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Lindsay Rivière : «Pas d’élections générales anticipées ni de municipales en vue»

Lindsay Rivière pense que Pravind Jugnauth et son gouvernement compléteront leur mandat. Il est aussi d’avis que le Premier ministre (PM) n’organisera pas non plus d’élections municipales. S’il constate « les inefficiences actuelles » du Parti travailliste (PTr), du Mouvement militant mauricien (MMM) et du Parti mauricien social-démocrate (PMSD), il estime toutefois que Nando Bodha et Sherry Singh sont des « non-starters ».  

Quelle est votre analyse des développements politiques actuels, avec les rumeurs incessantes d’élections anticipées et les jeux d’alliance interminables ? 
Je constate que presque tout, dans le débat politique actuel, n’est plus que spéculations, reposant, le plus souvent, seulement sur des éléments non vérifiables et parfois carrément fantaisistes. Chacun y va désormais de sa petite théorie. Ce qui provoque de plus en plus un certain abrutissement et un manque évident de lucidité et de réalisme. 

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La réalité, au milieu de toutes ces rumeurs, est que c’est seul le PM, de par ses privilèges constitutionnels ou parlementaires, qui détermine l’agenda politique national et le « time-table » électoral. Or, Pravind Jugnauth, pour embrouiller les esprits, ne dit rien de ses intentions et de ses plans. 

En maintenant le suspense, il tient ainsi toute la classe politique et tout l’électorat en otage. Il les laisse s’essouffler dans de vaines conjectures. Personnellement, je ne crois pas du tout que le PM songe à rappeler le pays aux urnes avec des élections anticipées. Les prochaines élections peuvent se tenir d’ici juin 2025. La probabilité est que Pravind Jugnauth, malgré les affirmations contraires de l’opposition, ira jusqu’au bout de son mandat en décembre 2024 avant de fixer le prochain rendez-vous électoral. 

De même, je ne suis pas du tout sûr qu’il ira aux élections municipales. Ce n’est pas un accident que soit évoquée, çà et là, la possibilité de nommer des Commissaires municipaux pour gérer les villes (comme du temps de la coalition SSR-Gaëtan Duval dans les années’ 70). Les conseils municipaux n’ayant pas été renouvelés depuis sept ans, une telle décision planterait le dernier clou dans le cercueil de la démocratie régionale. Mais il faut aujourd’hui s’attendre à tout. 

D’ailleurs, je pense qu’au fond, même l’opposition officielle, malgré ses revendications répétées, ne croit pas dans l’imminence d’élections municipales ou générales, au vu de l’incapacité patente du PTr, du MMM et du PMSD à organiser un grand meeting commun le 1er-Mai et au vu de leur passivité ainsi que de leurs inefficiences actuelles. Un grand meeting, à la veille de la dissolution des conseils municipaux en juin, aurait été une grande occasion de mobilisation pour la campagne électorale. Les prétextes fournis sont bidon. Il y a beaucoup de bluff aujourd’hui au sein de l’opposition. Imaginez-vous le MMM des années’ 80 ou le PTr d’autrefois laissant passer une telle occasion de mobiliser ? 

Pourquoi estimez-vous que Pravind Jugnauth ne se pressera pas pour rappeler le pays ou les villes aux urnes ? 
Parce que la conjoncture ne lui est pas favorable, avec les difficultés économiques, les scandales à répétition, le coût de la vie et le sentiment de mauvaise gouvernance qui s’étend au fil des « affaires » largement médiatisées. On ne fait des élections anticipées que quand on est raisonnablement sûr de les gagner. Navin Ramgoolam l’a appris à ses dépens en l’an 2000. Il y a un élément de risque considérable à rappeler le pays aux urnes. 

J’observe de près Pravind Jugnauth depuis qu’il est entré au gouvernement MSM-MMM en 2000 comme ministre de l’Agriculture, puis des Finances en 2003, comme Premier ministre-adjoint de Paul Bérenger et en tant que PM depuis 2017. À la différence de son père, sir Anerood, Pravind Jugnauth est allergique au risque. C’est un être prudent, fondamentalement conservateur, un peu « insecure » sur les bords et plutôt cérébral qu’émotionnel. Il ne prendra pas inutilement de risques, à moins d’y être obligé. 

Voyez comme il s’est abstenu de participer à l’élection partielle de Quatre-Bornes, préférant laisser le champ libre à Arvin Boolell plutôt que de prendre le risque de subir une raclée avant 2019. Voyez comme il a jusqu’ici refusé tout remaniement ministériel, bien que plusieurs portefeuilles soient désormais disponibles, afin de ne pas provoquer des remous et frustrations dans son propre camp. 

Sir Anerood était impulsif, colérique, instinctif et capable de distribuer de grands coups de pied ainsi que des insultes publiques, y compris dans son camp. Pravind Jugnauth, lui, n’aime pas créer des vagues. Il est plus tolérant des fautes et excès de ses collaborateurs, redoutant leurs coups bas, ne leur réglant leur compte qu’au moment de la distribution de tickets aux élections. Je le crois donc quand il dit qu’il ne faut pas s’exciter et qu’il ira au bout de son mandat. 

Face à la coalition annoncée de ses adversaires, quelle sera alors la stratégie du PM entre aujourd’hui et 2025 ? 
Une alliance entre le Mouvement socialiste militant (MSM) et le PTr est un « non-starter », malgré les pressions que l’on sait. Navin Ramgoolam veut absolument sa revanche et, sauf révolution de palais au PTr, rien ne l’arrêtera dans sa volonté de déloger Pravind Jugnauth. Même si un coup d’état intervenait au PTr, Arvin Boolell serait tout aussi anti-Jugnauth que Navin Ramgoolam. 

Le MSM ne pourra pas non plus faire revenir le MMM officiel à ses côtés. Après les excès depuis 2019 et dans le climat politique actuel, les gens cracheraient au visage de Paul Bérenger. Les petits partis extraparlementaires, plus à Gauche, n’existent que pour finir le MSM et « changer le système ». Donc, rien à faire là aussi. 

Une option qui resterait ouverte au MSM et à Pravind Jugnauth serait de courtiser le PMSD, en faisant valoir que le parti des Duval aurait, avec le MSM, un meilleur « deal » qu’avec le PTr (sept à huit tickets) et que l’appareil PMSD est fatigué d’être « hors du pouvoir ». Peut-être cela marchera-t-il auprès de certains « seconds couteaux PMSD ». 

Mais séduire la direction du PMSD sera très difficile, voire impossible. Xavier-Luc Duval préfère de loin le PTr au MSM. Il est beaucoup plus à l’aise avec Navin Ramgoolam, un vieux complice et cousin politique des bleus, qu’avec les Jugnauth. Le leader des bleus a toujours estimé que, malgré tous ses défauts, Navin Ramgoolam « ne fera jamais certaines des choses que le MSM ferait ». Par exemple, l’affaiblissement du bureau du DPP, le démantèlement de l’empire BAI, le degré actuel de persécution d’adversaires politiques ou encore les procès intentés hier à Gaëtan Duval. 

Donc, une marge de manœuvre très étroite pour le MSM ? 
La stratégie ouverte au MSM serait donc d’une part, d’encourager le renforcement de l’aile ex-MMM du gouvernement (Obeegadoo, Ganoo, Collendavelloo et Ramano), en tentant d’y attirer d’autres poids moyens MMM. Et d’autre part, de renforcer l’aile musulmane du MSM en tentant d’attirer autour du Dr Joomye  et du Dr Husnoo, possiblement Reza Uteem, Aadil Ameer Meea (MMM), Osman Mahomed, Cader Sayed-Hossen (PTr)  et d’autres si ces derniers étaient frustrés dans les arrangements PTr/MMM/PMSD, afin de gagner Port-Louis ainsi que Vacoas/Phœnix, en sus des régions rurales. Il est pourtant difficile d’imaginer Reza Uteem et autres faisant le saut à la veille d’élections. Les options sont donc limitées. 

Le Ier-Mai, le MSM a remporté la guerre des foules par « walk-over ». A-t-il marqué l’esprit de la masse silencieuse ? 
Pas nécessairement car il n’y a pas eu de guerre précisément. En tout cas, le MSM a démontré une fois encore sa capacité à mobiliser les siens et ses grands moyens. Il ne s’est pas abrité derrière les prétextes farfelus de l’opposition pour ne pas y aller. 

Est-ce un mauvais calcul des principaux partis de l’opposition d’avoir manqué cette occasion de se mesurer au MSM ? 
Certainement ! L’opposition semble manquer d’énergie, de combativité et de dynamisme sur le terrain. Hier, elle ne ratait jamais l’occasion de chercher la bagarre et de mobiliser dans l’atmosphère électrique des réunions publiques. 

L’opposition ne peut continuer à se présenter comme un possible tsunami et une alternative crédible seulement avec des conférences de presse, des dépôts de fleurs ou des « walk-outs » intempestifs. Pour l’heure, les lions semblent bien silencieux et un peu somnolents. Rien ne remplace le contact physique avec les électeurs aux quatre coins du pays. 

Êtes-vous du même avis que Paul Bérenger à l’effet qu’une alliance PTr/MMM/PMSD « relèguerait le MSM à la poubelle de l’Histoire » ? 
Sur papier, la force conjuguée de ces partis devrait constituer un formidable défi au MSM, flanqué de son aile ex-MMM. Mais en politique, il y a toujours loin de la coupe aux lèvres. Les chiffres ne s’ajoutent pas nécessairement dans toute nouvelle configuration, comme on l’a vu en 2014. Il y a beaucoup de facteurs psychologiques à considérer. 

Ce qui est vrai actuellement, c’est que le peuple semble porté sur la sanction. Il en a assez. Mais l’opposition doit se secouer. Elle doit cesser de faire du « wishful thinking » et de sous-estimer la capacité du gouvernement à impressionner ou à convaincre par les mesures sociales et budgétaires à venir. Rien n’est gagné d’avance à Maurice avec 50 % d’indécis et la mauvaise humeur populaire actuelle face à toute la classe politique. 

Il y a plusieurs choses à considérer. Navin Ramgoolam, déjà contesté dans plusieurs milieux de l’opposition, se fera-t-il accepter comme PM à 78 ans, face à un adversaire plus jeune, déjà dans la place et puissamment équipé ? Pourra-t-il vendre Paul Bérenger dans un électorat qui lui est traditionnellement hostile et vice-versa ? Quelle sera la force de frappe effective de l’opposition extraparlementaire ? L’accord PTr/MMM/PMSD créera-t-il la dynamique requise ou quand elle sera finalement conclue apparaîtra-t-elle comme du pain rassis ? 

Encore faut-il effectivement que ces partis s’entendent sur un pacte réaliste et acceptable, ce qui n’est pas encore le cas ? 
Effectivement. En général, les alliances butent non pas sur des alignements idéologiques mais sur des égos, sur des ambitions et convoitises de postes, sur le nombre de tickets, etc. Il y a plusieurs macadams. 

Xavier-Luc Duval ne veut pas du Réduit. Il veut être sur le Front Bench de tout éventuel gouvernement et contribuer concrètement. Or, avec seulement quatre places au Front Bench parlementaire et Ramgoolam, Bérenger et Duval occupant trois des quatre sièges, il n’y en a qu’un seul de libre. 

Paul Bérenger veut de Reaz Uteem pour assurer une représentation musulmane indispensable. Mais cela donnerait au MMM deux des quatre sièges du Front Bench. Navin Ramgoolam veut, lui, d’un deuxième Travailliste (Arvin Boolell). Comment trancher ? Ensuite, qui sera le Speaker ? Fera-t-on de la place à Nando Bodha, Roshi Bhadain, Rama Valayden, Ashok Subron et autres, s’ils viennent ? 

Il y a, en effet, un foisonnement de petits partis avec comme leaders des fortes têtes. Ce ne sera pas facile de les loger à la même enseigne ? 
En effet, mais on commence à voir des rapprochements, Nando Bodha avec Rama Valayden et Linion Lepep Morisien ; Roshi Bhadain avec Patrick Belcourt (En Avant Moris) ; Ashok Subron se montre subitement très souple, Bruneau Laurette avec Singh. 

Sachant qu’ils ne feront pas le poids individuellement pour gagner seuls ou obtenir des tickets de l’alliance PTr/MMM/PMSD, je n’exclus plus que tous ces petits partis se rapprochent dans un vaste Front extraparlementaire pour ensuite négocier avec les leaders du PTr/PMSD/MMM en position de plus grande force, pour une alliance ultime de tout le monde face au gouvernement. Ceci changerait la donne. 

Comprenez-vous le positionnement de Nando Bodha ? 
Nando Bodha a compris qu’il serait le petit poucet de L’Espoir. Il n’aime pas Navin Ramgoolam et ne veut pas se mettre au service des ambitions de ce dernier. Peut-être finira-t-il, en fin de compte, à la tête de ce Front extraparlementaire. Mais rien ne permet de l’affirmer, car Roshi Bhadain est ambitieux. Nando Bodha, à mes yeux, a raté sa chance. Il aurait dû, à sa démission, rejoindre le MMM comme un des adjoints de Paul Bérenger qui l’aurait accueilli à bras ouverts dans un grand parti, au lieu de s’éreinter à faire un autre petit parti, un de plus, sans impact national. 

Et Sherry Singh ? Vous y croyez ? 
Je crois que ce sera aussi un « non-starter ». Les Mauriciens croiront en Sherry Singh quand il commencera à déballer tout ce qu’il sait sur le régime et les forces cachées qui l’animent. Or, à part du « sniffing » dont on ne parle plus, Singh n’a absolument rien révélé de ce qu’il sait du régime. Et il en sait beaucoup !

L’état du pays vous inquiète-t-il ?
Beaucoup. Les scandales s’amoncellent, rongeant le moral de la nation et la confiance publique. Les Mauriciens se disent de plus en plus dégoutés. Nous subissons un « brain drain », certes discret, mais effrayant. Il y a bien longtemps que je n’ai pas vu autant de jeunes et de professionnels vouloir émigrer outre-mer, notamment vers le Canada et l’Europe. 

Le coût de la vie insupportable démoralise les pauvres et les familles ayant un modeste budget. Les rapaces et exploiteurs de la misère humaine sont partout, mais ils ne voient jamais l’intérieur de nos prisons. Ce qui laisse aux honnêtes citoyens un sentiment de terrible injustice et d’impunité. 

Or, vous savez, l’injustice est le bouillon de culture de tous les désespoirs, de toutes les colères qui s’exprimeront aux urnes. Une espèce de pollution morale s’étend, avec l’argent facile, la corruption et les magouilles en tous genres. La drogue pourrit inexorablement le pays. Le doute est partout. Nos institutions chancellent. 

Nous ne sommes presque plus en système politique « westministérien », mais dans ce qu’on pourrait appeler une espèce de « managed democracy », qui s’éloigne de plus en plus des valeurs, des traditions et des principes de nos pères fondateurs dans les années’ 60, avec un « management of public opinion » permanent intolérable. 

On assiste à un combat infernal d’ambitions. La nature même de notre société et de notre système politique change pour le pire. Il faut absolument enrayer cette glissade, rendre confiance au pays et donner à nos jeunes des raisons de rester. Il faut une refondation de notre République.

Quelle forme ce sursaut doit-il prendre ? 
Je crois sincèrement qu’il faut d’abord changer la manière de gouverner le pays. On ne peut pas, en 2023, gouverner, s’opposer, faire des alliances et communiquer avec la nation comme on le faisait en 1973. Cinquante ans ont passé. Il faut un management du pays plus moderne, plus proche du XXIe siècle, plus moral et moins partisan. 

Pravind Jugnauth doit être parmi les premiers à contribuer à ce sursaut national, en revoyant la façon de gouverner. Ne soyons pas naïfs ; un PM porte deux chapeaux : celui de chef du gouvernement et celui de leader du parti politique qui lui donne son pouvoir. Il y a sans doute des choses qu’il lui faut faire, comme tout PM, pour consolider son parti, satisfaire sa base et asseoir son pouvoir. 

Mais il doit aussi savoir laisser à la porte son chapeau de leader de parti pour prendre celui de chef du pays et ce qui vient avec. C’est-à-dire réunir le peuple ; gouverner dans l’unité, au profit de tous et non des seuls intérêts du parti ; se mettre au service de tous ; et assurer le partage entre tous les groupes de citoyens. Instaurer la justice est le premier devoir de tout chef du gouvernement. Aujourd’hui, trop souvent, l’État et le MSM se confondent et les intérêts du MSM priment trop souvent.

Pravind Jugnauth doit être plus consensuel, plus ouvert, plus juste et plus à l’écoute des autres plutôt que de ses seuls soutiens. Beaucoup de choses changeraient s’il le faisait, y compris pour sa propre image, si le changement commençait là, dans un changement personnel d’optique. Mgr Piat le lui a dit récemment et il s’est emporté. 

Or, il faut toujours écouter ceux qui vous apportent la contradiction et vous conseillent autrement que vos suiveurs. J’ai eu moi-même l’occasion de le lui dire : l’important pour un chef et homme public (politicien, homme de religion, grand dignitaire ou leader d’opinion) n’est pas d’être populaire mais d’être respecté. La popularité varie et s’évapore, surtout en politique. Le respect public, lui, reste beaucoup plus longtemps et souvent toute une vie. 

 

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