Depuis l’apparition de la Covid-19, le monde fait face à de nouveaux défis. Les répercussions de cette pandémie sont innombrables : peur de contracter le virus, pertes d’emplois, incertitudes quant à l’avenir économique, entre autres. Dans cette conjoncture, l’accompagnement psychosocial est vital, particulièrement pour les personnes qui vivent dans la précarité, mais a-t-il une incidence réelle ? Selon les divers témoignages recueillis par le DéfiPlus, tel semble être le cas.
Lorsqu’on est pauvre, on en éprouve de la honte. De plus, on est atteint dans sa dignité et dans l’idée qu’on a de ce qu’on vaut. Ce sentiment dévastateur du déshonneur qui accompagne la pauvreté empêche bon nombre de personnes de prendre des décisions positives, dont certaines d’entre elles pourraient améliorer leur situation face à la précarité. La solution : l’accompagnement psychosocial par des psychologues, des thérapeutes, ainsi que les travailleurs sociaux des multiples ONG qui luttent contre la pauvreté. Leur rôle est d’être là et d’écouter ces personnes blessées dans leur estime de soi. Durant chaque accompagnement, qui est différent, c’est un échange durant lequel chacun donne et reçoit. Au final, tous s’en sortent enrichis.
À Maurice, Lovebridge est l’une des ONG qui prend en considération le sentiment de honte qu’éprouvent les personnes en situation précaire. L’organisme se compose de travailleurs sociaux, de psychologues, de thérapeutes, d’une équipe d’encadrement, ainsi qu’une équipe de terrain. Lovebridge est présente dans plus de 90 localités de l’ile et soutient plus de 1 800 personnes, dont près de 1 000 enfants.
Leur méthode de Case Management, axée sur l’accompagnement psychosocial, existe depuis 2012. « Nous l’avons renforcé ces dernières années grâce aux méthodes et outils d’accompagnement que nous avons appliqués dans la lutte contre la pauvreté dans le contexte mauricien », indique Priscille Noël, Chief Serving Officer de Lovebridge. Selon elle, avec la pandémie de Covid-19, d’autres incertitudes sont venues se greffer aux défis quotidiens des personnes en précarité. « Nos équipes se mettent à la disposition des familles pour les aider à gérer au mieux ces nouveaux défis à travers l’accompagnement psychosocial », renchérit-elle.
À fin décembre 2020, voici le nombre de personnes accompagnées par Lovebridge par localité | |||||
Districts | Nombre de localités | Nombre de familles soutenues | Nombre d’adultes | Nombre d’enfants | Nombre total de bénéficiaires |
Flacq | 2 | 20 | 42 | 57 | 99 |
Grand-Port | 4 | 12 | 24 | 24 | 48 |
Moka | 10 | 37 | 63 | 83 | 146 |
Port-Louis | 14 | 72 | 106 | 207 | 313 |
Lower Plaines Wilhems | 11 | 53 | 102 | 133 | 235 |
Upper Plaines Wilhems | 18 | 49 | 65 | 82 | 147 |
Savanne | 6 | 22 | 38 | 60 | 98 |
Pamplemousses | 4 | 21 | 38 | 59 | 97 |
Rivière du Rempart | 2 | 23 | 50 | 60 | 110 |
Rivière-Noire | 9 | 30 | 50 | 83 | 133 |
Bambous | 4 | 20 | 40 | 52 | 92 |
Total | 84 | 359 | 618 | 900 | 1518 |
Témoignages
Christel (41 ans) : « Mo ti en morceaux, zordi monn ressi releve… »
C’est en 2018 que Christel, une jeune mère de famille, sombre dans la précarité. Suite au décès de son mari, elle se retrouve avec deux enfants sur les bras. Avant ce malheur, le couple avait pour projet de s’acheter une maison. Contrainte de l’abandonner, elle est partie s’installer avec ses enfants chez sa mère. Cette dernière, tellement angoissée de ne pas pouvoir subvenir aux besoins de ses enfants, elle commence à avoir des attaques de panique. Repérée par la suite par Lovebridge en 2018, elle bénéficie d’un suivi psychologique. « Mo ti en morceaux. Grass a banla zot soutien, monn ressi relever, fer mo deuil ek repran mwa en min mem si tristess la ankor la », confie-t-elle. Aujourd’hui âgée de 41 ans, Christel est financièrement autonome grâce à une petite entreprise qu’elle a montée. De plus, elle a pu acquérir un logement social.
Jenita (36 ans) : « Zordi mo ena plis confians en mwa pou pran initiativ »
Après avoir quitté son mari, les peurs de Jenita tournaient autour de la maladie chronique de sa fille et de son avenir. Ses craintes l’empêchaient d’avancer et de prendre des initiatives comme chercher du travail. Elles la taraudaient à tel point qu’elle ressentait des malaises occasionnellement. La sérénité, elle l’a trouvée en 2019, suite à l’intervention et au suivi d’une thérapeute de Lovebridge. Aujourd’hui, elle aborde l’avenir plus sereinement et arrive même à se projeter dans le futur. « Zordi mo ena plis confians en mwa pou pran initiativ », confie Jenita, qui s’est lancée dans un projet de construction pour que sa fille et elle puissent avoir un toit. De plus, elle a entamé des démarches pour lancer sa petite entreprise.
Questions à :
Sabrina Puddoo, psychologue clinicienne : « Il s’agit de soutenir de façon structurée les individus vivant en situation précaire »
Engagée dans le social depuis 18 ans en parallèle de ses consultations, la psychologue clinicienne Sabrina Puddoo a rejoint l’équipe de Lovebridge en 2015 afin d’apporter son soutien à la lutte contre la pauvreté. Directrice des Opérations pour cet ONG, elle explique dans cette édition du Défiplus, comment l’accompagnement psychosocial aide les personnes vivant dans la précarité à changer de vie, et ce de manière efficace.
Quelle est l’importance de l’accompagnement psychosocial pour les personnes vivant en situation de pauvreté ?
Avant toute chose, je pense qu’il faut comprendre ce qu’est exactement l’accompagnement psychosocial. Il s’agit de soutenir de façon structurée les individus et les familles, particulièrement dans toutes les dimensions de leur vie afin de les aider à avancer de façon pérenne. Ces dimensions, dans une approche globale de la lutte contre la pauvreté, étant l’éducation des enfants, le logement décent, l’alimentation et la nutrition, l’emploi et le revenu, la santé et le pilier psychologique.
Quel impact direct sur l’individu ?
Le fait de vivre dans un contexte de pauvreté où les besoins élémentaires ne sont pas satisfaits impacte directement le bien-être psychologique et social d’un individu. Ces difficultés socioéconomiques fragilisent considérablement l’équilibre psychologique des personnes et les enferment dans des schémas de fonctionnement inadaptés. L’accompagnement psychologique vient, en ce sens, établir cette relation d’aide et de soutien nécessaire, permettant aux familles de trouver en elles les compétences, les forces, les ressources, dont elles ont besoin pour faire face aux défis de façon constructive et efficace.
Quelles sont les méthodes d’accompagnement préconisées ?
Dans le domaine de la pauvreté, l’alliance du social et de la psychologie permet d’avancer plus rapidement et efficacement avec les familles, on parle alors d’accompagnement psychosocial. Il est basé sur l’écoute, la confiance, la bienveillance et la responsabilisation. Cet accompagnement se fait à deux niveaux.
Lesquels ?
Premièrement, il y a le niveau social. Grâce à la mise en place d’un cadre par les travailleurs sociaux, les familles vont nourrir et faire grandir leur estime de soi, leur autonomie et leur capacité à socialiser, mais aussi à développer des projets et se mettre en action. Ensuite, au niveau psychologique, avec notamment les psychologues et les thérapeutes qui vont aider ces personnes à reconnaître leur état psychologique. Ces spécialistes peuvent les aider à identifier leurs troubles et traumatismes auxquels elles font face, à comprendre leur impact sur les processus de pensées, leurs émotions, leurs comportements, et enfin, à renforcer leur résilience.
Quels sont les outils utilisés ?
Chaque famille est unique dans son histoire, son fonctionnement et ses difficultés. Les outils sont l’écoute active, le génogramme, les cartes de forces et l’entretien motivationnel, entre autres. Nous travaillons sur les besoins et spécificités de chacun. Puis, il y a aussi les orientations utilisées, comme les thérapies cognitivo-comportementales, psychodynamiques et systémiques, entre autres.
Je dirais qu’il n’y a pas de recettes toutes faites, car chaque individu est différent et chaque famille est unique. Mais dans tous les cas, la méthode de case management est structurée, participative et responsabilisante. D’ailleurs, elle se fait sur une étroite collaboration entre la famille, le travailleur social et le psychologue pour assurer une cohérence et une continuité dans la prise en charge. Cela se fait à travers les observations in situ, la formulation d’hypothèses, l’identification d’objectifs clairs et précis qu’ils soient sociaux ou thérapeutiques ou encore la mise en place d’un plan d’action et d’une évaluation régulière des progrès des individus.
En quoi ne pas se faire accompagner peut ralentir le progrès de l’individu ?
On peut avancer, mais moins vite et moins loin. Avec un accompagnement psychosocial approprié, les problématiques sont abordées en profondeur et les changements sont ancrés durablement et maintenus. Je dirais qu’un accompagnement psychosocial structuré par une équipe spécialisée permet d’éviter que les situations ne s’aggravent. D’ailleurs, nous avons constaté chez de nombreuses personnes que le progrès se fait plus rapidement dès que les problématiques sont identifiées et prises en charge. Cela concerne principalement les personnes souffrant de dépression ou celles victimes de violence et d’abus.
Parmi les nombreuses répercussions de la pandémie, on retrouve le chômage. En quoi, un soutien psychologique peut aider ?
Depuis le début la pandémie de la Covid-19, Lovebridge a renforcé sa cellule d’écoute et de soutien psychologique. Durant cette période, particulièrement anxiogène, nous maintenons nos efforts de communication auprès de nos familles bénéficiaires. Celles-ci sont particulièrement inquiètes par rapport à la situation économique et sanitaire. Nos objectifs principaux sont donc de les aider à faire face à cette nouvelle réalité afin d’aborder l’avenir de façon sereine. Nous nous assurons pareillement qu’elles continuent à avancer, surtout en cas de perte d’emploi. Nous avons aussi pensé aux enfants en les offrant un soutien psychologique pendant et juste après le confinement. Le but était de leur donner des outils pour mieux comprendre cette situation inédite et mieux gérer leur stress.
Combien de personnes ont bénéficié du soutien psychologique de Lovebridge ?
Au total pour l’année 2020, elles sont 395 personnes qui ont bénéficié des consultations individuelles avec l’équipe de psychologues et de thérapeutes de Lovebridge. Parmi, on retrouve 280 adultes et 115 enfants qui ont participé à environ près de 600 sessions. Nous avons aussi organisé et animé une trentaine d’ateliers à travers les différentes localités visant quelque 200 enfants, ainsi que des adolescents. Les thèmes abordés portaient sur l’estime de soi et la gestion des émotions.
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