Live News

Louis Clensy Appavoo, CEO & Senior Partner de HLB Mauritius : «Réduire les gaspillages, cibler les aides et améliorer l’efficacité» 

Face à l’annonce d’un exercice budgétaire qualifié d’« obligatoirement difficile » par le Premier ministre, l’expert-comptable et auditeur Louis Clensy Appavoo livre une analyse lucide des défis économiques majeurs auxquels Maurice est confronté. Entre endettement croissant, pressions sociales et nécessité de réformes structurelles, il plaide pour une gestion budgétaire plus responsable et un ciblage accru des aides sociales. 

Le Premier ministre a récemment déclaré que le prochain Budget sera « obligatoirement difficile ». Cette annonce est-elle une manœuvre pour préparer l’opinion publique à des décisions impopulaires ? 
Je pense que oui. Cette déclaration peut être interprétée comme une tactique de communication politique, destinée à préparer psychologiquement l’opinion publique à l’annonce de mesures budgétaires potentiellement impopulaires. Il s’agit là d’une stratégie classique des gouvernements : annoncer la rigueur en amont pour désamorcer les réactions négatives et justifier les arbitrages à venir par un contexte international ou financier contraint. 

Publicité

Cependant, derrière la forme, le fond révèle une réalité budgétaire préoccupante. L’État fait face à plusieurs défis simultanés : un endettement public qui avoisine 80 % du Produit intérieur brut (PIB), une masse salariale publique en constante augmentation, des engagements sociaux coûteux (Old Age Pension, transport gratuit, subventions), et une pression croissante pour maintenir le pouvoir d’achat dans un contexte inflationniste. 

Dès lors, le prochain Budget devra jongler entre des objectifs contradictoires :
• Contenir le déficit budgétaire sans freiner la croissance ; 
• Financer les promesses électorales sans creuser la dette ; 
• Maintenir les aides sociales tout en relançant les investissements publics. 

En ce sens, la déclaration du Premier ministre prépare le terrain, mais elle devra être suivie d’une pédagogie budgétaire sérieuse pour expliquer chaque décision au public, sous peine de provoquer une rupture de confiance. 

Pensez-vous que le gouvernement pourrait remettre en question certains pans de l’État-providence pour tenter de redresser les comptes publics ? Si oui, sur quels leviers pourrait-il agir ? 
Remettre en question l’État-providence est un enjeu hautement sensible à Maurice, où les acquis sociaux (pensions universelles, soins de santé gratuits, subventions scolaires et transport gratuit) font partie intégrante du contrat social depuis l’indépendance. Mais face à l’épuisement des marges budgétaires, il n’est pas exclu que le gouvernement soit contraint de revoir certains dispositifs. 

Les leviers potentiels sont les suivants :
• La rationalisation des allocations universelles 

Aujourd’hui, plusieurs prestations sont versées à l’ensemble de la population sans distinction de revenus. Par exemple : pension de vieillesse, transport gratuit pour tous les étudiants et seniors. Un ciblage basé sur les revenus permettrait de recentrer les ressources sur les plus vulnérables.

• La réforme de la pension de base 

Avec une population vieillissante, le coût de la pension universelle explose. Une indexation partielle ou une différenciation selon les contributions passées pourrait être envisagée, bien que politiquement risquée.

• L’introduction de mécanismes de co-financement dans certains secteurs 

Un ticket modérateur dans les soins de santé publics ou un plafonnement des aides au logement pourrait, par exemple, contribuer à alléger la pression sur le Budget. 

• La lutte contre les abus et la fraude sociale 

En améliorant le ciblage et en renforçant les contrôles, des économies substantielles peuvent être réalisées sans toucher aux droits réels.

Il est toutefois crucial de distinguer entre une réforme nécessaire et une régression sociale. Réduire les gaspillages, améliorer l’efficacité et cibler les aides constituent une voie responsable. Mais démanteler brutalement des protections sociales essentielles sans alternatives crédibles serait une erreur à la fois sociale et politique. 

L’alliance au pouvoir avait promis une baisse du coût de la vie. Or, l’inflation persiste et les prix continuent de grimper. Le fonds de Rs 10 milliards annoncé comme soutien au pouvoir d’achat peut-il réellement avoir un effet tangible à court terme ? 
Le fonds de Rs 10 milliards annoncé pour soutenir le pouvoir d’achat représente un signal fort sur le plan politique, mais son efficacité économique dépendra entièrement de son mode de déploiement. S’agit-il d’un fonds destiné à des transferts directs aux ménages ? À des subventions ciblées sur des biens essentiels ? Ou à un soutien aux producteurs pour limiter les hausses de prix ? À ce jour, les contours restent flous. 

Sur le fond, il faut rappeler que l’inflation actuelle à Maurice est multifactorielle : hausse des coûts d’importation, dépréciation relative de la roupie, rigidité des chaînes logistiques et dépendance à l’étranger pour de nombreux produits de base. 

Dans ce contexte, un fonds ponctuel peut certes offrir un soulagement, mais celui-ci ne sera que temporaire ; il ne s’attaquera pas aux racines du problème. Pour être efficace, ce fonds doit répondre à des impératifs clairs : ciblage, rapidité de déploiement et soutenabilité budgétaire. 

Si vous étiez aujourd’hui à la tête du ministère des Finances et qu’un ajustement des prestations sociales était inévitable, sur quels postes budgétaires ou allocations concentreriez-vous votre action en priorité ? 
Je vous ai déjà donné quelques pistes dans ma réponse à la question précédente. Dans un contexte d’ajustement budgétaire inévitable, ma priorité en tant que ministre des Finances serait d’optimiser l’efficacité de la dépense sociale, plutôt que de procéder à des coupes aveugles. 

Voici les principaux postes sur lesquels j’interviendrais : 

• Pension de vieillesse 

Ce poste représente plus de Rs 30 milliards par an et continue de croître rapidement. Je mettrais en place une pension différenciée : maintenir un socle universel de base, mais introduire un complément modulé selon les revenus et les contributions. Cela permettrait de soulager le budget tout en préservant l’équité sociale.

• Subventions aux carburants et à l’énergie 

Je privilégierais des subventions ciblées pour les petits consommateurs (ménages à faible revenu, PME), tout en réduisant progressivement les aides pour les consommateurs énergivores ou les véhicules haut de gamme.

• Transport gratuit 

Je conserverais le principe de transport gratuit pour les étudiants en éducation formelle et les bénéficiaires sociaux, mais j’introduirais un système de ticket digital avec plafond de trajets, pour réduire les abus. Les seniors plus aisés pourraient contribuer partiellement.

• Aides sociales directes 

Plutôt que de réduire les allocations, je les rendrais conditionnelles à des démarches d’insertion (formation, recherche d’emploi, participation communautaire). Cela favoriserait l’autonomie des bénéficiaires. 
• Rationalisation des programmes sociaux dispersés 

Maurice compte des dizaines de petits programmes d’aide, souvent redondants. Une centralisation sous un guichet unique permettrait d’économiser sur les frais administratifs et d’éviter les doublons. 
En résumé, il ne s’agirait pas de sabrer dans les acquis sociaux, mais d’agir avec finesse et responsabilité pour préserver les mécanismes d’entraide tout en assurant la soutenabilité des finances publiques. 

Après cinq mois de gouvernance, la rupture tant attendue avec les anciennes pratiques est-elle réelle ? Ou assiste-t-on simplement à un recyclage des méthodes d’hier sous une nouvelle étiquette ? 
Après cinq mois, le constat est nuancé. Si certains signes donnent à penser qu’un changement de ton est en cours – notamment à travers une volonté affichée de rendre des comptes, de renforcer certaines institutions comme la Financial Crimes Commission (FCC), ou de revoir certaines pratiques budgétaires –, les faits concrets ne suffisent pas encore à démontrer une véritable rupture systémique. 

Plusieurs éléments tendent à faire penser que nous sommes encore dans une phase de transition cosmétique. D’un côté, il y a des signaux positifs : l’ouverture d’enquêtes sur des figures de l’ancien gouvernement, la relance de certains chantiers économiques, des discours plus sobres sur la gestion des finances publiques et une attention accrue aux enjeux de gouvernance. De l’autre, une persistance de pratiques connues : nominations à caractère politique, absence de réforme profonde du mode de gouvernance des entreprises publiques, manque de transparence sur les grands projets d’investissement ou sur les données macroéconomiques réelles.

Le danger est que cette alternance se limite à une rotation des élites, où les mécanismes institutionnels restent intacts, les influences politiques omniprésentes, et les intérêts particuliers protégés. Ce « recyclage » des méthodes d’hier, sous une rhétorique de renouveau, peut rapidement conduire à une désillusion démocratique, en particulier chez les jeunes et les électeurs urbains plus critiques.

Comment rendre la rupture réelle ?
Il faudrait voir émerger : un engagement clair pour la méritocratie dans les nominations publiques ; une réforme en profondeur des institutions de contrôle, dotées de véritables moyens d’action et d’une indépendance reconnue ; une politique de transparence active, où les informations économiques, fiscales et budgétaires sont rendues accessibles au public ; et surtout, une volonté de rétablir l’exemplarité de l’État, en matière de probité, de neutralité et d’efficacité. 

La période actuelle est un stress-test pour la démocratie. Entre l’aspiration à plus de transparence, la fatigue des citoyens face à la corruption et les contraintes budgétaires, l’État mauricien doit choisir : poursuivre les pratiques du passé ou amorcer une refondation profonde. Cela nécessitera du courage politique, une réforme de la culture administrative et surtout, une réappropriation du bien public par les citoyens eux-mêmes. 
 

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !