaux des entreprises. Il revient à ces entreprises d’évaluer le niveau de risque et de mettre en place les moyens et les procédures adéquates si elles veulent augmenter la proposition de travail à distance dans ce monde connecté. Dans le contexte mauricien, il y a peut-être aussi le fait que la taille du pays permet parfois de se rendre sans trop de contraintes au bureau.
Toute entreprise ou organisation doit être capable de s’adapter aux changements qui surviennent à court et à long terme pour assurer sa pérennité.»
Pourquoi les pratiquants dans la profession éprouvent-ils encore des difficultés à l’adaptation aux nouvelles technologies. Faut-il inclure cette compétence dans leur formation initiale ?
Je ne pense pas qu’ils aient des difficultés à s’adapter aux nouvelles technologies. L’étude menée par l’ACCA montre que 93 % des participants trouvent que les technologies leur permettent d’apporter plus de valeur à leur entreprise ou leur client. Cependant, forte de ce constat, une majorité souhaite être mieux formée aux technologies émergentes et sent la pression d’une évolution extrêmement rapide de ces technologies. La clé, ici encore, semble être liée à deux facteurs déjà cités : formation et adaptation.
Le rôle de l’expert-comptable est lui-même en évolution permanente. Il demande une adaptation aux changements de l’environnement légal, économique et technologique afin de continuer à apporter son efficacité. L’expert-comptable n’est pas seulement un technicien qui traite les chiffres ; la fonction d’analyse, de conseil stratégique et de proposition de solution est de plus en plus importante.
L’apparition de la Covid-19 a-t-elle rendu plus difficile la formule de poursuivre des études en comptabilité tout en travaillant, comme cela a été le cas pour de nombreux Mauriciens depuis longtemps ?
Les restrictions liées à la Covid-19 ont certainement compliqué les choses pour un grand nombre de personnes. Dans le contexte actuel, la méthode d’étude pour l’ACCA a été bénéfique pour de nombreux étudiants. En effet, le cursus ACCA est tout à fait en phase avec les besoins du monde professionnel. Il propose un contenu complet, détaillé et pointu que les étudiants peuvent suivre en mode « self learning » de manière virtuelle. L’ACCA elle-même ne donne pas de cours. Nous recommandons, toutefois, aux étudiants de suivre une formation dans des centres agréés de haut niveau. Pendant les restrictions sanitaires, plusieurs institutions avaient mis en place des formules de formation en ligne. L’ACCA elle-même avait mis en place des ajustements, en accélérant son programme de « remote invigilation » pour les examens. Il faut aussi savoir que tous les examens de l’ACCA se font sur ordinateur et en ligne sur le système mondial de l’ACCA. Les étudiants et tout l’écosystème de formation de l’ACCA se sont donc adaptés. Comme je l’ai dit plus tôt, suite à votre question, les résultats aux examens de 2020, 2021 et 2022 montrent que le niveau est resté plus que satisfaisant.
La préoccupation des jeunes et des moins jeunes qui sont attirés par l’étranger, y compris le Canada, depuis 2021, en raison de l’absence de perspectives d’emploi et de promotion à Maurice, est-elle une question importante ?
L’exode des cerveaux est une réalité à Maurice, dans de nombreux domaines. La comptabilité et les services financiers n’y échappent pas. Certains ne trouvent, en effet, peut-être pas dans notre pays les conditions sociales, culturelles, économiques et professionnelles qui répondent à leurs besoins pour s’épanouir. Les jeunes Mauriciens ont aussi, pour certains d’entre eux, un bilinguisme (anglais et français) d’un bon niveau, qui s’ajoute à leurs compétences et qui facilite leurs projets professionnels à l’international. Ce départ est leur choix, très personnel, et il revient aux parties concernées de savoir créer et maintenir les conditions qui pourraient ralentir cette tendance.
Au niveau de l’ACCA, nous voyons aussi des jeunes - et moins jeunes - dotés de notre qualification et de notre certification de membre, qui quittent Maurice pour l’Afrique, l’Europe, les États-Unis, l’Australie, l’Asie… C’est l’un des résultats des atouts qu’apporte l’ACCA, qui est une qualification internationale, présente et reconnue dans plus de 170 pays et qui est très demandée, en offrant ainsi des perspectives intéressantes au-delà des frontières pour les Mauriciens.
La rapidité de certaines évolutions peut même surprendre leurs propres inventeurs. Il n’y a qu’à voir le bond extraordinaire qu’a effectué récemment Chat GPT dans le domaine de l’intelligence artificielle des agents conversationnels.»
Comment votre profession a-t-elle vécu la période où l’ile Maurice avait été notée comme une juridiction douteuse ?
Il s’agissait certainement d’une période difficile pour les opérateurs, avec certains effets sur les activités et la pression découlant de l’incertitude pour les années à venir et pour la sortie - ou pas - des listes noires et grises. La profession comptable a été affectée par ces catégorisations de la place financière mauricienne, étant donné le rôle essentiel qu’elle joue dans l’économie, la gouvernance et la stabilité de notre pays. Nous avons donc été soulagés de la sortie de la République de Maurice de ces listes. Certains de nos membres ont d’ailleurs contribué au travail effectué pour rectifier ce qu’il fallait pour arriver à ce résultat.
N’oublions pas quand même que le pays avait connu une alerte. Celle-là a été, espérons-le, riche en leçons, y compris pour les experts-comptables, en ce qui concerne nos obligations et précautions en termes de gouvernance et de renforcement des cadres légaux et des pratiques de contrôle. L’avenir le dira.
Est-ce que la gouvernance politique d’un pays – en termes de transparence et de bonnes pratiques -, influe-t-elle sur le monde des affaires ?
La bonne gouvernance est une condition sine qua non pour la crédibilité, la fiabilité et la pérennité de toute organisation ou société - qu’elle soit un conglomérat, une PME ou une organisation gouvernementale. La gouvernance politique a idéalement pour but de répondre aux besoins de la population à travers une organisation, saine et intègre, des procédures et des moyens - y compris financiers à travers l’argent du contribuable - dont disposent les autorités. Sans transparence et sans bonnes pratiques, il est évident que cette mission ne peut être remplie, aussi bien dans la mise en œuvre directe de projets et de services au bénéfice de la population, que dans la création de conditions adéquates pour l’épanouissement des entreprises. Ces dernières sont elles-mêmes à la source de produits et services pour cette population et pour d’autres entreprises avec un effet boule de neige.
L’ACCA en tant qu’organisation a elle-même des structures et des procédures très précises et efficaces pour la gouvernance et l’audit interne. Notre mission de collaboration à la promotion et au développement de la gouvernance des entreprises et des organisations gouvernementales se réalise par divers moyens : à travers le contenu de nos cours, par l’obligation de nos étudiants et de nos membres à connaître et respecter un code d’éthique, et par notre collaboration à des projets de formation en gouvernance. À Maurice, par exemple, nous avons participé à l’organisation d’ateliers sur le nouveau Code of Corporate Governance national et sa mise en œuvre dans les secteurs public et privé.
Depuis 2020, l’ile Maurice est confrontée à la problématique de formation de compétences nouvelles liée à la transition numérique. Est-ce que cet enjeu est-il pris en compte ?
L’ACCA réalise à intervalles réguliers des études afin de déceler les tendances - économiques, sociales et technologiques - qui influenceront le monde du travail et la société en général. Ces recherches nourrissent à leur tour l’évolution du cursus de l’ACCA et donc le contenu des cours. L’ACCA s’intéresse aux sujets liés à la transition numérique croissante dans le monde professionnel, d’autant plus que les outils numériques ont déjà un impact sur le métier d’expert-comptable. Certains de ces outils remplacent une partie des opérations fastidieuses et libèrent - tant mieux - le professionnel, qui peut ainsi mieux se consacrer à des fonctions d’analyse, de conseil stratégique et de proposition de solution. Fintech, intelligence artificielle, « big data », très haut débit, sont autant de termes qu’on entend depuis quelques années et qui tissent déjà une toile qui ne fera que s’étendre et se renforcer dans les années à venir. La rapidité de certaines évolutions peut même surprendre leurs propres inventeurs. Il n’y a qu’à voir le bond extraordinaire qu’a effectué récemment Chat GPT dans le domaine de l’intelligence artificielle des agents conversationnels. Cette situation rend encore plus importante la nécessité de respecter la protection des données personnelles.
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